Emmanuel Macron au Liban : tentative d’ingérence ou preuve d’amitié ? – LCI
DÉCRYPTAGE – En visite à Beyrouth après l’explosion dévastatrice survenue deux jours plus tôt, le président français a appelé jeudi à un “profond changement” de la part des dirigeants libanais. Un signe d’ingérence ? Ou, au contraire, une marque d’affection ? LCI analyse ce déplacement.
Un message qui, s’il n’est pas explicitement destiné à Emmanuel Macron, semble néanmoins être une réponse à la visite de son homologue français dans le quartier sinistré de Gemmayzé, à Beyrouth, où celui-ci a assuré devant une population meurtrie que la France était “là pour aider le peuple, pas ses politiques”. De quoi pousser certains observateurs à l’accuser d’“ingérence” quand d’autres y voient au contraire une “prestation courageuse”.
“Un one-man-show arrogant”
Des accusations que le principal concerné balaie d’un revers de main. “À ceux qui disent ingérence, je réponds simplement : non”, a-t-il lancé jeudi sur BFMTV, plaidant plutôt l’“amitié” et l’“exigence”. S’il est vrai qu’il a réclamé un “profond changement” de la part des dirigeants locaux, accusés d’incompétence et de corruption par une population en colère, il estime que “si la France ne joue pas son rôle, celle de puissance qui croit au multilatéralisme, qui croit dans l’intérêt du peuple libanais, l’ingérence elle sera celle d’autres puissances”. C’est d’ailleurs l’observation “un peu provocatrice” qu’a faite Frédéric Encel, géopolitologue spécialiste du Moyen-Orient, sur notre antenne : “Est-ce-que cette ‘ingérence’ d’un pays objectivement allié, qui donne beaucoup au Liban, est plus ou moins préférable que l’ingérence de l’Iran ?” La question est posée.
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Un point de vue que semble partager la population. Comme en témoigne le journaliste Arthur Sarradin sur place, une partie d’entre elle, “très francophile”, était “ravie” de cette présence dans laquelle elle place “beaucoup d’espoir”. “Certains appelaient même à un nouveau mandat français”, relève-t-il sur Twitter, citant cette pétition, signée près de 60.000 fois, qui demande à ce que “le Liban repasse sous mandat français pour les dix prochaines années”. Un texte qui ne représente qu’une partie minoritaire d’un peuple qui s’est surtout servi de la venue d’Emmanuel Macron – qui n’a pas hésité à se confronter à la colère populaire, pour le présenter comme un exemple à prendre pour le gouvernement en place. Gouvernement qui, lui, n’avait jusqu’alors pas daigné se déplacer.
“Un porte-parole des organisations internationales”
C’est aussi ce que rappelait le diplomate Gérard Araud ce matin sur LCI. Ancien représentant de la France aux Nations Unies, il a mentionné la réunion du CEDRE, qui a eu lieu en avril 2018, au cours de laquelle plus de onze milliards de dollars ont été mis sur la table pour “préserver le trésor qu’est le Liban dans la région” à condition de certains réformes. “Depuis, la France n’a eu cesse de demander aux Libanais de remplir ces conditions. Encore il y a quelques semaines, Jean-Yves Le Drian était à Beyrouth pour dire pour la énième fois à un système politique libanais ossifié totalement paralysé : ‘Mais faites votre part du travail !'”
Pour cet observateur avisé, Emmanuel Macron s’inscrit même en “porte-parole des organisations internationales”, telles que le FMI et la Banque mondiale, qui sont “derrière lui”. Sur le même ton, Frédéric Encel considère lui aussi que le président est venu “traduire l’exaspération de la communauté internationale”. “Vous avec un certain nombre d’Etats qui donnent au Liban, généralement à fonds perdus, sans savoir ce que cet Etat fait de cet argent.”
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Une “opération de com'” ?
Idem en Belgique, où le journal néerlandophone De Morgen dit avoir assisté à un “grand concert” en Méditerranée, avec Paris comme chef d’orchestre, décrite comme “interventionniste” et en pleine “opération de com'”. “Le président Macron se pavane en héros dans les rues de Beyrouth”, peut-on lire, l’auteur voyant dans ce “tableau assez insolite” une population libanaise “portant aux nues le dirigeant de ce pays même dont elle s’était jadis émancipé”.
C’est cette mémoire coloniale – qui resurgit avec la venue en sauveur du représentant de l’Hexagone – que déplore aussi Al-Akhbar, quotidien proche du Hezbollah, jugeant qu’Emmanuel Macron a un double langage : “Le malheur du Liban, avec la visite de l’invité chargé d’une dure mémoire coloniale, n’est pas dans ce que l’homme pense, ni dans la manière dont il exprime ses pensées, mais plutôt dans la nature de ce qui lui a été dit à Beyrouth.”
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