Dépression printanière et communauté en ligne

Dépression printanière et communauté en ligne

Pendant les épisodes des confinements, on a beaucoup dit et écrit que les réseaux sociaux et les plateformes d’interactions numériques permettaient de ne pas se sentir trop seul. On n’est plus confiné, mais les actuels évènements sociaux font qu’on est de nouveau à moitié enfermé.

publicité

Marathon parlementaire

On va tout de suite évacuer le sujet — et implorer la clémence de mon rédacteur en chef bien aimé — si je vous parle de la réforme des retraites au lieu d’un film, d’une série ou d’un livre, c’est tout simplement que j’ai la tête vide. J’ai vu The Glory sur Netflix, que j’ai détesté. J’ai vu Pretty Little Liars — Original Sin — que j’ai adoré. J’ai commencé Mom, que j’aime beaucoup, mais qui est assez noir. Je vois des bouts de chronique se dessiner pour vous en parler, sans arriver à construire un tout cohérent. Et en ce qui concerne mes lectures, disons que même en cherchant bien, je ne vois pas vraiment comment vous parler, dans Zapping Décrypté, de l’Archipel du Goulag.

Imaginez que vous vous retrouviez à travailler pendant six semaines, presque sans interruption, samedi, dimanche et nuits compris, un sujet que vous haïssez profondément (la réforme des retraites). J’ai pris sur moi, j’ai suivi les débats, j’ai décortiqué le texte, j’ai modéré mon salon Discord.

La chute, vous la connaissez. Je ne dirai pas ce que je pense du texte en lui-même ni des derniers épisodes qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale. Non seulement ce n’est pas le propos, mais, si c’est encore pour me retrouver avec des énervés du clavier qui vont m’attribuer une étiquette politique, non merci, je n’ai plus la force. Quant à la forme, tout a déjà été écrit sur Projet Arcadie.

Incidents et modération

Le résultat de la motion de censure a été accueilli avec un certain dépit par beaucoup de personnes. Quand on travaille dans les médias, surtout quand on est un média parlementaire, il est difficile d’en faire abstraction. À la rigueur, on peut couper la télévision, éteindre son compte Twitter professionnel pour la soirée, mettre un dessin animé (ou un film d’horreur) et oublier le reste du monde.

Sauf quand on a un salon Discord. Dans l’ensemble, ma communauté est relativement civilisée, calme et modérée. J’attribue cette modération à l’âge moyen des membres. Mais, les derniers évènements en ont survolté certains. Au point qu’il a fallu littéralement leur couper le sifflet. En analysant la situation, je me suis rendu compte que je le faisais pour deux raisons.

La première était pour garder un certain calme général. La seconde était plus égoïste : j’arrivais tout simplement à saturation. Quand on y pense, avoir en permanence sous les yeux des propos de colère, des images de violence, ce n’est pas reposant pour un esprit humain. Cela devient toxique. Au point où j’ai fait rire mes modérateurs en leur demandant si je pouvais quitter mon propre salon Discord.

Ma communauté est modeste, donc tout reste gérable dans l’absolu. Et c’est en écrivant ces lignes que je repense à un podcast de BFM TV sur le burn-out des Youtubeurs. Je n’ai pas eu le temps de l’écouter, mais, en voyant l’annonce, j’avais souri de façon ironique. Mea culpa : je n’aurais pas dû.

Internautes toxiques

Les Youtubeurs, les Twitcheurs, les nouveaux médias, nous sommes des médias à part entière, chacun avec nos spécialités. Mais, nous sommes globalement plus fragiles. Statutairement, la plupart d’entre nous ne sont pas reconnus comme journalistes. Parfois, on arrive à être reconnu comme média ou agence de presse, mais, croyez bien que c’est compliqué.

Financièrement, on peut s’en sortir, mais il ne faut pas espérer faire des projets à long terme. La réalité est qu’on vit au jour le jour. Moralement, c’est plus compliqué. On est plus isolé, même avec une communauté. J’ai presque envie de dire « surtout avec une communauté ».

En réalité également aussi, on ne peut jamais souffler. Vous seriez surpris du nombre de messages que je reçois sur les réseaux sociaux les soirs, les week-ends, les jours fériés, même en dehors de l’actualité politique dite chaude. J’ai arrêté d’y répondre. J’ai aussi arrêté de répondre aux gens qui me posent des questions basiques. Je masque les internautes qui s’incrustent dans des conversations. Je bloque les insultes.

On n’est pas des distributeurs de réponses, on est des êtres humains et au bout d’un moment, avoir une cinquantaine de notifications tous les matins, c’est usant. Le lecteur pourrait se dire « il suffit d’arrêter de répondre ». Justement : la plupart des Youtubeurs, Twitcheurs et nouveaux médias ne le peuvent pas. On reçoit d’une communauté, il faut aussi « donner ». Le jour où la communauté n’est plus là, c’est simple : il n’y a plus d’argent. Or, la plupart sont à leur compte et sont donc exclus des prises en charge des risques psychosociaux. La seule façon d’arrêter est de faire autre chose, ce qui n’est pas simple. Ou de changer d’environnement, ce qui n’est pas simple non plus.

Évidemment, nous sommes des privilégiés, dans le sens où nous avons choisi nos métiers, nous sommes assez libres de nos mouvements et on a une certaine notabilité. Pour autant, cela n’empêche pas de s’interroger sur nos propres pratiques. On fait souvent le procès des plateformes, mais les plateformes sont alimentées en premier par des individus. Quand vous interpellez quelqu’un sur un réseau social, est-ce que vous vous souvenez que de l’autre côté, il y a un être humain ? Quand vous déversez votre colère dans un espace communautaire, réalisez-vous que vous vous défoulez sur des gens qui ne vous ont rien fait ? Et nous, comment on fait pour ralentir ?

Mais, il faut voir le bon côté des choses : si nous, les nouveaux médias, on arrive à tenir le choc, techniquement, on peut survivre à tout. Finalement, les communautés en ligne ne sont qu’une expression technique du darwinisme social.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *