Coronavirus: Les États-Unis rejettent la faute sur la Chine, ils avaient pourtant les clés pour se préparer – Le HuffPost

SCIENCE – C’est une petite ritournelle qui n’en finit plus. Plusieurs responsables américains estiment depuis plusieurs jours que la Chine n’a pas été assez transparente concernant le danger du nouveau coronavirus Sars-Cov2. Des éléments de langage qui se multiplient alors que l’épidémie de Covid-19 explose aux États-Unis, avec plus de 210.000 cas et 5100 morts, ce jeudi 2 avril, en en faisant le pays le plus touché au monde en nombre d’infectés officiels. 

La veille, mercredi, l’agence Bloomberg a évoqué un rapport confidentiel remis la semaine dernière à la Maison-Blanche. Le renseignement y estimerait que le nombre de morts et de cas de contamination affichés par Pékin sont faux, intentionnellement en deçà de la réalité. 

Le président américain Donald Trump est lui resté assez évasif sur le sujet, mais plusieurs Républicains ont accusé Pékin d’avoir menti. “Le renseignement américain a désormais confirmé ce que nous savions déjà: la Chine a dissimulé la gravité de ce virus pendant des mois”, a affirmé le Républicain William Timmons. “Le monde paie à présent pour (ses) erreurs”. Le 24 mars, le secrétaire d’État Mike Pompeo estimait que la Chine continuait de cacher des informations sur le nouveau coronavirus.

Ces accusations de chiffres loin de la réalité sont difficiles à vérifier. “Mais est-ce la vraie question?”, interroge Carine Milcent, chercheuse CNRS en économie et professeur associée à PSE contactée par Le HuffPost. En effet, les mises en garde à la fois de chercheurs et d’organisations ont été nombreuses et n’ont fait que s’accentuer depuis le début de l’épidémie en Chine, début 2020. Mais Donald Trump et son administration, encore plus que d’autres, ont tout tenté pour nier l’urgence.

Des chiffres chinois sous-évalués, comme tous les autres?

Avant de revenir sur les alertes et réactions américaines de ces dernières semaines, il convient de rappeler qu’“on ne peut pas connaître les vrais chiffres de l’épidémie avant que celle-ci soit finie”, met en garde Carine Milcent. “Vous avez toujours une marge d’erreur plus ou moins importante, qui dépend de votre système d’information”. Et ce même dans un pays comme la France. Or, si la Chine a fait d’énormes progrès, son système hospitalier n’est pas équivalent à celui des pays européens.

Les chiffres chinois sont très certainement sous-évalués. Les chiffres français aussi, car seuls les morts en hôpitaux sont comptabilisés pour le moment, mais la différence est “sûrement moins importante qu’en Chine”. “Il y a également une partie liée à la communication, où le gouvernement veut contrôler l’anxiété de sa population, donc si vous avez un intervalle de morts ou de cas, vous n’allez pas forcément prendre la borne supérieure”, explique-t-elle. 

“Mais est-ce si important que la Chine n’ait pas donné les vrais chiffres? L’important c’est la contagiosité, la mortalité en classe d’âge”, rappelle Carine Milcent. Et justement, des estimations de plus en plus fiables de ces données étaient disponibles bien avant que Donald Trump ne change de ton sur le coronavirus.

Si la Chine a pu communiquer un nombre de victimes plus faible que la réalité, cela “a pu avoir un effet sur la mobilisation sanitaire aux États-Unis comme dans le reste du monde, France y compris”, affirme au HuffPost Pap Ndiaye, professeur des universités, historien spécialiste des États-Unis. “Mais cela n’explique pas le niveau d’impréparation et de désinvolture des autorités américaines, en particulier de la Maison-Blanche, dans le déni de la gravité de la pandémie jusqu’à la mi-mars”.

Des alarmes y compris aux États-Unis

Le coronavirus Sars-Cov2 étant entièrement nouveau, il a fallu du temps pour que les scientifiques cernent ses caractéristiques principales: sa prévalence (le nombre de personnes infectées) et sa mortalité. Il y a toujours de grandes incertitudes, mais très vite, il est apparu que le virus était très contagieux et avec une mortalité relativement importante, en tout cas bien plus que la grippe saisonnière.

Dès le 31 janvier, l’OMS déclarait l’urgence internationale, sans encore parler de pandémie. Fin février, si l’Organisation mondiale de la Santé n’osait toujours pas franchir le pas, de nombreux épidémiologistes et virologues estimaient que nous nous y dirigions à grands pas, alors que l’Italie et la Corée du Sud voyaient leur nombre de cas augmenter. Dans son rapport du 28 février après une mission en Chine, qui avait réussi à endiguer l’épidémie, l’OMS louait les efforts chinois, tout en estimant que “la communauté internationale n’est pas prête” à mettre en place ces mesures. Le 11 mars, l’OMS estimait enfin officiellement que le Covid-19 était une pandémie.

Ces alarmes étaient également prononcées aux États-Unis. Le 28 janvier, le républicain Scott Gottlieb, ancien directeur du CDC américain, l’agence fédérale de la santé, appelait à “agir maintenant pour empêcher une épidémie américaine”, notamment en préparant une campagne de dépistage massive.

Le 26 février, lors d’une conférence de presse du CDC américain, Nancy Messonnier, l’une des directrices, disait très clairement que des contaminations locales allaient advenir sur le territoire américain: “La question n’est pas tant de savoir si cela va se produire, mais plutôt de savoir exactement quand cela va se produire et combien de personnes dans ce pays seront gravement malades”. Et de rappeler que des mesures de distanciation sociale forte devront être prises rapidement.

