Covid-19 : un décret a-t-il autorisé la prescription de chloroquine à tous les patients avant d’être modifié ? – Libération

Bonjour,

Votre question se rapporte au décret publié mercredi (et précisé cet après-midi), et aux abondants – et confus – commentaires qu’il a suscité. Un point a fait particulièrement fait débat ces deux derniers jours : pour quels patients «Covid+», et selon quel critère de gravité cette option thérapeutique pouvait être envisagée.

Reprenons depuis le début.

Lundi, Olivier Véran annonce la publication prochaine d’un décret afin de fournir un cadre légal aux recommandations officielles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur l’usage de l’hydroxochloroquine. Le ministre de la Santé rappelle que le HCSP préconise de réserver cet usage «aux malades graves hospitalisés».

Deux jours plus tard, mercredi 25 mars, le décret annoncé est publié. Certains internautes notent qu’il ne mentionne pas explicitement ce critère de gravité spécifié par le ministre deux jours plus tôt.

De fait, le texte énonce alors seulement que «l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir [peuvent] être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints par le Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge». Le texte autorise également cette prescription pour «la poursuite du traitement à domicile», si l’état du patient le permet, «et sur autorisation du prescripteur initial».

La réaction sur Twitter du professeur Raoult, remerciant Olivier Véran pour son écoute, laisse également penser que la position des autorités a changé. De nombreux internautes vont jusqu’à colporter l’idée que les autorités «généralisent le traitement».

Des déclarations de la DGS qui manquent de clarté

D’autant que les réponses à la presse du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, lors de son point quotidien sur l’épidémie, nourrissent la confusion. A la question : «Est-ce que le décret sur la chloroquine interdit officiellement aux médecins de prescrire du Plaquénil aux patients Covid+ ?» Il répond : «Il n’y a pas d’interdit en France, les médecins ont le droit de prescrire dans le cadre de l’AMM ou hors AMM sous leur propre responsabilité. Il y a ici un cadre d’autorisation temporaire d’utilisation. Il y a un troisième cadre qui sont l’ensemble des essais thérapeutiques en cours, [qui ne sont] pas que pour des patients graves, de réanimation, mais aussi des essais de traitement précoce […].»

Puis, à la question : «A propos du décret sur l’hydroxychloroquine, est-ce seulement pour les cas les plus graves, ou pour tous les cas hospitalisés ?» Il répond : «Tout patient qui rentre dans un protocole avec l’accord de son médecin responsable peut être inclus dans un essai à partir du moment où on respecte le cadre de cet essai. Comme je vous l’ai dit, cela peut concerner des patients de ville, puisque certains professionnels nous proposent des essais en ville. Cela peut être des protocoles concernant des patients en stade précoce, au stade tardif, en réanimation […].»

Le décret rend-il la chloroquine accessible à tous, sans conditions ?

Les critères d’autorisation d’usage de la molécule ont-ils changé entre les déclarations initiales d’Olivier Véran et la rédaction du décret ? «Pas du tout», répondait hier à CheckNews le cabinet du ministre, nous assurant que «rien n’a[vait] évolué» depuis la prise de parole d’Olivier Véran en début de semaine. Et d’expliquer en substance que le décret «renvoie à l’avis du Haut Conseil, et n’y substitue pas».

Or cette recommandation, en ce qui concerne les prescriptions hors essais thérapeutiques, préconise de réserver l’hydroxychloroquine aux cas graves à l’hôpital. Dans le contexte d’inclusion de patients dans des essais thérapeutiques, aucun critère de gravité n’est fixé.

Que disait l’avis du HCSP ?

Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique, nous confirme que les recommandations pour un usage hors essais cliniques sont bien liées à un critère de gravité, et s’en explique : «Nous avons considéré qu’une “forme grave” était une pneumonie “oxygéno-requérante”. C’est-à-dire que, dès lors que vous êtes obligé d’hospitaliser quelqu’un et que vous êtes obligé de le mettre sous oxygène, avec une surveillance de la saturation du sang en oxygène, c’est une forme grave. Soyons bien d’accord : on ne parle pas d’une forme [qui nécessite une] réanimation, mais bien d’une forme qui nécessite une hospitalisation et qui nécessite de l’oxygène.»

Pour employer d’autres termes : «Une forme grave, c’est une forme qui nécessite autre chose que le traitement symptomatique d’une infection virale. Pour nous, qui dit “hospitalisation avec oxygénothérapie” implique nécessairement “cas grave”.»

La prise en charge de ces formes graves a pour but d’éviter que le cas ne s’aggrave encore plus, imposant un transfert en réanimation : «Nous considérons que dès lors que des soignants décideraient collégialement de traiter les patients avec un antiviral – quel que soit l’antiviral choisi – il faut l’initier le plus tôt possible. Et surtout, enregistrer les patients dans la cohorte “French-Covid”, de façon à pouvoir disposer de ces données.»

Dans ses recommandations, le HCSP rappelait en revanche «les très fortes réserves sur l’utilisation de l‘hydroxychloroquine, liées au très faible niveau de preuve» actuellement disponibles. De même, il rappelait «qu’il n’existe actuellement pas de données» permettant d’envisager l’utilisation de ce traitement de façon préventive.

Un décret complété pour limiter les erreurs d’interprétations

Ce vendredi, une précision a finalement été apportée au décret de mercredi pour confirmer que le décret se conforme en tout point à l’avis du HCSP. Le premier alinéa est notamment complété par la phrase suivante : «Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique et en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe.»

Les propos de Jérôme Salomon, jeudi, sont-ils en contradiction avec l’une ou l’autre version du décret ? Dans sa réponse évoquant le traitement possible de patients au stade précoce, le directeur général de la Santé faisait en réalité un distinguo entre la prescription de chloroquine par un médecin «hors essais cliniques» et «dans le cadre d’essais cliniques». Les prescriptions d’hydroxychloroquine, dans ce second contexte, obéissent en effet à des règles différentes, sont régies par un autre cadre.

«Ces essais thérapeutiques en cours ne sont pas que pour des patients graves en réanimation. Ils sont aussi pour des essais de traitement précoce, il peut même y avoir des essais en prophylaxie, en prévention. Donc tout ce qui rentre dans le cadre d’un essai, déposé, accepté, permet de proposer à des malades de tester l’efficacité de cette molécule, comme d’autres molécules d’ailleurs.» Cette mention des patients au stade précoce ne vaut bien que lorsque celui-ci est inclus dans un essai thérapeutique.

En résumé

En dépit de sa formulation imprécise, le décret publié mercredi ne généralisait donc en aucun cas la prescription d’hydroxychloroquine pour l’ensemble des malades du Covid-19, comme cela a été compris. La précision apportée cet après-midi – qui n’a rien d’un revirement comme le comprennent à tort certains commentateurs – le confirme de manière claire : le texte, conformément à l’avis du Haut Conseil de la santé publique, autorise la prescription pour les cas graves à l’hôpital.

Il n’encourage nullement les médecins de ville à prescrire le traitement. Comme cela est précisé dans un article de Libération consacré au sujet, la délivrance de la molécule est bel et bien limitée, pour ces derniers, comme c’était déjà le cas avant, aux indications habituelles de certaines maladies chroniques (telles que le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde). Ils peuvent le faire (comme ils le pouvaient déjà avant le décret). Mais, comme cela était déjà le cas avant, ils engagent leur responsabilité.

Si certains patients au stade précoce de la maladie, voire en prévention, peuvent se voir administrer le traitement, c’est uniquement dans le cadre d’essais thérapeutiques dûment encadrés.

Cédric Mathiot , Florian Gouthière

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