“Des coïncidences troublantes”: l’ombre de Nordahl Lelandais plane sur la mort du frère d’une Niçoise – Nice-Matin

“J’aurai aimé lui parler une dernière fois”

Coucou sœurette. Je voulais prendre de tes nouvelles. Tu peux me joindre sur mon portable“. Ce message déposé sur le répondeur de son téléphone par son frère Ahmed hante encore l’esprit de la Niçoise Aïcha. “J’avais travaillé tard ce jour-là. Je dormais. Je ne l’ai pas rappelé de suite et, après, il était sur répondeur. J’aurai aimé lui parler une dernière fois…“, se désole-t-elle. Ce 8 septembre 2012, l’Azuréenne n’imagine pas que son frère – “ce garçon si drôle, plein d’humour, qui nous faisait tant rire avec ses imitations” -, ne donnerait plus de signe de vie. A jamais. 

Près de dix ans après la disparition d’Ahmed, cette mère de famille accuse le coup. “On se sent abandonnés. Notre frère a disparu en 2012, son crâne a été retrouvé huit ans plus tard, en 2020, par des promeneurs en forêt non loin du fort de Tamié. Depuis, rien n’avance…“, se désole-t-elle comme sa sœur Farida qui vit à Chambéry.

Depuis son appartement niçois, Aïcha Hamadou porte la disparition de son frère Ahmed comme un fardeau quotidien chargé de pourquoi. Les années semblent des siècles et les douleurs ne s’effacent pas. Dans l’esprit de la Niçoise et de ses sœurs, les doutes sont profondément ancrés. Que s’est-il dans la nuit du 8 septembre 2012 au fort de Tamié (Savoie) en marge d’un festival de musiques électroniques pour que cet homme de 45 ans résidant à Chambéry disparaisse à tout jamais? Quelle mauvaise rencontre a-t-il pu faire ce soir-là?

Ahmed Hamadou (à gauche), lors d’une réunion familiale, avec deux de ses soeurs et deux nièces. Photo DR.

Proximité avec Lelandais

L’enquête piétine dès la déclaration de disparition. Ahmed Hamadou reste introuvable, les années passent et “rien ne se passe“, dénonce Farida, l’une des sœurs du disparu. L’affaire est classée. En 2018, les gendarmes rouvrent le dossier. Il y a du Nordahl Lelandais dans les parages. L’ancien maître-chien impliqué dans l’enlèvement le 27 août 2017 de la petite Maëlys de Araujo, 8 ans, à Pont-de-Beauvoisin (Isère) 8 ans et son assassinat, qui doit être jugé ce lundi 31 janvier devant la cour d’assises de Grenoble, pourrait avoir croisé le disparu.

Une cellule spéciale baptisée Ariane (dissoute dans la plus grande discrétion depuis) a d’ailleurs été mise en place, après l’interpellation de l’homme pour l’enlèvement et l’assassinat de la petite fille, pour procéder à des recoupements entre le parcours de l’ancien-maître chien et 900 affaires de disparitions ou morts suspectes. Parmi 40 dossiers mis sous la loupe des enquêteurs dédiés à ces cold cases, figure celui du quadragénaire. La famille Hamadou espère, accompagnée dans leur combat par l’une des grandes spécialistes des “affaires classées” et des tueurs en série, Me Corinne Herrmann, que cette piste soit exploitée jusqu’au dernier élément. 

Pour Aïcha Hamadou, “il y a des coïncidences troublantes. Lelandais était dans l’environnement de mon frère. Ils ont pu fréquenter les mêmes lieux festifs, le même bar PMU, avoir des amis communs“. Lelandais prenait des autostoppeurs sur les bords de route. Ahmed se déplaçait ainsi. Ahmed et Nordahl Lelandais auraient d’ailleurs retiré de l’argent au même endroit, à quelques minutes de différence. Mais pas seulement… Le frère de Nordahl Lelandais est le voisin proche d’un chalet de la famille Hamadou à La Bridoire, une commune de 1.200 âmes. Pour des cousins, c’est quasi certain, ils devaient se connaître. 

Ahmed et Jean-Christophe, Disparus au même endroit, à un an près

Encore plus troublant, Ahmed n’est pas le seul homme à s’être volatilisé au fort de Tamié en marge du festival électro. Un an auparavant, presque jour pour jour, dans la nuit du 10 au 11 septembre 2011, disparaissait Jean-Christophe Morin, 22 ans. Lui aussi aimait faire la fête. Lui aussi se déplace (aussi) en autostop. 

Entre les familles Hamadou et Morin, un lien de “cohérences” s’établit. Unis dans l’ “angoisse de ne pas savoir”. Aïcha confie d’ailleurs un événement incroyable. Face au statu quo de l’enquête concernant Jean-Christophe, le père de Jean-Christophe Morin installe, l’année suivante, en septembre 2012, une caravane près du fort de Tamié. La famille espère recueillir des témoignages pour retrouver le jeune homme. Des festivaliers pourraient se rappeler un détail. “Monsieur Morin va alors apercevoir, un soir, une altercation entre un homme – un certain Yann- et un vigile. Il était agressif. L’entrée leur a été refusée car ils étaient ivres après avoir fait la tournée des bars. A ce moment-là, il a aussi vu mon frère Ahmed s’écarter et partir au loin. C’est difficile pour lui de se dire: Si j’avais su, j’aurai regardé où il allait, qui était avec lui“. 

