Emmanuel Macron – McFly et Carlito: «Une vidéo qui ne fait honneur ni à la politique, ni aux influenceurs, ni à la jeunesse» – Le Figaro

FIGAROVOX/TRIBUNE – Les deux youtubeurs McFly et Carlito ont mis en ligne leur rencontre avec le président de la République. Pour Mathieu Slama, un cap a été franchi dans la dépolitisation de la parole politique.

Consultant et analyste politique, Mathieu Slama collabore à plusieurs médias, notamment Le Figaro et Le Huffington Post. Il a publié La guerre des mondes, réflexions sur la croisade de Poutine contre l’Occident, (éd. de Fallois, 2016).


Il faut reconnaître à Emmanuel Macron une certaine obstination dans sa volonté d’aller chercher le vote des jeunes pour 2022. La mise en scène autour du pass’ culture de 300 euros pour tous les jeunes de 18 ans a été à cet égard très révélatrice, Macron multipliant pour l’occasion les clins d’œil à la jeunesse à travers des références aux mangas, séries ou jeux vidéos et à travers une présence sur tous les supports que les jeunes affectionnent : Twitter, TikTok et même une story sur Instagram sous forme de sondage, procédé classique des influenceurs pour «créer de l’engagement» avec leur communauté. Macron utilisa même, dans sa communication, un langage codé en employant le terme «bataillon d’exploration», faisant ainsi implicitement référence au très populaire manga «L’attaque des Titans» qui cartonne auprès des jeunes.

Mais l’offensive du président-influenceur ne s’est pas arrêtée pas là. Nous avons eu droit, en effet, à la fameuse vidéo annoncée de longue date avec les youtubeurs humoristiques McFly et Carlito, résultat d’un challenge lancé par le président aux influenceurs autour des gestes barrières. Cette vidéo vient donc d’être publiée, et a créé un engouement assez incroyable si l’on en croit le nombre de vues qui ne cesse de grimper à un rythme record. Cette vidéo, qui met en scène un concours d’anecdotes, est émaillée de quelques surprises, comme un appel à Kylian MBappé (qui évidemment n’a rien de spontané) et un concert de métal privé organisé dans les jardins de l’Élysée. Une vidéo de pur divertissement, donc, globalement assez pénible à regarder, typique du genre de contenus que proposent ces youtubeurs dont l’audience, qui dépasse souvent le million de vues à chaque vidéo, est considérable. Macron semble plutôt à l’aise, même si on sent poindre, à certains moments, une sorte de gêne face à la lourdeur de ses interlocuteurs et à l’absurdité de certaines situations.

Cette vidéo est sans précédent dans l’histoire de la communication politique. Elle est donc tout sauf anecdotique, et dit quelque chose de grave sur la manière dont le pouvoir envisage désormais la communication et la fonction politique aujourd’hui.

Cette vidéo dit quelque chose de grave sur la manière dont le pouvoir envisage désormais la communication et la fonction politique

Mathieu Slama

Notons d’abord que ce type d’opérations de communication est une chose habituelle dans le monde des entreprises et des agences. On appelle cela, en communication, une «activation», qui consiste à nouer des partenariats sur un thème particulier avec des influenceurs populaires, avec pour objectif de créer le plus d’ «engagement» possible, c’est-à-dire de toucher l’audience la plus large possible et de multiplier les possibilités de réactions et d’interactions avec le public visé. Dit autrement, les équipes de communication de l’Élysée (dont beaucoup, soulignons-le, viennent d’agences de communication et d’entreprises) ont conçu l’opération avec McFly et Carlito exactement de la même manière qu’ils l’auraient envisagée pour une entreprise. L’homme politique est désormais un chef d’entreprise comme un autre, et la communication politique doit donc s’adapter à cette nouvelle donnée.

Cette appropriation, par le politique, des techniques de marketing du monde privé n’est pas nouvelle, mais elle n’a jamais été aussi manifeste que sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Cela ne surprend guère, puisque le macronisme est lui-même une appropriation du politique par le monde de l’entreprise et du management. Les macronistes sont pour beaucoup des anciens cadres du privé, des communicants, des chefs d’entreprise qui maîtrisent parfaitement les codes du management et du marketing. Leur vision de la politique est une vision purement managériale. Personne, à l’Élysée, ne s’est demandé si le président de la République avait vraiment sa place dans ce type d’opérations. Personne n’a émis de doute sur le message politique que cela renvoyait. Personne, enfin, ne s’est posé la question des enjeux éthiques qu’une telle stratégie soulevait. La seule question qui s’est posée fut celle-ci: est-ce efficace ? Cela nous permettra-t-il d’augmenter notre réserve de voix chez les jeunes ? Est-ce qu’une telle vidéo va nous permettre de faire parler, de créer de l’engagement et donc de capter l’attention médiatique, notamment sur les réseaux sociaux ? Une vision de la politique purement utilitariste, dominée par la pensée marketing qui découpe l’électorat en cibles auxquelles il faut s’adresser séparément, sans aucun égard pour des considérations telles que l’intérêt général ou la dignité de la fonction.

