Elections régionales : pourquoi les sondages ont-ils autant surestimé le score du Rassemblement national ? – franceinfo

Le comparatif avant-après est cruel pour les instituts de sondage. Le parti de Marine Le Pen était donné en tête dans plusieurs régions, notamment en Bretagne, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val-de-Loire, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, et Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), à en croire plusieurs enquêtes Ipsos/Sopra Steria pour France Télévision et Radio France.

A l’arrivée, seul Thierry Mariani, tête de liste du Rassemblement national (RN) en Paca, termine en première position. Encore n’atteint-il pas les 41% anticipés mercredi 9 juin par Ipsos/Sopra Steria. Il réunit 36,4% des suffrages exprimés. Un score conséquent, mais de presque 5 points inférieurs aux pronostics. Par ailleurs, les estimations d’Ipsos étaient largement partagées par d’autres instituts, selon des données compilées et publiées sur la plateforme NSPPolls. Pour quelles raisons les sondages se sont-ils autant trompés ?

Premier facteur : la sous-estimation de l’abstention. “Nous avions annoncé une abstention record, historique, de 60%, et elle est de 66%. Tout part de là”, s’est défendu le directeur général délégué de l’institut de sondage Ipsos, Brice Teinturier, interrogé sur France Inter lundi 21 juin.

“La sous-estimation de cette abstention record a des conséquences massives”, argumente-t-il. “Nous n’avions cessé de dire : prime au sortant. Ça se vérifie, mais beaucoup plus. Nous avions souligné que c’était un scrutin qui allait être favorable à la droite, à 26% au niveau national dans nos enquêtes, c’est plus de 28%” selon les résultats, explique-t-il encore. La photo d’arrivée n’était donc pas celle pronostiquée par les instituts pendant la campagne, admet-il.

“Vous prenez toutes les conséquences d’une abstention encore plus forte que ce que nous avions et vous aboutissez à quelque chose qui effectivement est assez différent.”

Brice Teinturier (Ipsos)

sur France Inter

Le patron d’Ipsos assure toutefois que l’institut n’a “cessé de dire que le Rassemblement national serait bien en dessous de son score de 28,4% des régionales de 2015”. “Mais nous l’avions effectivement dans la zone des 25%. Et il fait un peu moins de 20%” au niveau national, admet Brice Teinturier.

Les instituts de sondage se sont donc largement trompés sur le vote RN au premier tour des régionales. En Ile-de-France, Hauts-de-France et Paca, soit les trois régions où le plus de sondages ont été produits, “tous les instituts ont systématiquement surestimé les scores du Rassemblement national”, selon les données de la plateforme NSPPolls. Dans une infographie, elle montre l’écart important entre les enquêtes et la réalité du scrutin. Premier exemple : dans les Hauts-de-France, le candidat RN Sébastien Chenu a été crédité de 35% des voix par l’institut OpinionWay. Dans les urnes dimanche, il atteint 23%, soit 12 points de moins. Autre exemple : en Ile-de-France, Ipsos avait attribué plus de 20% des voix à la tête de liste RN. Or dimanche, Jordan Bardella a obtenu 13% des suffrages exprimés.

L’abstention semble effet avoir pénalisé le Rassemblement national davantage que les autres partis. “Les milieux populaires se sont encore plus abstenus que d’habitude”, expose Brice Teinturier à franceinfo. “Les ouvriers et les employés, se sont abstenus à 75%”, précise-t-il, en s’appuyant sur l’enquête Ipsos sur le profil des abstentionnistes et en faisant valoir que cet électorat vote davantage Marine Le Pen que d’autres catégories socio-professionnelles. Selon cette même enquête, 73% des électeurs ayant voté Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle en 2017 se sont abstenus, soit le plus fort taux, comparé aux autres candidats.

Le profil des abstentionnistes selon le vote au 1er tour de l'élection présidentielle de 2017. (IPSOS/SOPRA STERIA)

L’incertitude du vote des jeunes, qui se sont, eux aussi, abstenus à une écrasante majorité, toujours selon Ipsos/Sopra Steria est également avancée : 87% des 18-24 ans ont boudé les urnes dimanche, ainsi que 83% des 25-34 ans. Or, en avril, Le Monde affirmait que ces jeunes actifs étaient tentés par le vote frontiste à la présidentielle.

Reste une dernière raison pour expliquer l’approximation des sondages concernant les résultats du RN : l’écart entre les intentions de votes annoncées par les sondés et la réalité de ces votes. Professeur en communication politique à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, Arnaud Mercier rappelle les difficultés passées des instituts de sondage avec le Front national, devenu le Rassemblement national.

Pendant des années, les sondeurs “se heurtaient à la sous-déclaration du vote” en faveur du FN devenu RN. Ils appliquaient donc “un coefficient de redressement qui n’était pas assez élevé, car le parti était en phase ascendante”. “Puis les gens ont cessé d’avoir honte de déclarer qu’ils votaient pour le FN ou le RN et les sondages ont commencé à se stabiliser. Là, on est dans une situation inédite de sur-déclaration”, analyse-t-il auprès de franceinfo.

Pour Arnaud Mercier, les instituts de sondage “ne se sont pas trompés”. Il y a surtout eu “un décalage entre ce que les gens ont déclaré et ce qu’ils ont réellement fait”. Manifestement les électeurs du RN ont été les plus nombreux à juger ce vote sans enjeux, et ils ont décidé de ne pas aller voter, compte tenu de la faible médiatisation des enjeux.”

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