Disparition d’Estelle Mouzin : ces femmes qui ont fait basculer l’affaire vers Fourniret – Le Parisien

Avocate ou prisonnière, magistrate ou complice de l’Ogre des Ardennes. Leurs vies sont diamétralement opposées. Pourtant, ces quatre femmes sont à l’origine d’un rebondissement judiciaire majeur.

Par leurs déclarations, leur pugnacité, leur travail, toutes ont permis, à des degrés divers, de relancer l’affaire de la disparition d’Estelle Mouzin, en 2003, en Seine-et-Marne. Et aboutir à la mise en examen mercredi 27 novembre de Michel Fourniret.

Une juge qui a gagné la confiance des Fourniret

Sabine Khéris, magistrate

Sabine Khéris lors d’une reconstitution à Auxerre (Yonne), le 3 octobre 2018./PHOTOPQR/L’YONNE REPUBLICAINE/Jérémie Fulleringer
Sabine Khéris lors d’une reconstitution à Auxerre (Yonne), le 3 octobre 2018./PHOTOPQR/L’YONNE REPUBLICAINE/Jérémie Fulleringer  

Doyenne des juges d’instructions de Paris, Sabine Khéris est une habituée des dossiers sensibles. Celle qui fête ses 55 ans ce vendredi 29 novembre avait demandé en 2016 le renvoi devant un tribunal de l’ancien ministre Dominique de Villepin après la mort de neuf soldats français à Bouaké (Côte d’Ivoire) en 2004 ou poursuivi sa collègue du syndicat de la magistrature dans l’affaire du « Mur des cons ». « Aimable et courtoise, mais redoutable et implacable », selon une pénaliste, Sabine Khéris a su tisser un lien particulier avec Monique Olivier et Michel Fourniret.

Pour amadouer l’Ogre des Ardennes, la juge Khéris a dévoré la littérature russe − Dostoïevski notamment − prisée du tueur en série. « Elle a su les mettre en confiance, se félicite Me Richard Delgenes, l’avocat de Monique Olivier. Elle et sa greffière s’adressent avec respect à ma cliente, ce qui est vital pour l’amener vers la vérité. »

« Elle est à l’écoute des parties civiles, ce qui n’est pas toujours le cas des magistrats, salue aussi Me Didier Seban, avocat des familles des victimes de Fourniret. Obtenir des aveux comme dans les affaires Parish et Domèce, c’est fort. » « Je l’ai trouvée très impliquée, assure aussi Eric Mouzin, le père d’Estelle. Elle connaît bien le dossier, ce qui n’a pas toujours été le cas des juges ».

Une avocate qui ne renonce jamais

Corinne Herrmann, avocate de la famille Mouzin

Corinne Herrmann, avocate de la famille Mouzin, à Paris, le 11 Mai 2016./Item/Cyril Marcilhacy
Corinne Herrmann, avocate de la famille Mouzin, à Paris, le 11 Mai 2016./Item/Cyril Marcilhacy  

Corinne Herrmann, 57 ans, avocate de la famille Mouzin, est la « reine des cold cases » (les affaires non élucidées) selon son patron, Me Seban. « Elle a une détermination, incroyable, souffle Eric Mouzin, le père d’Estelle. Corinne est un soutien essentiel pour moi. »

Claude Domèce, père de Marie-Angèle, tuée en 1988 par Fourniret, évoque une avocate « qui ne semble jamais douter et nous accompagne face à la froideur de la justice. Sans elle, la mort de ma fille n’aurait jamais été élucidée… »

Corinne Herrmann rejoint le cabinet de Me Seban en 2001 comme juriste. Elle devient avocate en 2010. « Elle est la mémoire des tueurs en série et remarque ce que d’autres ne voient pas », salue Me Seban. Son bureau parisien est orné de portraits de victimes, reliés entre eux par des cordelettes qui lui permettent d’établir des liens entre les affaires.

