Coronavirus : les conséquences de l’épidémie sur l’industrie de la tech – Les Numériques

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Des dizaines de milliers d’infections et des centaines de morts, l’épidémie de coronavirus est la préoccupation principale de l’OMS. Son impact sur l’industrie mondiale de la tech pourrait être très fort vu le rôle central tenu par la Chine.

Contagiosité, létalité… les études médicales sur le nouveau coronavirus (2019-nCoV) sont en cours et les résultats préliminaires restent incertains. Son taux de reproduction et sa mortalité seraient inférieurs à celui de son cousin, le Sras, qui fut à l’origine d’une épidémie fin 2002. Néanmoins, le coronavirus se transmet plus facilement et est plus dangereux que la grippe saisonnière, ce qui explique qu’il soit à l’origine de nombreuses craintes. Responsable de plusieurs centaines de morts, c’est une catastrophe humaine qui a aussi de fortes répercussions économiques, la Chine — que l’on présente souvent comme l’usine du monde — tournant au ralenti depuis quelques semaines. Bien entendu, le secteur high-tech n’est pas épargné, bien au contraire.

Sur place, d’abord, les mesures préventives obligent de nombreuses usines à rester fermées. La main-d’œuvre est priée de rester chez elle et le télétravail devient la norme pour ceux qui le peuvent. Quant aux usines qui restent ouvertes, elles sont pour certaines confrontées à des problèmes d’approvisionnement en composants. Dans tout le pays, l’impact du coronavirus se fait sentir.

Si certains fournisseurs de composants électroniques sont installés dans la région de Hubei (de mémoire flash, notamment), les poumons de l’industrie sont les villes de Shenzhen et de GuangZhou, ainsi que l’incontournable Beijing. Or, dans ces villes, le coronavirus a forcé le gouvernement à quasiment tout arrêter : ordre a été donné de ne pas relancer l’activité, au moins jusqu’au 10 février. Certains, comme Apple, respectent à la lettre les consignes : la marque a fermé ses 42 boutiques dans le pays.

“Ce qui va être intéressant, c’est de voir si les fabricants ont suivi les recommandations de Donald Trump qui, depuis 2 ans, invite tout le monde à sortir de Chine, via une nouvelle fiscalité ou de nouveaux droits de douane. Beaucoup devraient avoir commencé à mettre en place des circuits alternatifs. Il y en a peut-être qui n’ont pas travaillé en ce sens, et ils pourraient être plus touchés que les autres. Le monde est teinté d’incertitude et aujourd’hui n’importe quel bon gestionnaire de chaîne d’approvisionnement doit prévoir ce genre de crise, ce qui devrait limiter les effets du coronavirus”, nous explique David Baverez, entrepreneur et investisseur basé à Hong Kong.

Les festivités du Nouvel An chinois ont été perturbées par le coronavirus © iStock
Les festivités du Nouvel An chinois ont été perturbées par le coronavirus © iStock

En pleines festivités

Se pose également la question du commerce local, de nombreux centres commerciaux restant fermés. Ce sont donc les marques qui écoulent beaucoup de produits en Chine qui sont les plus touchées, en pleines vacances du Nouvel An chinois. C’est d’ailleurs un facteur à prendre en compte lorsqu’il s’agit d’aborder la crise du coronavirus en Chine : le Nouvel An est le moment de l’année où les familles se regroupent, entraînant d’immenses mouvements de population qui favorisent la prolifération du virus. Autant de gens qui, potentiellement, sont gardés à distance de leur travail, ce qui complique également la bonne marche de l’activité économique.

Cette crise est arrivée au moment du Nouvel An, période pendant laquelle le pays est toujours à l’arrêt pendant une à deux semaines

Mais comme l’explique David Baverez, c’est en réalité une aubaine inespérée : “La Chine a eu un énorme coup de chance, si l’on peut dire. Cette crise est arrivée au moment du Nouvel An, période pendant laquelle le pays est toujours à l’arrêt pendant une à deux semaines. Et souvent, lorsqu’ils reviennent après avoir vu leurs familles, les employés prennent un nouveau poste, il y a une semaine environ de formation et de prise de poste. Donc en Chine, on sait que pendant trois semaines, la productivité est très ralentie. C’est quelque chose qui est largement anticipé et il y a toujours entre 15 jours et 1 mois d’inventaire dans les stocks de la chaîne d’approvisionnement. C’est ce qui explique le décalage entre la situation et le fait que Hon Hai [les usines Foxconn, NDLR] annonce que le coronavirus ne va impacter son chiffre d’affaires que de 1 à 3 %. Ce qui n’est rien rapporté à l’ampleur de la crise”.

La crainte d’une sur-réaction

Du côté des acteurs les plus concernés, il faut d’abord citer Huawei et sa filiale Honor qui trustent à elles seules près de 50 % des ventes sur le plus gros marché du smartphone au monde. Huawei, pas épargné par une forte campagne de dénigrement de ses produits orchestrée par Washington, subit donc un nouveau coup dur. Apple est également fortement touché, la marque californienne ayant une part de marché comprise entre 15 et 18 % en Chine. Suivent d’autres marques chinoises telles qu’Oppo ou Xiaomi, sachant que les fabricants de smartphones chinois représentent quasiment 80 % des ventes.

Mais comme nous le dit Emmanuel Peype (co-fondateur de FastLane, agence qui aide des entreprises chinoises à s’internationaliser et comptant une soixantaine de collaborateurs en Chine), les grandes entreprises chinoises ne seront pas forcément les plus impactées : “Paradoxalement, les entreprises étrangères seront sans doute les plus touchées, à cause des délais, de la logistique, des livraisons. Surtout que s’il y a une sur-réaction à l’étranger, il y aura plus de contrôles, donc des allongements de délais. Les petits vendeurs et les petites marques seront aussi les plus impactées, car les grosses marques ont une logistique mature, savent prévoir ces risques et sont prioritaires dans les approvisionnements vu les volumes qu’elles commandent”.

De très nombreux produits high-tech sont produits en Chine, comme des téléviseurs © iStock
De très nombreux produits high-tech sont produits en Chine, comme des téléviseurs © iStock

Il ne faut d’ailleurs pas résumer les secteurs high-tech dépendants de l’activité économique chinoise à la seule industrie du smartphone. On le sait, la grande majorité des produits de la filière sont fabriqués en Chine. Téléviseurs, enceintes, casques audio, ordinateurs, objets connectés… tous ces produits sont massivement “made in China“. Et s’il est encore trop tôt pour se faire une idée de l’ampleur du retentissement que produira le coronavirus sur tous ces marchés, il semble aujourd’hui clair que cette coupure de l’appareil productif chinois ne sera pas sans conséquence, malgré les heures supplémentaires et les bouchées doubles qui suivront.

Vers des lancements repoussés et des prix en hausse ?

Quant à l’activité logistique, primordiale dans une économie mondialisée qui tourne à flux tendu, elle est également fortement impactée. Le personnel manque pour opérer les rotations dans les entrepôts, transport ferroviaire et routier tournent au ralenti, les ports sont pour la plupart fermés et les exportations sont de toute manière scrutées de près, quand elles ne sont pas tout simplement bloquées.

Si les lignes de production reprennent bien le 10 février, l’impact sera mesuré car on connaît les Chinois et ils mettront les bouchées doubles

Doit-on dans ces conditions s’attendre à de futures ruptures de stocks, à des lancements de produits repoussés ? C’est possible, mais pas forcément dans des proportions très graves, nous dit Emmanuel Peype : “Quand on annonce un gros produit en février et qu’on le lance en mars, on a déjà généralement lancé la production en janvier ou février, même si le gros de la production se fait en mars. A priori, si les lignes de production reprennent bien le 10, l’impact sera mesuré car on connaît les Chinois et ils mettront les bouchées doubles”. Certains effets se font néanmoins déjà sentir : Nintendo a par exemple fait savoir que les livraisons du modèle de Switch aux couleurs d’Animal Crossing et les réassorts du jeu accessoirisé Ring Fit Adventure vont faire les frais du coronavirus.

Concernant les prix des produits, ils ne devraient pas être bouleversés selon ce spécialiste du marché : “Je ne pense pas que les prix des produits augmenteront pour le consommateur final. On est sur un marché de la tech tellement compétitif, les marques rogneront sur leurs marges pour être au bon prix. Peut-être que si des ruptures interviennent sur des composants majeurs, alors cela aura un impact. Mais on n’en est pas du tout à se dire que l’on va vers une hausse des prix”.

Organisé chaque année à Barcelone fin février, le MWC est le grand raout mondial de la mobilité © iStock
Organisé chaque année à Barcelone fin février, le MWC est le grand raout mondial de la mobilité © iStock

Un Mobile World Congress sous haute surveillance

Pour l’heure, ailleurs dans le monde et notamment chez nous, les conséquences du coronavirus sont bien moins prégnantes. La manifestation la plus touchée sera sans doute le Mobile World Congress de Barcelone, où la plupart des grandes marques asiatiques vont réduire significativement leur présence. LG et ZTE ont par exemple annulé leurs conférences, tandis que Huawei va restreindre sa délégation habituellement gigantesque (environ 4 000 personnes). Des mesures de précaution sont prises, certains fabricants ayant envoyé leurs représentants en avance. En quarantaine pendant une quinzaine de jours, période d’incubation du virus, ils seront contrôlés pour ne pas être vecteurs de propagation de la maladie.

“La grosse incertitude pour la tech dans l’immédiat, c’est le Mobile World Congress. C’est un événement majeur pour les fabricants asiatiques et il est clair qu’il va être très perturbé. Si la plupart des marques seront présentes, il y a des annonces qui ont été annulées, et ça laisse présager un délai dans la commercialisation des nouveautés car il va y avoir un flottement et tout le monde s’interroge sur le temps que l’on va vraiment perdre sur la logistique”, concède Emmanuel Peype. C’est cette incertitude qui a déjà poussé de grands groupes à se montrer prudents dans leurs prévisions financières, le facteur coronavirus ayant par exemple obligé Apple et Google à élargir leurs prévisions pour le prochain trimestre.

Encore beaucoup d’incertitude

“On ne sait pas quelle sera la situation dans 15 jours, mais à ce stade d’évolution, le problème semble tout à fait gérable d’un point de vue économique. La Bourse a commencé à remonter. Mais ce qui est fort en Chine, c’est la symbolique. On dit ici que les grandes catastrophes, des inondations par exemple, sont le signe que l’empereur doit changer. Après 10 années de croissance déséquilibrée, avec l’appropriation de technologies américaines, parfois de manière illégale, et l’explosion du commerce par le smartphone, la Chine va se tourner vers la croissance des 10 prochaines années, qui se fera avec des technologies chinoises et une nouvelle révolution d’Internet pour le B2B. Cette crise va sans doute amorcer cette nouvelle ère dans la tête des Chinois”, conclut David Baverez.

Quant à la reprise effective du travail, elle n’interviendra le 10 février “que si les entreprises ont le matériel nécessaire pour gérer le risque sanitaire, comme des masques, des thermomètres, des gels antiseptiques”, prévient Emmanuel Peype. “Or il y a des ruptures sur ces produits, donc peut-être que cela va prendre un peu plus de temps. Il y a des rumeurs d’un report, sur lequel le gouvernement travaillerait avec les grandes entreprises. Mais pour toutes les activités pouvant faire appel au télétravail, je peux vous dire que ça s’organise et que ça travaille beaucoup en ce moment”, ajoute-t-il.

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