Coup d’Etat ou crise inédite : 5 minutes pour comprendre la situation en Tunisie – Le Parisien

« Nous traversons les moments les plus délicats de l’histoire de la Tunisie ». C’est par ces mots que le président de la Tunisie, Kaïs Saïed a justifié vendredi soir, sa reprise en main du pays, en s’octroyant le pouvoir exécutif. « Selon la Constitution, j’ai pris des décisions que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l’État et le peuple tunisien », a dit le chef d’État, suscitant une vague d’enthousiasme dans les rues de Tunis et dans plusieurs grandes villes du pays. Quelles décisions ont été prises et dans quel contexte interviennent-elles ? Le Parisien fait le point.

Que s’est-il passé ?

Un coup de tonnerre pour la jeune démocratie tunisienne. Le président Kaïs Saïed a gelé dimanche les travaux du Parlement pour 30 jours et limogé dans la foulée le chef du gouvernement Hichem Mechichi. Le chef de l’État s’octroie ainsi le pouvoir exécutif dans un souci, selon lui, de « sauver la Tunisie, l’État et le peuple tunisien ». « Ce n’est ni une suspension de la Constitution ni une sortie de la légitimité constitutionnelle, nous travaillons dans le cadre de la loi », a-t-il assuré, déclenchant une vague d’enthousiasme dans la rue.

Ces mesures, qui devraient être publiées sous forme de décret, ont aussitôt provoqué la colère du parti parlementaire Ennahdha qui a fustigé un « coup d’État contre la révolution et contre la Constitution ». Dès lundi matin, des affrontements ont éclaté devant le Parlement tunisien entre des partisans du président et ceux de la formation d’inspiration islamiste. L’armée y a été déployée.

Est-ce un coup d’État ?

C’est l’argument-clé mis en avant par l’opposition. En reprenant la main sur l’exécutif, la présidence assure toutefois travailler conformément à la loi. « Kaïs Saïed a indiqué avoir activé l’article 80 de la Constitution, selon lequel le président peut prendre les mesures nécessaires en cas de péril imminent menaçant les institutions et la nation », décrypte auprès du Parisien, Aude-Annabelle Canesse, chercheuse spécialiste de la Tunisie au sein du CNRS.

Seule ombre au tableau : les pleins pouvoirs peuvent être accordés au président après consultation du chef du gouvernement, du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après avoir informé la Cour constitutionnelle. Une condition qui n’a pas été respectée, note l’universitaire. Et pour cause : aucun dirigeant n’a été informé. Surtout, « la Cour constitutionnelle n’a toujours pas été créée », rappelle-t-elle. « Si on ne peut pas parler directement de Coup d’État, ces décisions n’envoient pas de signaux très positifs pour la démocratie », glisse-t-elle.

Quel contexte politique et social ?

Depuis six mois, un bras de fer se tient entre Ennahdha – dont les députés sont majoritaires à l’Assemblée – et la présidence, paralysant le gouvernement et désorganisant les pouvoirs publics. Une impasse politique qui s’ajoute à une crise économique et sociale qui épuise désormais la population. « Le dinar n’a jamais connu un tel effondrement depuis 15 ans. Le coût de la vie a explosé, tout comme le chômage chez les jeunes », complète Aude-Annabelle Canesse. Après le Covid-19, ce taux atteint désormais les 41 % chez les 15-24 ans.

De quoi nourrir la colère des Tunisiens descendus par milliers dimanche dans les rues de Tunis et dans plusieurs grandes villes du pays, en dépit d’un couvre-feu. Ainsi, « la crise sanitaire qui progresse dans le pays n’a fait que renforcer l’expression d’une frustration légitime chez les plus jeunes, comme chez les anciens », observe la chercheuse.

Quelle est la situation sanitaire en Tunisie ?

Le pays, qui, en 2020, comptabilisait très peu de cas de Covid-19, enregistre aujourd’hui le taux de mortalité le plus élevé en Afrique et dans le monde arabe, selon l’Organisation mondiale de la santé. Cette vague entraîne 150 à 200 décès par jour et asphyxie un système de santé déjà fragile. Si bien que les dons internationaux se sont multipliés ces derniers jours. « Les hôpitaux publics se débattent comme ils peuvent avec des moyens toujours plus limités », relève Aude-Annabelle Canesse qui déplore surtout un « manque d’anticipation, de lits et d’oxygène ».

Des difficultés que le président Kaïs Saïd entend désormais affronter, en se posant comme l’unique garant du pouvoir exécutif. Une posture crédible ? « Difficile de trancher, juge la chercheuse. D’un côté, en agissant ainsi, le président montre qu’il écoute la colère du peuple et qu’il veut changer la donne. Mais cela peut aussi bien relever du pur jeu politique. Pour le moment, on ne peut rien exclure. Chacun l’a vu depuis la chute de Ben Ali en 2011 : ce pays est plein de surprises ».

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