Dernier rebondissement dans la série «Brexit» : le Speaker démissionne – Libération

Observer le Brexit, c’est un peu devenir sismographe. Déceler un détail a priori anodin, la couleur d’une cravate, la présence inhabituelle de l’épouse d’un député dans la galerie du public de la Chambre des communes, et en déduire qu’une nouvelle secousse est imminente. Lundi, le Speaker John Bercow affichait sa cravate des grands jours, un truc difficile à décrire, une sorte de galaxie de planètes et lunes multicolores jetées sur un fond mauve criard. En hauteur, assise dans la galerie qui surplombe les banquettes de cuir vert des députés, sa femme Sally ne le quittait pas des yeux.

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Le Speaker n’a même pas eu besoin de rugir son désormais célèbre «Order !!!». Le silence s’est fait à peine s’est-il assis sur l’espèce de trône d’où il préside les débats de la Chambre des communes depuis dix ans. Il a annoncé sa démission prochaine de son poste de Speaker, mais aussi de député. Il quittera ses fonctions le 31 octobre prochain, soit le jour officiel du Brexit.

Pince-sans-rire

«Au cours de mes années comme Speaker, j’ai cherché à augmenter la relative autorité de cette législature, une initiative pour laquelle je ne m’excuserai auprès de personne, nulle part et jamais», a-t-il déclaré dans une adresse solennelle empreinte d’émotion et aussi de son humour pince-sans-rire caractéristique. «En utilisant une phrase peut-être dangereuse, j’ai aussi cherché à être le “backstop” des backbenchers», a-t-il ajouté sous les rires. Il a eu à cœur d’autoriser un maximum de ces députés sans fonction précise (les backbenchers) à s’exprimer aux Communes, au grand dam des gouvernements successifs de David Cameron, Theresa May et récemment Boris Johnson qui y ont vu une volonté affirmée d’obstruction.

Sa déclaration s’est vite transformée en un clair avertissement lancé au gouvernement. La Chambre des communes est «un endroit formidable, rempli dans sa majorité par des personnes motivées par leur notion de l’intérêt national, leur perception du bien public. Et par leur devoir […] de faire ce qu’ils croient être pour le bien de notre pays. Nous dégradons ce Parlement à nos propres risques et périls», a-t-il averti.

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Une ovation debout a suivi, mais, sans surprise, ce sont les rangs de l’opposition qui se sont levés alors que seuls quelques conservateurs osaient se joindre à l’hommage. Pourtant, initialement, le Speaker avait été élu député sous l’étiquette du parti conservateur, même si sa fonction lui imposait une neutralité absolue. Sa défense incessante du législatif (les députés) face à l’exécutif avait été assimilée par ce dernier à une impardonnable prise de position pour l’opposition. Le gouvernement de Boris Johnson n’avait pas caché son intention de se débarrasser du Speaker après les prochaines élections. Le parti conservateur avait annoncé ce week-end son intention de sélectionner un candidat conservateur contre lui dans sa circonscription de Buckingham pour les prochaines élections, ce qui est contre tous les usages. John Bercow a donc quitté ses fonctions avant d’être poussé dehors.

Le Premier ministre Boris Johnson n’était pas présent pour assister à ce nouveau moment historique. Il était en route pour revenir de Dublin où il était allé rencontrer son homologue irlandais, le Taoiseach Leo Varadkar. Il devait ensuite assister aux débats puis au vote sur des élections anticipées le 15 octobre. La proposition du gouvernement devait, sauf surprise énorme, être catégoriquement rejetée par les députés, comme la semaine dernière. Juste après le vote, le Parlement aura été suspendu jusqu’au 14 octobre prochain. Ce qui signifie que les députés n’auront plus l’occasion de voter pour des élections anticipées avant le 15 octobre. Techniquement et en raison des délais de procédure, des élections ne peuvent donc plus intervenir avant au moins le 20 novembre prochain.

Leçon de politique

A Dublin dans la matinée, une conférence de presse avait réuni Boris Johnson et Leo Varadkar, avant une rencontre d’une petite heure. En dépit des sourires appuyés et des poignées de mains cordiales, l’ambiance était plus que fraîche. Boris Johnson a réitéré son intention de trouver un accord sur le Brexit, avant d’insister sur le fait qu’une sortie de l’UE sans accord représenterait «un échec de leadership politique pour lequel nous serions tous responsables».

L’air un peu pincé, Leo Varadkar lui a répliqué avec une leçon de politique en rappelant qu’il était «ouvert à des alternatives au backstop», à condition qu’elles soient «réalistes». Et en soulignant n’avoir «reçu aucune proposition en ce sens» du gouvernement britannique. Une fois de plus, Boris Johnson est apparu gêné, vague et mal à l’aise. Grand admirateur de l’antiquité et adepte des citations des grands classiques, il a été pris à son propre jeu par Leo Varadkar. «Négocier des accords de libre-échange avec l’UE et les Etats-Unis et obtenir leurs ratifications en moins de trois ans représentera pour vous une tâche herculéenne. Nous voulons être votre ami et allié, votre Athéna, en poursuivant ce but», a-t-il dit, imperturbable. Le Premier ministre britannique a souri, légèrement interloqué. Dans les récits mythologiques, Athéna soutient son demi-frère Hercule alors qu’il accomplit ses douze travaux. Mais elle le sauve aussi de sa propre folie (il a tué entre autres sa femme et ses propres enfants) en utilisant un moyen simple et radical : elle l’assomme d’un coup sur la tête.

Sonia Delesalle-Stolper Correspondante à Londres

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