Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer sur le ring, face aux enseignants, pour défendre la réforme des retraites – Les Échos

Il ne manquait que les cordes et le plancher pour en faire un ring de boxe. Mais le combat a eu lieu quand même. Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer étaient à Nancy , vendredi soir, pour débattre avec des enseignants de la réforme des retraites . Une petite centaine de professeurs des écoles, de collèges, de lycées – syndiqués et non syndiqués – avaient pris place dans le gymnase du lycée Georges de la Tour, au sud de la Ville.

Comme sur un ring, les adversaires se sont d’abord jaugés avant de s’affronter. Mais sans gants.

Un système « universel ne veut pas dire [qu’il est] uniforme », a commencé prudemment Edouard Philippe. Avant d’évoquer les spécificités des enseignants qui perçoivent peu de primes : « Si on appliquait la réforme mécaniquement, les niveaux de pension seraient sensiblement inférieurs à ce qui existe aujourd’hui. Mais ça ne va pas se passer comme ça, assure le Premier ministre. L’objectif est que le niveau de pensions reste identique à ce qu’il est aujourd’hui. » Il faut donc, dit-il, discuter « de la façon dont on redresse la rémunération des enseignants durant la carrière ». L’exposé d’Edouard Philippe dure de longues minutes.

Ce n’est pas un débat, c’est un monologue !

Le gymnase est glacial mais les enseignants s’impatientent et les esprits s’échauffent : « Ce n’est pas un débat, c’est un monologue ! » lance Stéphane Rey, membre du comité de grève de l’éducation de Lorraine, un collectif d’enseignants qui s’est créé mardi dernier, dans le contexte de la  mobilisation massive contre la réforme des retraites.

Un travail « usant »

Les premières questions fusent : « Pourquoi le gouvernement lie-t-il réforme des retraites et revalorisation ? » « Le métier d’enseignant est-il pénible ? » Edouard Philippe convoque son père, sa mère et sa soeur – tous enseignants – pour dire que le métier n’est « pas pénible au sens de la loi » – il n’y a pas de travail de nuit. Mais « usant, oui », admet-il.

Jean-Michel Blanquer .

Jean-Michel Blanquer .POL EMILE / SIPA/SIPA

Il embraie sur la question des fins de carrière : « On demande aujourd’hui à quelqu’un qui a 30 ans d’assurer le même service [qu’un autre] qui en a 61. Est-ce intelligent ? Je ne sais pas, interroge à voix haute le Premier ministre. Demander un peu plus quand on est un peu plus jeune et un peu moins quand on est moins jeune serait plus logique. » Mais, aujourd’hui, « les obligations de service ne changent pas en fonction de l’âge ».

Le sujet des fins de carrière est essentiel. Il faut « personnaliser

Edouard Philippe vient ainsi de glisser son intention de toucher au statut des enseignants. Il précise vouloir « travailler sur la fin de l’activité professionnelle pour que le système actuel – travailler ou ne plus travailler – soit moins binaire ». Le temps partiel y serait « beaucoup plus favorisé ». Et les enseignants, après avoir « liquidé [leurs] droits à la retraite », pourraient « choisir une autre activité, ou la même autrement » et, alors, « acquérir de nouveaux droits ». « Le sujet des fins de carrière est essentiel », insiste Jean-Michel Blanquer. Il faut « personnaliser » les choses ».

« Une vision des rémunérations sur 10 ou 20 ans »

Et la revalorisation ? « Les salaires des enseignants sont en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, rappelle Laurent Walin, professeur de sciences économiques et sociales. Le point d’indice est quasiment bloqué depuis 2010. Avec quel argent allez-vous revaloriser ? » L’enseignant interroge Edouard Philippe sur le discours d’Emmanuel Macron  à Rodez , début octobre. « Si je voulais revaloriser, c’est 10 milliards, avait indiqué le chef de l’Etat. On ne peut pas mettre 10 milliards demain, c’est vos impôts. C’est le déficit, c’est la dette pour nos enfants. »

Edouard Philippe a confirmé le montant : « C’est à peu près de cet ordre-là, et donc c’est infaisable en une fois, mais si vous regardez l’effort sur une durée de 10 à 15 ans, il est totalement différent. » A un autre moment du débat, Jean-Michel Blanquer évoquera la loi de programmation pour « avoir une vision sur 10 ou 20 ans de ces rémunérations ». Comment se fera cette revalorisation ? Faut-il « mettre le paquet sur les débuts de carrière » ? interroge Edouard Philippe. « Ce n’est pas le ministre qui va décider seul », cela doit faire l’objet de discussions avec les syndicats.

