Coronavirus : zigzag en Macronie sur la chloroquine et Didier Raoult – Le Parisien

Des semaines de débats, de frictions parfois, entre le gouvernement et le professeur Didier Raoult, qui dirige cet IHU de Marseille dont on entend tant parler depuis le début de l’épidémie. Ce dernier ne cesse de vanter à qui veut l’entendre l’efficacité de son traitement à base d’hydroxychloroquine, associé à l’azithromycine, contre le covid-19.

En l’espace d’un petit mois, le professeur Raoult a pris l’envergure d’une personnalité publique. Une personnalité qui n’a pas hésité à claquer des portes, qui s’est créé son propre compte Twitter, le 24 mars dernier, pour défendre ses travaux. Et qui cumule des millions de vues sur sa chaîne YouTube. Le sujet de chloroquine a débordé depuis bien longtemps du seul cadre scientifique. Un « je t’aime moi non plus » qui dure depuis le début de l’épidémie, sur lequel Le Parisien revient aujourd’hui, citations à l’appui.

25 février, une vidéo fait polémique

Didier Raoult n’a pas attendu la propagation de l’épidémie pour se pencher sur le virus SARS-CoV-2. Dans une interview accordée au JDD au début du mois de février, le professeur assurait que ce virus n’était « pas si méchant ».

Le 25 février, deux jours après le déclenchement du stade 1 de l’épidémie et du premier décès sur le territoire Français, il assurait dans une vidéo intitulée « Coronavirus : fin de partie », que ce virus était « probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter ». Le service de fact-checking du Monde avait classé cette vidéo très virale comme « contenant des informations partiellement fausses », notamment en raison de son titre. Facebook, partenaire du quotidien, avait dans la foulée accolé à ce contenu un bandeau « Information partiellement fausse ».

Après que le titre de la vidéo a été changé, Le Monde a retiré son signalement. Didier Raoult fulmine. « Il y a même eu ‘fake news’ pendant 36 heures inscrit sur le site du ministère de la Santé ! », s’indigne-t-il dans une nouvelle vidéo.

17 mars, des résultats « prometteurs »

En ce premier jour de confinement total, la France ne compte alors que 148 décès. La veille, Didier Raoult a présenté les conclusions d’une première étude basée sur son traitement, administré à 24 patients.

À l’issue du conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement Sibeth N’Diaye s’exprime. « Il y a des essais cliniques sur 24 patients, qui sont prometteurs. Le ministère a souhaité étendre ces essais cliniques, qui seront dupliqués sur un plus grand nombre de patients », déclare-t-elle. Une prise de position plutôt positive, qui n’efface cependant pas certaines réserves, liées au fait que la méthodologie de l’étude a été rapidement critiquée dans le milieu scientifique. « Nous n’avons pas de preuve scientifique » que ce traitement fonctionne, achève Sibeth N’Diaye.

19 mars : « Ce n’est pas une surprise que d’avoir été mis de côté », déclare Raoult

C’est par ces mots que Didier Raoult commente auprès de Marianne la façon dont il estime avoir été traité après les premières polémiques liées à ses vidéos. « Je discute beaucoup avec le gouvernement et avec des personnes au plus haut niveau de l’Etat. Je comprends ce qui fait partie de l’écosystème des décideurs, ce n’est pas une surprise que d’avoir été mis de côté ».

Interrogé sur les propos de Sibeth N’Diaye, qui semble amorcer une plus considération de l’exécutif vis-à-vis de ses travaux, Didier Raoult ironise : « Les temps changent ! Je garde mon cap, j’ai des difficultés à juger aussi par moments, je passe mon temps à expliquer que les maladies infectieuses sont très compliquées et multifactorielles, j’imagine que la politique, c’est pareil ! ».

21 mars : Olivier Véran confirme des essais à grande échelle

Lors d’un point presse organisé quatre jours plus tard, le ministre de la Santé Olivier Véran confirme cette ligne gouvernementale et annonce le lancement d’un essai clinique à plus grande échelle. « J’ai demandé à ce que l’étude du professeur Raoult puisse être reproduite […] dans d’autres centres hospitaliers, par d’autres équipes indépendantes. Je suis cela d’extrêmement près », explique-t-il, non sans retenue. « Aujourd’hui, je n’ai aucune donnée suffisamment validée scientifiquement, médicalement, pour tendre vers une recommandation ».

Et voici lancé l’essai Discovery, confié à l’Inserm. Le ministre de la Santé disait dans un premier temps espérer des premiers résultats sous quinze jours. Ils ne devraient finalement être disponibles qu’à la fin du mois d’avril.

22 mars : Didier Raoult se « fiche » de l’essai Discovery

Le lendemain, le professeur Raoult accorde un entretien au Parisien. Il ne mâche pas ses mots. Lui se « fiche » des annonces de la veille et le clame haut et fort. « Je pense qu’il y a des gens qui vivent sur la Lune et qui comparent les essais thérapeutiques du sida avec une maladie infectieuse émergente », tacle-t-il d’emblée. Didier Raoult n’épargne personne, moque les « oiseaux de plateaux télé » et défend ses résultats face aux « gens qui parlent », qui sont d’une « ignorance crasse ». « Les gens donnent leur opinion sur tout, mais, moi, je ne parle que de ce que je connais : je ne donne pas mon opinion sur la composition de l’équipe de France enfin ! », tacle-t-il.

