Crise des sous-marins : la France peut-elle bloquer l’accord de libre-échange entre l’UE et l’Australie ? – Le Parisien

Jean-Yves Le Drian ne décolère pas. Six jours après l’annonce australienne de la rupture du gigantesque contrat conclu en 2016 avec la France, prévoyant la livraison de douze sous-marins, le champ lexical pour le moins virulent et inhabituel sur la scène diplomatique du ministre des Affaire étrangères n’a pas varié d’un iota. Il s’agit bien d’une « rupture de confiance dans les alliances » de la France et de ses alliés, martèle-t-il encore ce lundi matin dans les colonnes de Ouest-France.

Après l’annonce australienne, la France avait décidé d’annuler une réception à Washington, censée célébrer l’anniversaire d’une bataille navale décisive de la guerre d’indépendance des États-Unis. Elle avait également décidé de rappeler, fait historique, ses deux ambassadeurs aux États-Unis et en Australie.

La France pourrait-elle être tentée d’activer d’autres moyens de pression ? Un dossier refait surface depuis plusieurs jours : les négociations conduites à Bruxelles en vue de conclure un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie. Le dossier, initié en 2018, fait toujours l’objet de réunions à la Commission européenne. Et Paris semble tenté à l’idée de peser pour bloquer l’avancée du dossier.

C’est Clément Beaune qui le premier a mis le sujet sur la table. « On a des négociations commerciales avec l’Australie, je ne vois pas comment on peut faire confiance au partenaire australien », indiquait vendredi le Secrétaire d’État aux Affaires européennes. Auprès de nos confrères de Politico, il ajoutait dimanche qu’il était désormais « impensable » de poursuivre les négociations avec Canberra.

Bruxelles tempère

La France a-t-elle seulement le moyen de bloquer ou de freiner la conclusion de l’accord ? « Le dossier est complexe et cet accord concerne toute l’Europe et non seulement la France, commente le député LREM de Moselle Ludovic Mendes, également rapporteur de la proposition de résolution européenne relative aux négociations en vue de cet accord. Je rappelle aussi que les négociations concernent également la Nouvelle-Zélande, il ne faudrait pas que ce volet fasse les frais des tensions qui règnent avec l’Australie. »

À y regarder de plus près, la France semble avoir un vrai pouvoir d’obstruction d’un point de vue technique. Et ce du fait même de la procédure de négociation des accords commerciaux. « Elles sont menées par la Commission européenne sur la base de directives votées par les États membres, précise Alan Hervé, professeur de droit public à Sciences-po Rennes et spécialiste du sujet. Une fois les négociations achevées, l’accord doit être signé par le Conseil européen. La règle veut qu’une majorité qualifiée est nécessaire pour valider un accord. Mais dans les faits, jamais un accord n’a été voté sans consensus de tous les États. »

Le professeur n’imagine pas un instant le Conseil européen signer un texte contre l’avis français. « On le voit d’ailleurs sur d’autres dossiers, comme le Mercosur, même si la France n’est pas isolée. Sans consensus, les dossiers prennent du retard. »

Reste que pour le moment, la France paraît bien isolée sur le dossier australien et ses voisins semblent vouloir s’en tenir le plus loin possible. En réaction à l’annulation du contrat franco-australien, Berlin a simplement dit prendre « note » de la situation de crise. Le député Nicolas Mendes rappelle de son côté que la France prendra en janvier prochain la présidence de l’Union européenne. « Nous allons avoir des responsabilités, nous ne pouvons pas nous enfermer mais nous pouvons faire comprendre à l’Union européenne la nécessité de se mettre en alerte sur la base de ce qui s’est passé avec la France. »

Un enjeu que la France semble avoir parfaitement compris. Lors d’un point presse ce lundi, le Quai d’Orsay a rappelé que « la conduite de cette négociation est une compétence exclusive de la Commission européenne, qui dispose d’un mandat en ce sens. » La France, poursuit-on, « défendra ses intérêts dans le cadre du mandat qui est donné à la Commission, comme nous le faisons dans le cadre de toutes les négociations commerciales qui sont conduites au niveau européen ».

Certes, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen estime ce lundi que la France a été traitée de façon « inacceptable ». Mais à Bruxelles, on est encore loin d’acter un bouleversement du calendrier de négociations. « À l’issue du dernier tour avec l’Australie, qui a eu lieu en juin, il a été convenu que le prochain aurait lieu en octobre, fait savoir au Parisien Miriam Garcia Ferrer, porte-parole à la Commission européenne, en charge du commerce et de l’agriculture. C’est l’état actuel des choses. Nous sommes en train d’analyser les conséquences de l’annonce de l’Aukus (l’accord tripartite États-Unis/Royaume-Uni/Australie) sur ce calendrier. »

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