Émeutes aux Etats-Unis : l’inquiétant retour en force des milices armées – Le Parisien

Mardi soir, la ville de Kenosha vivait sa troisième nuit d’émeutes quand, au chaos des pillages, s’est ajouté l’effroi des coups de feu. Deux militants antiracistes sont tombés sous les balles d’un adolescent de 17 ans, membre autoproclamé d’une milice locale. Les mains en l’air, son fusil d’assaut en bandoulière, il tracera sa route devant les véhicules de police avant d’être interpellé quelques heures plus tard.

Cet épisode cristallise les tensions communautaires qui fragmentent à nouveau les Etats-Unis depuis dimanche et l’apparente bavure policière survenue dans la cité du Wisconsin. Jacob Blake, un Noir américain de 27 ans, avait été touché dans le dos à sept reprises en pleine rue par les tirs de deux officiers. Il devrait rester paralysé à vie.

Mais 48 heures d’embrasement plus tard, c’est désormais le visage de Kyle Rittenhouse qui intrigue le pays. Les raisons qui ont poussé le lycéen à se servir de son arme restent encore floues. Mais ce geste questionne surtout la dangerosité de ces milices, qui jouissent avec les réseaux sociaux d’une nouvelle force de frappe.

Pas forcément une idéologie d’extrême droite

Ces groupes d’autodéfense, autorisés par le Deuxième amendement de la Constitution au même titre que le port d’armes à feu, ont toujours existé. Cependant, ils connaissent un regain de popularité depuis quelques années. La présidence de Donald Trump et le mouvement « Black Lives Matter », vague de contestation contre les violences policières et le racisme, ont consacré leur retour en force. Soudés autour de valeurs conservatrices mais pas forcément d’extrême droite, ils ne disposent pas d’identité politique très définie.

VIDÉO. Affaire Jacob Blake : deux morts après des affrontements à Kenosha

« Les milices n’ont pas vraiment de socle idéologique commun. Certaines sont menées par des suprémacistes blancs comme on l’a vu à Charlottesville en 2017, mais c’est loin d’être la majorité des cas, souligne auprès du Parisien Yan Saint-Pierre, spécialiste canadien des extrémismes de droite et du terrorisme. Ce qui unit ces milices, d’un territoire à l’autre, c’est surtout l’idée de protéger la communauté et de défendre la propriété individuelle ».

À partir de là, certains souhaitent aider la police. D’autres, plus radicaux et anti-fédéraux, désirent carrément la remplacer. Une milice armée avait par exemple envahi le Parlement de Michigan en mai dernier pour dénoncer les mesures de confinement liées au Covid-19.

Kyle Rittenhouse ne semble pas correspondre à ce profil libertaire. Il se montre plutôt attaché au mantra cher à Trump « Law and Order » (La loi et l’ordre, NDLR). Partisan des mouvements pro-policiers (« Blues Lives Matter » et « Humanize the Badge »), il a même participé plus jeune à des stages d’initiation avec des officiers. Interrogé par un vidéaste d’extrême droite quelques minutes avant de passer à l’acte, le jeune assaillant avait expliqué vouloir « protéger » les commerces et les personnes, en montrant « son fusil et son kit médical ». Selon le New York Times, qui a pu reconstituer partiellement la scène grâce à plusieurs vidéos, il a même prodigué des soins à des manifestants.

« Plus les personnes sont jeunes, plus le sentiment de panique est élevé »

« C’est difficile à comprendre en France, mais aux Etats-Unis, même s’il y a la police, chacun se sent investi d’une responsabilité pour défendre la patrie », reprend Yan Saint-Pierre. Que des dérives mortelles surviennent ne le surprend qu’à peine. « Il arrive fréquemment que des miliciens soient impliqués dans des meurtres. Mais en général, la légitime défense est vite établie. Ici à Kenosha, c’est bien plus dérangeant. Plus les personnes sont jeunes et donc peu formées aux armes, plus le sentiment de panique est élevé. On peut vite perdre le contrôle », pointe-t-il du doigt.

Kyle Rittenhouse lève les mains en direction des véhicules de police, quelques secondes après la fusillade. (Capture d’écran)/Twitter @BGOnTheScene

Le shérif du comté de Kenosha déplore lui aussi le rôle de ces milices, coupables selon lui d’enflammer une situation déjà explosive. « J’ai eu un homme au téléphone qui m’a dit : “Pourquoi vous ne déléguez pas la sécurité à des citoyens armés?” Je lui ai répondu “Oh non”. Ce qui s’est passé hier soir (mardi soir, NDLR) est la raison parfaite pour laquelle je ne le ferais pas », a déclaré à CNN David Beth.

Le silence de Trump

Sur le terrain, police et milice semblent capables de s’entendre. Sur des images tournées mardi soir à Kenosha, on voit des agents de police remercier Kyle Rittenhouse et d’autres miliciens et leur apporter des bouteilles d’eau. « Il existe une sorte de symbiose entre les deux groupes. Ce genre de milices locales comptent souvent des anciens militaires ou des policiers à la retraite », abonde Yan Saint-Pierre.

Donald Trump, qui a toujours défendu le port d’armes et l’autodéfense, n’a pas souhaité commenter ce double meurtre. Occupé par la convention du Parti républicain, il s’est pour l’heure contenté de dénoncer les actes de vandalisme ayant frappé la ville. Son équipe a pourtant dû jouer les pompiers de service. Le site d’investigation Buzzfeed a repéré le visage de Kyle Rittenhouse au premier rang d’un meeting du candidat Trump organisé en janvier dernier. « Cet individu n’avait aucun lien avec notre campagne », ont-ils rétorqué. Pas sûr que cela suffise à calmer les pourfendeurs du président, l’accusant de poursuivre sa stratégie du chaos et de la division. Coûte que coûte.

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