Dans la tête des complotistes

Dans la tête des complotistes

C’est une autre épidémie qui submergé la planète pendant le COVID-19 et dont nous ne sommes toujours pas sortis : le complotisme. Cela va des gentilles théories relatives aux extra-terrestres aux délires les plus nauséabonds sur le contrôle de la population. Autant l’admettre d’entrée de jeu : l’auteur de ses lignes n’a aucune sympathie ni patience pour les complotistes. Ce qui explique pourquoi le livre de William Audureau était important : il permet de comprendre certains mécanismes.

Décrochage mental

Le premier élément qui frappe quand on lit William Audureau est la similitude des mécanismes entre le complotisme et la radicalisation. L’auteur admet volontiers avoir passé beaucoup de temps sur les écrits relatifs à la radicalisation islamiste et avoir certainement un biais intellectuel. Néanmoins, certains traits ressortent.

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Le premier est le plus évident : une cassure humaine. Dans le livre sur les profils des radicalisés écrit par Hakim El Karaoui et Benjamin Hodayé, on notait qu’il y avait un point de bascule dans la vie des militants du djihad : une rupture, une agression sexuelle, un décès, un licenciement, etc. Un élément extérieur que le sujet ne peut pas contrôler vient chambouler la vie de la personne. Il cherche une explication, un réconfort ou un exécutoire. Le phénomène de communauté du complotisme est d’ailleurs finement analysé : se réfugier dans des théories qui n’ont pas de sens, ouvre les portes d’une nouvelle sociabilité. Certains interviewés parlent même d’une nouvelle famille. Elle isole le sujet des autres et en même temps, la protège contre des agressions extérieures. Au-delà de la similitude avec la radicalisation religieuse — toutes confessions confondues — on retrouve aussi ce schéma dans les dérives sectaires. Le raisonnement est toujours le même : nous contre le reste du monde, qui flatte l’égo.

Le deuxième point de ressemblance est le niveau académique. En un mot, faire de longues et brillantes études ne protège ni contre le complotisme, ni contre les dérives sectaires, ni contre la radicalisation religieuse. Aussi difficile que cela soit de l’admettre, tous les complotistes ne sont pas analphabètes. Paradoxalement, c’est un problème : on n’est pas en face de gens qui n’ont pas d’analyse critique, mais la part de croyance dans le raisonnement général a pris le dessus. Ils sont persuadés qu’une partie du discours est mensonger, mais ne font pas cette même analyse envers ceux qui leur disent ce qu’ils ont envie d’entendre.

William Audureau souligne également qu’il existe des gradations : tous les partisans des théories du complot ne vont pas prendre pour argent comptant toutes les allégations fantaisistes. Certains vont adhérer à une théorie spécifique et s’arrêter à cela. D’autres vont aller plus loin. En cela, Internet est l’outil de prédilection. C’est d’ailleurs la principale différence avec la radicalisation religieuse : on peut parfaitement devenir complotiste « juste » en surfant sur le Web. Le jeu des algorithmes — pour simplifier à outrance — fait que si on regarde une vidéo complotiste, les plateformes en proposent spontanément une autre. La logique est la même sur Twitter ou Facebook. Si vous cherchez une page de complotistes ou que vous lisez les tweets d’un compte complotiste, les plateformes vous proposent des contenus similaires.

Renversement

Les confinements ont donné lieu à une accélération dans le processus complotiste. Privées d’interactions sociales réelles à l’extérieur, les personnes se sont réfugiées sur les réseaux sociaux, les forums, les espaces de discussion divers. Certains ont basculé, au grand désarroi de leurs entourages. C’est d’ailleurs une question soulevée : comment faire revenir quelqu’un qui est tombé dans le complotisme ? C’est l’un des atouts majeurs du livre de William Audureau. Sans avoir la prétention de donner une méthode scientifiquement sûre, efficace et valable à 100 %, il explique comment maintenir le dialogue avec un complotiste. Spontanément, on peut se dire « cette personne a perdu pied, qu’elle se débrouille » et rompre les liens. Mais comment faire quand c’est une personne de son cercle familial ? L’auteur donne quelques pistes à explorer, qu’il a lui-même testé, avec un certain succès.

Peut-on sortir du complotisme ? Oui, mais comme dans tous les schémas néfastes, la désintoxication ne se fait pas sans heurt ni douleur. William Audureau le dit clairement : il n’y a pas de formule magique dans ce domaine. Chaque personne va réfléchir et agir différemment. Celui qui prétend que sa méthode de déradicalisation ou de désintoxication mentale fonctionne de manière universelle raconte des mensonges. Certains sont tellement avancés dans le complotisme qu’ils ont perdu toute forme extérieure de sociabilisation. Ils vivent en vase clos. On hésiterait presque à employer un mot, terriblement connoté : la possession. Mais il n’y a pas d’exorcisme infaillible dans ce domaine.

L’approche — qui consisterait vendre une méthode miracle de désintoxication du complotisme — serait vouée à l’échec, car elle est focalisée sur l’individu. Or, il y a une chaîne de responsabilité. À l’autre bout du spectre, il y a les marchands du complot.

C’est d’ailleurs le point faible du livre, mais on admettra que le sujet nécessite un ouvrage à part entière. En un mot comme en cent : la désinformation et le complotisme rapportent énormément d’argent. L’investissement de départ est minime : un nom de domaine, un serveur et c’est tout. Le ticket d’entrée est faible, mais la rentabilité des investissements peut être important. Entre les publicités sur les sites, la monétisation des chaînes YouTube, la vente de produits, l’affiliation, même un mauvais complotiste peut se dégager un revenu confortable tous les mois. La multiplication des plateformes que l’on peut qualifier d’alternatives renforce la présence des marchands d’intox. Quelqu’un qui est banni de Twitter s’installe sur Mastodon. Par ailleurs, la présence dans les médias traditionnels de certains partisans des théories du complot renforce l’emprise qu’ils ont sur ces personnes. Certaines chaînes de télévision se sont presque spécialisées dans les invitations de farfelus.

Dans la tête des complotistes est un livre très bien écrit, pertinent et intéressant, qui permet d’appréhender le phénomène de manière intelligente.     

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