Crash du vol Ajaccio-Nice en 1968. Macron demande la levée du secret défense, le mystère bientôt résolu ? – Ouest-France éditions locales

Pour faire toute la lumière sur le crash du vol Ajaccio-Nice, survenu le 11 septembre 1968, Emmanuel Macron a demandé à la ministre des Armées Florence Parly de saisir la commission de la Défense nationale afin d’obtenir la levée du secret défense sur des documents classifiés. 51 ans après ce drame, qui a coûté la vie à 95 personnes, la vérité va-t-elle enfin éclater ? Un missile aurait-il causé la perte de la Caravelle d’Air France ? Retour sur un vol qui aurait dû être sans histoire.

« On va crasher si ça continue ». Ce mercredi 11 septembre 1968, le commandant de bord Michel Salomon lance son dernier appel à la tour de contrôle de Nice. Il est 10 h 32. Moins d’une minute plus tard, le dernier écho radar s’efface des écrans. Le vol 1611 d’Air France, parti d’Ajaccio pour rallier Nice, vient de s’abîmer en Méditerranée, à une quarantaine de kilomètres de sa destination.

La Caravelle SE-210 F-BOHB frappe la mer à plus de 900 km/h et se désintègre. Aucun survivant. Les six membres d’équipage et les 89 passagers sont tués sur le coup. Parmi les victimes, 13 enfants. Mais aussi le directeur départemental de Ouest-France dans l’Orne, Marcel Poisson, le copilote originaire d’Alençon, Emile Duvinage, une hôtesse de l’air née à Saint-Brieuc, Geneviève Tricot, et un passager de l’Orne.

« On a… des ennuis… »

Tout de suite se posent les questions : pourquoi ? comment ? L’appareil est récent, a été révisé, l’équipage est chevronné, la météo favorable, comme le confirme le rapport officiel du BEA, publié le 14 décembre 1972.

Jusque-là, le vol s’était parfaitement déroulé. Ajaccio-Nice, une liaison de routine, même pas 300 km. En cette fin d’été, la météo est calme : quelques nuages, mais un vent quasi nul. Le décollage a eu lieu normalement à 10 h 09, et l’avion s’est signalé aux points successifs prévus par le plan de vol.

Soudain, à 10 h 30, alors que l’avion est en descente entre 2 700 m et 2 100 m, le commandant lâche cette phrase : « On a… des ennuis… » Il demande à Marseille Contrôle – le centre de contrôle régional du Sud-Est – l’autorisation d’une approche directe.

Immédiatement autorisé à descendre et à contacter la tour de contrôle de Nice, le commandant ajoute : « On a… le feu ». Il est 10 h 31. Une minute après, c’est le dernier contact radio. Et encore une minute plus tard, le crash.

Corps et débris fragmentés

Que s’est-il passé ? Les quelques corps récupérés et les débris rapportés à terre, fragmentés, ont tous été localisés dans un cercle d’à peine 300 mètres. Aucun doute : le choc a été violent, et l’appareil était certainement entier lorsqu’il a percuté la mer.

Toujours selon le rapport officiel, « les pièces transportées à l’aéroport de Nice comprennent des éléments portant des traces de combustion ou d’échauffement, voire des dépôts de suie ». Parmi eux, une bordure de lavabo, un aérateur, une trentaine de tablettes amovibles, une vingtaine d’accoudoirs de sièges, 24 gilets de sauvetage…

Lors de campagnes successives, fin 1968, puis de 1969 à 1971, des dragages sont effectués pour remonter des objets reposant par 2 000 à 2 600 m de fond.

Au total, près de 10 tonnes de débris sont collectées. Il faut plus de 4 000 heures de travail pour les identifier et les analyser.

Un extrait de la carte du rapport officiel du BEA, publié en 1974. On voit les points successifs (en heure GMT) du vol et le point de crash. | BEA

La boîte noire est déclarée « inutilisable »

Pour quel résultat ? C’est là que commence le mystère du vol 1611. Mystère rendu plus épais par le fait que la boîte noire présente à bord, retrouvée, est rapidement déclarée « inutilisable par son séjour dans l’eau de mer ». Une société privée s’est pourtant proposée d’analyser son contenu, mais elle s’est heurtée à un refus implicite de la commission d’enquête.