23 mars : pression politique sur l’exécutif

C’est à ce moment que de nombreux élus Les Républicains prennent fait et cause pour le traitement à base de chloroquine. Christian Estrosi, pris en charge par le professeur Raoult, joue les têtes de gondole. « On n’a pas le temps de tester sur des souris pendant six mois. À partir du moment où il y a une solution testée déjà sur un certain nombre de patients qui semble porter ses fruits, je ne vois pas pourquoi la France se priverait de l’essayer », expliquait-il, soutenu par de nombreux élus LR.

Pendant ce temps-là, une file d’attente interminable se forme devant l’IHU de Marseille, où Didier Raoult enchaîne les consultations en pleine période de confinement, une stratégie à laquelle il se dit opposé.

23 mars : Olivier Véran annonce vouloir encadrer le traitement

Le jour même, le Haut conseil de santé publique rend un avis très attendu dans lequel il préconise « de pas utiliser de chloroquine en l’absence de recommandation, à l’exception de formes graves, hospitalières et sur décision collégiale des médecins et sous surveillance médiale stricte », annonce Olivier Véran. Dans la foulée, le ministre de la Santé officialise son intention de prendre un arrêté en ce sens « dans les prochaines heures ».

24 mars, Didier Raoult et la politique de la chaise vide

Depuis le début de l’épidémie, le professeur Raoult était membre du conseil scientifique chargé de conseiller l’Elysée sur la gestion de la crise. Il avait été indiqué comme « excusé » lors des deux premières réunions. Pour la troisième, son nom n’apparaissait tout simplement pas. Mais ce 24 mars, le quotidien Les Échos publie un article au titre évocateur : « Didier Raoult claque la porte du Conseil scientifique de Macron ».

« Je ne participe plus au Conseil scientifique réuni autour d’Emmanuel Macron », explique le professeur. Le quotidien explique cette décision par le désaccord stratégique sur la gestion de l’épidémie, Raoult appelant à se calquer sur le modèle sud-coréen, de dépistage massif et d’isolement des seules personnes contaminées. « Ce doit être notre modèle ». En réaction à cet article, l’IHU précise que Didier Raoult n’a pas démissionné du conseil scientifique, étant simplement occupé par le traitement de ses patients. Didier Raoult affirme, lui sur Twitter que les liens avec l’exécutif ne sont pas rompus.

27 mars : Didier Raoult dévoile une nouvelle étude

Sur le site Internet de l’IHU de Marseille, le professeur Raoult diffuse ce vendredi 27 mars les résultats d’une nouvelle étude basée sur le traitement de 80 patients. 81 % d’entre eux ont connu une évolution favorable et sont sortis en mois de cinq jours en moyenne, assure le spécialiste. Sauf que là encore, les résultats sont critiqués du fait de l’absence de groupe témoin n’ayant pas reçu le traitement, rendant impossible l’établissement de toute comparaison pour en juger l’efficacité.

4 avril : Olivier Véran refuse tout pari « sur la santé des Français »

Dans une interview vidéo accordée à Brut, le ministre de la Santé critique les appels de la droite à étendre le traitement à base de chloroquine, en l’absence d’éléments décisifs. « Désolé mais ce n’est pas monsieur Douste-Blazy, qui a lui-même été ministre et qui sait très bien comment les choses se passent, qui va dicter cette décision. Je ne peux pas la prendre seul sans l’aval des sociétés savantes, sans l’aval de centaines d’experts ».

Le ministre de la Santé ajoute n’avoir aucunement l’intention de « faire de pari sur la santé des Français », reprenant une formule déjà utilisée les 25 et 26 mars derniers sur France 5 et France 2. « Je suis allé aussi loin que je le pouvais à ce stade pour autoriser la prescription de la chloroquine, j’ai mouillé ma propre chemise », conclut-il.

9 avril : visite surprise de Macron à Marseille

À la surprise générale, Emmanuel Macron décide de se rendre à Marseille pour rencontrer Didier Raoult, le médecin défenseur de la chloroquine. Une visite qui marque la volonté du chef de l’Etat de multiplier les entretiens pour prendre les bonnes décisions explique alors son entourage. Au Parisien, des proches concèdent toutefois l’amorce d’une nouvelle approche. « Une visite ne légitime pas un protocole scientifique mais il marque l’intérêt du chef de l’Etat pour des essais thérapeutiques », expliquait l’un d’eux. Le chef de l’Etat repart ce jour-là à l’Elysée avec les résultats d’une troisième étude portant sur le traitement de plus de 1000 patients.

15 avril : Didier Raoult est « un grand scientifique », lance Macron

C’est le dernier acte d’une relation décidément instable. Interrogé ce mercredi sur RFI, e chef de l’Etat a salué les compétences du professeur Raoult. « Ce n’est pas une question de croyance, c’est une question de scientifique. Je suis convaincu que c’est un grand scientifique, et je suis passionné par ce qu’il dit et ce qu’il explique », a-t-il déclaré. « La bi-thérapie que propose le professeur Raoult, il faut qu’elle soit testée […] Il faut qu’on avance, qu’on montre l’efficacité et qu’on mesure la toxicité », a fait savoir Emmanuel Macron, disant que le professeur Raoult est « vraiment une de nos plus grandes sommités en la matière ». Tout est bien qui finit bien. Pour l’instant.

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