Depuis, les États-Unis sont devenus, de loin, le pays le plus touché par l’épidémie en termes de cas confirmés. Le 31 mars, la Maison-Blanche a estimé que de 100.000 à 240.000 personnes risquaient de décéder du Covid-19 dans le pays… à condition que les mesures prises soient respectées et efficaces.

Le manque de préparation et l’indécision sont des critiques que l’on pourrait également faire à de nombreux pays occidentaux, dont la France, qui se retrouvent aujourd’hui submergés par la vague épidémique.

Mais Les États-Unis font partie des pires élèves. “La réponse américaine sera étudiée pendant des générations comme un exemple classique d’un effort désastreux et raté”. Ce sont les mots de Ron Klain, rapportait le Guardian le 28 mars. Celui qui lutta contre le virus Ebola en 2014 a rajouté, face à un panel d’universitaires de Georgetown: “ce qui s’est passé à Washington a été un fiasco aux proportions incroyables”.

Quand Donald Trump parlait d’une “grippe” qui partirait au printemps

Pour comprendre, il faut à nouveau remonter le temps. Le quotidien britannique rappelle qu’alors que les États-Unis et la Corée du Sud connaissent leur premier cas importé le 20 janvier, les deux pays mettent au point une réponse très différente. Séoul demande directement à de nombreuses entreprises de produire un test de dépistage rapidement. Le 20 février, l’épidémie explose. Le 12 mars, elle semble (pour l’instant) sous contrôle, avec moins de 10.000 cas déclarés depuis le début. La Corée du Sud est un des pays, avec l’Allemagne, à avoir le plus testé sa population.

Les États-Unis ont attendu le 29 février avant d’autoriser les laboratoires et hôpitaux à conduire leurs propres tests pour accélérer le dépistage, qui était bien en deçà des autres pays occidentaux. “Le fait que ces tests n’aient pas été mis en place rapidement est un des principaux problèmes”, rappelle au HuffPost Auriane Guilbaud, chercheuse CNRS de l’Université Paris 8.

Pendant tout ce temps, Donald Trump a, à de multiples reprises, minimisé le risque posé par le coronavirus Sars-Cov2. Le 10 février, il estimait que le virus pourrait peut-être disparaître avec le printemps en avril. Le même jour, on apprenait que Washington envisageait de diviser par deux les donations américaines à l’OMS. Le 26 février, suite aux alertes des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), Donald Trump concédait qu’il fallait se préparer, mais qu’il ne croyait pas à une épidémie: “Nous allons vers le bas, pas vers le haut.  Nous allons très fortement baisser, et non pas monter.”

Le 9 mars, le président américain tweetait: “L’année dernière, 37.000 Américains sont morts de la grippe[…]. Rien n’est fermé, l’économie et la vie continuent. Pour l’instant nous avons 546 cas confirmés de coronavirus, avec 22 morts. Pensez-y!” Mais comme dit plus haut, les chiffres absolus ne sont pas ceux à regarder: c’est la tendance qui compte. Et une épidémie de Covid-19, si elle n’est pas endiguée, croît exponentiellement, doublant le nombre d’infectés au bout de quelques jours.

Une réponse tardive et difficile

Le 16 mars, la Maison-Blanche prenait enfin des mesures de distanciation sociale incitant les Américains à rester chez eux. Si certains États ont ordonné des mesures strictes de confinement de manière indépendante, aucune mesure nationale contraignante n’existe à l’heure actuelle. Le 28 mars, Donald Trump affirmait réfléchir à une quarantaine de deux semaines pour des États particulièrement touchés: New York, le New Jersey et une partie du Connecticut. Mais il a fait machine arrière quelques heures plus tard après des critiques du gouverneur de New York Andrew Cuomo. Logique: aux États-Unis, pays fédéral, le président n’a pas le pouvoir d’imposer un confinement à l’échelle nationale, rappelleThe Atlantic.

Et la stratégie américaine n’est toujours pas claire. Donald Trump affirmait le 24 mars qu’il souhaitait que le pays retrouve une vie normale le 12 avril, notamment en levant les mesures du 16 mars. Finalement, le 29 mars, le président américain a prolongé les mesures de distanciation sociale fédérales au moins jusqu’à fin avril.

Le 1er avril, l’épidémiologiste Michael Osterholm de l’Université du Minnesota a affirmé à Science Magazine: “Nous n’avons pas de plan national. Nous allons de conférence de presse en conférence de presse et de crise en crise… pour essayer de comprendre notre réponse”.

Pendant ce temps, l’administration Trump continue de critiquer la Chine, sur fond de guerre commerciale. Le 26 mars, le G7 n’a pas pu publier de déclaration commune sur le coronavirus, car la délégation américaine voulait y introduire le terme “virus de Wuhan” (la ville dont est partie l’épidémie), rappelle CNN. “La manière dont réagit l’administration Trump est similaire à leur gestion politique d’autres questions: erratique, avec des changements de position très rapides et une manière de toujours rejeter la faute sur l’autre”, analyse Auriane Guilbaud.

“Les partisans de Trump ont pour objectif de centrer l’attention sur la Chine, qui a effectivement de graves responsabilités, pour faire oublier les fautes et les errements du président”, estime Pap Ndiaye. En attendant, quels que soient les mots employés ou les chiffres brandis, l’épidémie de Covid-19 continue de progresser aux États-Unis.

À voir également sur Le HuffPost: sur le coronavirus, Trump change de ton

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