Les disparus du fort de Tamié, Ahmed Hamadou et Jean-Christophe Morin PhotosDR.

UN crâne identifié en 2020. 

En 2020, la famille Hamadou vit une deuxième choc. Un promeneur dans les bois aperçoit un crâne abîmé près du fort Tamié. L’homme n’ose rien dire dans un premier temps mais, une semaine plus tard, il alerte les gendarmes d’Alberville. Cette découverte macabre les proches d’Ahmed ne l’apprenne que plusieurs mois plus tard. Pour Farida, “il faut se battre sans cesse pour avoir des informations“. En mars 2021, les expertises réalisées permettent de dire qu’il y a une correspondance ADN établie par l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale avec le disparu Ahmed Hamadou. 

Pour Me Corinne Herrmann qui remue ciel et terre auprès des juges d’instruction successifs en charge du dossier à Chambéry, cette découverte essentielle pouvait laisser augurer de nouvelles fouilles, des auditions, des investigations plus poussées. Mais là encore, le silence fige les espoirs des familles Hamadou et Morin. “C’est très compliqué avec la justice. On a écrit plusieurs fois. Deux rendez-vous ont été reportés. On se bat toujours pour que tout soit fait pour connaître enfin la vérité“, commente Farida. 

Deux tragédies dans la famille en trois ans

Il y a, pour Aïcha, un impossible deuil à faire. “On a été dans le déni de sa mort. Puis, il a fallu se faire une raison. Notre famille est brisée. On vit constamment dans une sorte de peur. On surprotège nos enfants mais on veut rester combatif comme nos parents nous ont appris à l’être. On veut connaître la vérité pour notre frère qui avait une telle joie de vivre. Il était un peu naïf parfois mais il avait le cœur sur la main, il  aidait des gens dans la rue. On veut savoir ce qu’il s’est passé”. 

Avec pudeur, Aïcha et Farida évoquent une autre tragédie. La disparition d’un autre frère, Mostafa, en 2015, assassiné de 28 coups de couteau dans un parc de Chambéry. Ce jour-là, un étudiant en psychologie de 21 ans, voulait savoir ce que cela faisait de tuer. Il s’est acharné sur un homme, au hasard.

“On s’est effondré en apprenant ça. Nos deux frères étaient très liés. A la disparition d’Ahmed, Mostafa qui souffrait de bipolarité n’a pas supporté la situation. Son état s’est dégradé. Il était fragile et il a croisé la route d’un meurtrier “, commente Aïcha. Son assassin a été condamné le 30 janvier 2020 à 25 années de réclusion criminelle devant la cour d’assises de la Savoie. 

“Cela tarde trop…”

Meurtris, les Hamadou déplorent un manque de considération de la justice. “C’est trop long. Cela traîne tôt“, commente Farida.

Alors que doit s’ouvrir ce lundi le procès de Lelandais devant les assises à Grenoble, elle a une pensée émue pour les parents de Maëlys. “Ce qu’elle a subi est horrible. C’est un petit ange. Et sans ce petit ange, nous n’aurions pas su qui était cet homme [Nordahl Lelandais], il n’y aurait pas eu d’enquête sur les disparitions non élucidées. Mais, maintenant, il faut que la justice agisse…” Pour la mémoire d’Ahmed.

A ce jour, l’assassin présumé de Maëlys n’est pas formellement impliqué dans les disparitions d’Ahmed Hamadou et de Jean-Christophe Morin. 

Me Corinne Hermann, spécialité? Les cold cases

Spécialisée dans les dossiers criminels non élucidés, elle a suivi la piste des plus grands criminels. La traque aux tueurs en série est tombée dedans il y a quelques années. D’abord du côté de la défense avec Francis Heaulme, puis elle a participé à dénoncer les actes criminels d’Emile Louis.

Depuis plus de 15 ans, dans le cabinet Seban à Paris, avec son confrère Me Didier Seban, elle défend les intérêts du père d’Estelle Mouzin, portée disparue le 9 janvier 2003 en Seine-et-Marne. Elle obtient en 2019, à force de détermination, la mise en examen du tueur des Ardennes, Michel Fourniret. Elle sait faire “parler” les dossiers des disparus. De ceux que la justice oublie, souvent par manque de temps, de moyens financiers aussi. Elle ne lâche jamais.

Elle exhume les dossiers comme les disparitions d’Ahmed Hamadou et de Jean-Christophe Morin n’hésitant pas à remonter le temps, les décennies parfois. “Parce que derrière, il y a des victimes. Des familles“, dit-elle avec humilité.

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