Dans le gymnase vendredi soir

Dans le gymnase vendredi soirMarie-Christine Corbier

Travailler « hors du temps scolaire »

« Parce qu’on paie mieux » les enseignants, « peut-être on change aussi le temps de travail et la relation au travail », avait ajouté  Emmanuel Macron à Rodez . En indiquant que les enseignants pourraient travailler « hors du temps scolaire », et « que cela puisse être demandé aux enseignants », « qu’on regarde aussi les périodes de vacances par rapport aux autres ». Ces « contreparties » à la revalorisation inquiètent. Jean-Michel Blanquer refuse d’utiliser ce terme et parle de « vision systémique » de l’éducation. Les formations continues pourraient se faire « hors temps scolaire » et être « rémunérées », suggère-t-il, pour tout à la fois « améliorer le temps scolaire, créer du bien-être au travail et diminuer l’absentéisme ».

On ne vous croit plus !

« Il y a une opportunité très importante d’arriver aux améliorations que vous attendez depuis longtemps ! insiste le ministre. Je vous demande de prendre la mesure de ce qui est dit ». « On ne vous croit plus ! » entend-on dans le gymnase. La future loi de programmation sera une « garantie ! », insiste Edouard Philippe. « On sait ce que ça vaut les garanties ! lance une enseignante. Et le PPCR bloqué ? » L’application du protocole Parcours professionnels carrières rémunérations (PPCR), négocié  sous le quinquennat Hollande , avait été reportée d’un an, en 2017.

Le ring prend des allures d’exutoire : « Comment vous croire alors que vous nous avez manipulés au moment du bac ? ! On était dans les jurys ! » « On pourra en reparler », tente Jean-Michel Blanquer. « Vous abusez du mot confiance depuis que vous êtes ministre ! », lui reproche l’un. « Vous dites « faites-nous confiance », mais tous les indices clignotent au rouge », critique une autre. « Vous nous écoutez car nous sommes dans la rue et que vous avez peur », soutient une troisième. « Je n’ai absolument pas d’angoisse, je n’ai absolument pas peur de cette réforme et des réactions, rétorque le Premier ministre. Je le dis très tranquillement. »

« Le corps enseignant est fatigué »

La suite du débat sur les formes que pourrait prendre la revalorisation n’apaise en rien les échanges. Jean-Michel Blanquer évoque des « augmentations de primes ». « Ah noooon !!! Des salaires ! Des salaires ! » entonnent des enseignants. Le ministre tente de calmer l’assistance : « Ne faisons pas de fétichisme sur les primes », « prime ne veut pas dire conditionnel », « la prime peut être quelque chose d’universel pour les professeurs ». Pour les enseignants qui se font entendre, « si c’était un traitement, il n’y aurait pas de débat », car l’augmentation s’appliquerait à tous.

« Ces échanges ont montré à quel point le corps enseignant est fatigué », confiait un enseignant, à l’issue des deux heures de discussion. Lui donne raison à Jean-Michel Blanquer sur la nécessité d’une réforme « systémique » du métier d’enseignant. « Il faut changer le statut, la rémunération, les programmes, les locaux, etc. pour rattraper notre retard par rapport aux autres pays européens, estime ce professeur. Mais pourquoi le faire seulement maintenant, à mi-mandat, après nous avoir étrillés avec un tas de réformes techniques comme celle du lycée ? Jean-Michel Blanquer a mis la charrue avant les boeufs. »

Une autre professeure, pourtant syndiquée, va plus loin. « Il ne faut pas gâcher la contestation en discours agressifs », lâche-t-elle en indiquant, sous couvert d’anonymat, « ne plus croire à la machine syndicale » et préférer « faire des choses constructives ». « Mais si je dis ça aux collègues, je vais me faire dégommer. » « Je suis peut-être naïve, mais je l’ai trouvé sincère », dit-elle en parlant de Jean-Michel Blanquer. Une voix parmi la centaine d’enseignants présents.

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