Habitué à se retrouver face à elle aux assises, Me Delgenes salue une « avocate pugnace, investie pour les victimes. » Au point, parfois, d’être submergée par l’émotion. Mercredi, lorsqu’elle a appris la mise en examen de Michel Fourniret après 16 ans de combat, elle était au bord des larmes. « Elle prend notre souffrance en plein visage, se confronte à des dossiers sombres, mais fait face, admire Eric Mouzin. On aimerait parfois lui dire de décrocher, mais elle est toujours là pour nous… »

Une diabolique qui s’humanise

Monique Olivier, complice de Michel Fourniret

Monique Olivier à l’ouverture de son procès en mai 2008 à Charleville-Mézières (Ardennes)./LP/Olivier Lejeune
Monique Olivier à l’ouverture de son procès en mai 2008 à Charleville-Mézières (Ardennes)./LP/Olivier Lejeune  

Monique Olivier est indissociable de Michel Fourniret. Complices de ses meurtres, elle a pourtant été déterminante dans la mise en examen de son ex-mari dans l’affaire Mouzin. « Elle a permis à Fourniret de devenir un tueur, estime Me Seban. Mais elle évolue positivement, son avocat et la juge Khéris lui permettent d’avancer. Elle dit vouloir aider les familles… Je veux la croire, mais je suis convaincu qu’elle a encore des secrets à livrer… »

Le 21 novembre, elle en a éventé un essentiel en avouant avoir, à la demande de Fourniret, téléphoné au fils du tueur à 20h08 depuis le domicile du couple à Sart-Custinne (Belgique) le 9 janvier 2003. Une déclaration qui annihile l’alibi de Fourniret. Un retournement rendu possible par « la distance qu’elle parvient maintenant à prendre par rapport à Fourniret, assure Me Delgenes, son avocat depuis 2004. Elle n’appréhende plus d’être face à lui. »

En septembre dernier, lors d’une reconstitution, elle s’est ainsi demandé à voix haute comment elle avait pu, pendant des années, « avoir eu peur de ce petit bonhomme »… Avant de lui crier dessus pour lui demander de « rendre le corps (NDLR : de Marie-Angèle Domèce) à la famille ». Comme un symbole, elle refuse désormais de prononcer le nom ou le prénom de Fourniret. Condamnée à perpétuité, « elle n’attend aucune faveur de sa collaboration avec la justice et aspire juste à être tranquille », assure Me Delgenes.

Une détenue qui a joué les confidentes

Milica P., ex-codétenue de Monique Olivier

Milica P. ancienne codétenue de Monique Olivier, a recueilli ses confidences./Document France 3
Milica P. ancienne codétenue de Monique Olivier, a recueilli ses confidences./Document France 3  

Elle a partagé l’intimité de Monique Olivier pendant cinq ans à la prison de Rennes (Ille-et-Vilaine). Agée de 66 ans, Milica P., condamnée pour avoir escroqué des personnes âgées et libérée depuis, s’était spontanément présentée à la police judiciaire de Versailles (Yvelines) il y a quelques années pour leur faire des révélations : Monique Olivier lui aurait confié avoir servi d’alibi à Michel Fourniret le jour de la disparition d’Estelle Mouzin. À l’époque, la compagne de l’Ogre des Ardennes couvre encore ses agissements criminels. Mais Milica P. assure avoir gagné la confiance de sa codétenue en se rapprochant d’elle pendant 11 mois.

« [Monique Olivier] m’a dit qu’un jour de janvier, sans donner de date, Michel [Fourniret] lui a dit dans l’après-midi : C’est un beau jour pour aller à la chasse, a raconté Milica P. dans une interview à France 3 diffusée mercredi soir. Il a dit : Si à 21 heures, je ne suis pas à la maison, tu vas appeler mon fils, moi, je pars à la chasse, j’ai repéré deux petites filles qui sortent de l’école ensemble. » Selon l’ex-codétenue, la compagne de Fourniret a ajouté : « Michel n’était pas en Belgique, c’est moi qui ai passé le coup de fil, j’ai berné la police. » La déposition de Milica P., si elle est à prendre avec prudence, a été l’un des éléments qui a relancé la piste Fourniret.

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