Une vision de la politique purement utilitariste, dominée par la pensée marketing qui découpe l’électorat en cibles auxquelles il faut s’adresser séparément

Mathieu Slama

Cette approche marketing de la politique a son corollaire : la dépolitisation, qui est aussi un des marqueurs de la présidence Macron. Avec cette vidéo, l’Élysée sort de l’espace politique pour se placer uniquement sur le terrain du divertissement et du spectacle. McFly et Carlito sont certainement très talentueux dans leur domaine, mais ils sont dénués de toute culture politique et donc incapables d’opposer au président une quelconque contradiction sur le terrain politique. Par conséquent, ils se font les idiots utiles du macronisme et de sa stratégie, se laissant piéger par une opération de com’ qui est en réalité extrêmement politique, puisqu’il s’agit de faire campagne auprès des jeunes en vue de l’élection de 2022. Macron le sait, les 25-34 ans votent aujourd’hui majoritairement Rassemblement national, tandis que les 18-24 hésitent entre Macron, Mélenchon et l’abstention. Il y a donc un immense réservoir de voix à aller récupérer.

Il est possible qu’une partie du public qui regarde cette vidéo, pas forcément très politisée, va s’arrêter à l’impression de sympathie qui se dégage du personnage Macron et éventuellement se dire que oui, pourquoi ne pas voter pour lui en 2022. Il ne s’agit plus ici de communication politique mais de propagande, voire même de manipulation. Que le divertissement soit aujourd’hui une composante essentielle du spectacle politique, personne ne le conteste et cela n’est pas la faute de Macron. L’émission Touche Pas à Mon Poste, présentée par Cyril Hanouna, est aujourd’hui très appréciée de la macronie, plusieurs figures y participent régulièrement. Mais au moins, chez Hanouna, les ministres ou parlementaires LREM qui s’expriment ont face à eux des interlocuteurs membres de l’opposition qui peuvent les contredire sur le terrain politique. Autrement dit, même sur TPMP, on reste encore sur le terrain de la politique. Avec cette vidéo, on passe à tout autre chose, et un cap est franchi dans la dépolitisation de la parole politique.

Un cap est franchi dans la dépolitisation de la parole politique

Mathieu Slama

Cette stratégie est d’autant plus condamnable que les enjeux politiques autour de la jeunesse sont aujourd’hui immenses. La précarité des jeunes croît de manière très inquiétante, la généralisation du «distanciel» à la fac a eu des effets désastreux sur la formation et le moral des étudiants, et les confinements et couvre-feu ont provoqué des désastres psychologiques dont on peine encore à mesurer toute la gravité. Ni le pass’ culture ni la vidéo de Macron avec les influenceurs ne répondent à ces enjeux.

Il y avait, par ailleurs, d’autres manières de s’adresser aux jeunes. Considérer qu’il n’y a que de cette façon qu’on peut toucher la jeunesse, c’est d’une certaine manière exprimer à son égard une forme de mépris. Il y a aujourd’hui en France une jeunesse engagée et politisée, et une jeunesse sans doute moins politisée mais qui a les moyens de comprendre les enjeux auxquels ils font face sans qu’on ait besoin de McFly et Carlito pour s’adresser à eux. La stratégie de Macron n’est pas seulement discutable du point de vue éthique, elle est aussi profondément méprisante pour la jeunesse. Il y a, aujourd’hui, des influenceurs de talent à droite comme à gauche qui vulgarisent les sujets politiques et qui intéressent un large public. Hugo Décrypte ou Jean Massiet pour les plus consensuels, Usul ou Tatania Ventôse pour les plus polémiques: le choix ne manque pas. Si le président de la République voulait vraiment s’adresser à la jeunesse sur le terrain politique, alors un débat avec ces interlocuteurs aurait eu du sens. La vidéo d’anecdotes n’a fait honneur ni à la politique, ni aux influenceurs et ni à la jeunesse.

Considérer qu’il n’y a que de cette façon qu’on peut toucher la jeunesse, c’est d’une certaine manière exprimer à l’égard de la jeunesse une forme de mépris

Mathieu Slama

Enfin, il est difficile de ne pas dire un mot de conclusion sur ce que représente cette vidéo pour la fonction présidentielle, et donc pour la France. Au début de son mandat, Macron a engagé ce qu’on pourrait appeler une réforme de l’image présidentielle, tentant de redonner du prestige, de la hauteur, de la distance et de la rareté à la fonction. Le président représente la France et tous les Français, et par conséquent il ne peut pas agir comme n’importe quel ministre ou parlementaire. D’où cette idée, à laquelle Macron semblait croire, de redonner de la force symbolique à la fonction, de se faire plus solennel, plus rare et donc moins omniprésent que ses prédécesseurs qui avaient gouverné à la manière de Premiers ministres plutôt que de Présidents. Mais Macron a trahi cette promesse au fil de son mandat, jusqu’à cette incroyable opération de communication qui marquera, soyons-en sûrs, un précédent historique dans notre histoire politique contemporaine.

Que dire, en effet, d’une vidéo dans laquelle les interlocuteurs du chef de l’État se mettent à danser ou à effectuer des roulades, lui adressent la parole comme s’il était un invité comme un autre ? Que dire de cette séquence de concert final, où les rockeurs se mettent à hurler, face à Macron, «L’Élysée est ce que vous êtes là ?» ? Que dire des nombreuses publicités qui entrecoupent la vidéo, comme si une vidéo mettant en scène le chef de l’État était similaire à n’importe quelle autre vidéo monétisée d’influenceurs ? Que dire, enfin, de cette séquence où le chef de l’État laisse échapper un «putain» ? C’est peut-être cela le plus grave, cette idée que le président est désormais un influenceur comme un autre, que la politique n’est plus un espace à part, et qu’il est désormais possible, pour le chef de l’État, de se commettre dans une vidéo aussi rabaissante et vulgaire.

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