La thèse officielle affirme très rapidement qu’un incendie a touché les toilettes et la cuisine situées à droite de l’appareil. « Au moment où le foyer de l’incendie a été décelé, indique le rapport du BEA, le dégagement de vapeurs toxiques était déjà tel qu’il interdisait à l’équipage l’accès à cette partie de l’avion ». À l’origine de ce sinistre, trois pistes : le court-circuit d’un chauffe-eau, une cigarette mal éteinte jetée par un passager dans le récipient des serviettes usagées (les vols étaient fumeurs à l’époque) ou la mise à feu d’un engin incendiaire.

D’un autre côté, l’hypothèse d’un missile perdu ayant abattu l’appareil par erreur est rapidement avancée et notamment soutenue par l’Association des familles des victimes du crash de la caravelle Ajaccio-Nice (AFVCCAN).

Le rapport du BEA s’emploie à combattre cette thèse : « Une collision avec un missile aurait, selon toute vraisemblance, causé des dommages majeurs à la structure de l’avion et celui-ci ne serait pas resté contrôlable pendant une durée supérieure à 3 minutes ».

La “une” de Ouest-France au lendemain du drame, le 12 septembre 1968. | OUEST-FRANCE

Des exercices militaires pour vendre des missiles

Sauf que… Sauf que des exercices aéronavals français avaient bel et bien lieu au même moment dans cette zone. Et que la Caravelle a pu être touchée par un missile d’entraînement, donc dénué de charge explosive – à cette époque, la France multiplie les exercices en Méditerranée pour vendre ses missiles A50 et ATM.

Dès le 21 septembre 1968, la thèse est avancée par Paris Match, dans son article « Les 268 secondes d’agonie de la Caravelle Ajaccio-Nice » : « Des exercices militaires se déroulaient dans la zone où se trouvait l’appareil. Cet article propose trois hypothèses sur le drame, y compris l’impact d’un missile d’exercice ».

Pour les auteurs du livre « Secret d’État » (Ramsay, 2008), Max Clanet et Jean-Michel Verne, qui ont enquêté sur ce crash, « les missiles d’exercice n’ont pas de charge de poudre, mais ils sont munis d’une tête chercheuse. Pour exclure totalement le doute, l’enquête devra rechercher si tous les missiles éventuellement employés dans cette région ont été récupérés ».

Un rapport « truffé d’erreurs »

Au fil des mois, enquêtes et contre-enquêtes se succèdent. Le rapport officiel est pointé du doigt : maigre (une vingtaine de pages), « il est truffé d’erreurs », affirme l’AFVCCAN et « il manque même le nom d’une des passagères, Suzanne Lafont ».

Par ailleurs, au fil du temps, les témoignages se multiplient, qui vont tous dans le sens d’un missile à l’origine du crash : une lueur bleue qui vient percuter un avion de ligne décrite par un témoin présent au port de Golfe Juan, les confidences d’un militaire qui avait un peu trop bu avouant la responsabilité d’un missile français dans ce crash, un télex confidentiel vu par un appelé du ministère de l’Air à Paris, le secrétaire militaire de la Préfecture maritime de Toulon affirmant avoir dactylographié un rapport classé secret défense mentionnant que le vol 1611 avait bien été abattu par un missile français après une erreur d’identification de cible…

Trois jours après le crash du vol 1611, le commandant de bord Jacques Lalut décolle de Marseille à bord d’une Caravelle à destination de Tunis. Très vite, son regard est attiré par une traînée lumineuse que lui et son copilote identifient comme un missile. « Si nous avions décollé vingt secondes plus tôt, explique Jacques Lalut, nous aurions été à portée du missile attiré par les 600 degrés de sortie des réacteurs ». Ce tir de missile sera confirmé le jour-même par les militaires.

Dans ce contexte où deux thèses contradictoires s’opposent depuis cinq décennies, la décision d’Emmanuel Macron de saisir la commission de la Défense nationale afin d’obtenir la levée du secret défense sur des documents classifiés permettra peut-être d’expliquer enfin avec certitude, 51 ans après les faits, la mort de 95 personnes.

Partager cet article Une Caravelle III SE-210 semblable à celle du vol 1611 qui s'est crashé en Méditerranée voici 51 ans.

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