Crise des sous-marins : Comment la tension diplomatique entre la France et les Etats-Unis s’aggrave – 20 Minutes

La France n’a finalement pas fait que ranger ses petits-fours. Paris a décidé de rappeler ses ambassadeurs à Washington et Canberra. C’est la dernière conséquence diplomatique en date liée au choix de l’Australie de rompre le contrat de 56 milliards d’euros de sous-marins que la France devait lui fournir, aux profits des Américains. L’exécutif français a donc décidé de hausser le ton vis-à-vis des Etats-Unis, qui ont embarqué l’Australie et le Royaume-Uni, mais pas la France, dans une nouvelle alliance militaire dans le Pacifique. La crise diplomatique est désormais bien ouverte. 20 Minutes fait le point.

Le rappel des ambassadeurs est-il un évènement important ?

C’est simple : cela n’est jamais arrivé entre les deux pays. La France, plus vieil allié des Etats-Unis, depuis la Guerre d’indépendance, n’avait jamais rappelé son ambassadeur à Washington. Et vice-versa. « Et pourtant les crises n’ont pas manqué ! Même au moment de la crise de Suez, même au moment du retrait de la France du commandement intégré de l’Otan, même au moment de la guerre d’Irak », affirme à 20 Minutes la spécialiste des Etats-Unis, Nicole Bacharan. Le rappel d’un ambassadeur est traditionnellement une « arme » diplomatique qui marque une crise entre deux pays. Le fait que ce soit, en l’occurrence, inédit, ne fait que renforcer le symbole.

Avec cette décision, il semble clair que Paris ne veut pas laisser passer ce qui apparaît tout de même comme une humiliation publique. « Les Etats-Unis et l’Australie ont joué la comédie aux Français », juge Nicole Bacharan. Le New York Times fait le récit de toutes les rencontres qui ont eu lieu ces derniers mois entre Français et Américains ou Australiens. Sans que rien de l’accord en train d’être négocié ne transparaisse. Même lors d’une rencontre entre Florence Parly et son homologue de la défense australienne en… août. « On peut supposer qu’il n’était pas dans la boucle, qu’il a très mauvaise mémoire ou qu’il a décidé de ne pas révéler ce qu’il savait », dit ironiquement The Guardian à Londres. Dans les milieux diplomatiques américains, devant l’ampleur de la crise, on commence d’ailleurs à reprocher aux Australiens de ne pas avoir prévenu les Français plus tôt.

Peut-on parler de faux pas diplomatique de la part de Joe Biden ?

Ni la France ni l’Union européenne ne peuvent plaider la surprise : le « pivot vers l’Asie » des Etats-Unis, cela fait plus de dix ans que Washington le laisse entendre. Sans vraiment d’actes jusque-là, c’est vrai. « Les Etats-Unis, mais aussi l’Australie, ont eu ce qu’ils voulaient au moins à court terme, pense Nicole Bacharan. Mais ce n’est pas un grand succès vis-à-vis de l’Europe. » Washington reproche aux Européens de louvoyer à propos de la Chine. Or, ce « brusque pivot », comme le nomme le New York Times, n’est clairement pas là pour faire embrasser aux Européens le point de vue américain, pense Nicole Bacharan.

Joe Biden commence à avoir mis beaucoup de pierres dans beaucoup de jardins d’alliés européens. Une source allemande a expliqué à un chroniqueur du Washington Post que les Européens étaient moins consultés sous Biden que sous Trump. Même la Pologne, un des pays les plus atlantistes de l’Union européenne, dit avoir été « jetée sous le bus » quand Joe Biden a autorisé la fin des travaux du gazoduc NordStream 2 entre la Russie et l’Allemagne. « Les États-Unis diront qu’il s’agit de ”construire des alliances solides, avec l’Allemagne et l’Australie”. Mais qui souffre ? D’autres alliés », déclare Michal Baranowski, chef du bureau du German Marshall Fund en Pologne, au New York Times. Même Justin Trudeau, le premier ministre canadien, a fait part de son irritation de ne pas être de l’alliance pacifique. Ces divisions chez les Occidentaux « ne peuvent que faire l’affaire de Poutine et même de la Chine », craint Nicolas Bacharan.

Le rafraîchissement entre la France et les Etats-Unis peut-il durer ?

Les stratèges américains pensent que la situation va se tasser. On ne devrait néanmoins pas faire l’économie d’une période de froid entre Paris et Washington. « Je ne vois pas Macron passer l’éponge tout de suite, il a quand même pris une claque personnelle », croit Nicole Bacharan qui vient de sortir avec Dominique Simonnet Les Grands Jours qui ont changé l’Amérique (Perrin). Avant l’escalade de ces dernières heures, Jean-Eric Branaa estimait néanmoins auprès de 20 Minutes que ni la France ni les Etats-Unis n’avaient intérêt à faire monter la sauce trop longtemps. Parce que la France n’est pas si importante, d’un côté, et que les Etats-Unis ont tout de même d’une bonne relation avec elle, de l’autre.

Le froid donc, mais jusqu’à quand ? Nicole Bacharan pense que le rapprochement se fera à la faveur d’une future crise avec la Russie, la Chine ou un autre régime autoritaire. A ce moment-là les deux camps devront bien se rapprocher car les Etats-Unis et l’Europe ont mutuellement besoin l’un de l’autre. « Ce sont des démocraties, qui ont des intérêts bien plus proches qu’avec les Etats autoritaires. L’Otan n’est de toute façon pas basé sur l’amour ou l’affection mais sur des intérêts communs entre Etats. »

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