Coronavirus : huit questions sur l’hydroxychloroquine, possible traitement du Covid-19 – Le Monde

Des plaquettes de Nivaquine et de Plaquenil, deux médicaments respectivement à base de chloroquine et d’hydroxychloroquine, qui pourraient soigner le Covid-19 selon le professeur Raoult.

Des plaquettes de Nivaquine et de Plaquenil, deux médicaments respectivement à base de chloroquine et d’hydroxychloroquine, qui pourraient soigner le Covid-19 selon le professeur Raoult. GERARD JULIEN / AFP

« Remède miracle » ou « mirage » ? Le débat sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine, un dérivé d’une molécule utilisée contre le paludisme, la chloroquine, pour traiter les malades du Covid-19 a suscité une grande confusion ces derniers jours. A l’image d’un article abondamment relayé sur les réseaux sociaux évoquant un patient guéri à l’hydroxychloroquine à Amiens, mais qui, a-t-on appris après coup, n’avait jamais été testé positif au Covid-19.

Le médicament divise. D’un côté, une partie de l’opinion publique se passionne pour l’infectiologue Didier Raoult, l’un des promoteurs de ce traitement en France. De l’autre, des observateurs, parmi lesquels de nombreux scientifiques, dénoncent des méthodes peu rigoureuses et jugent les annonces de M. Raoult prématurées, voire trompeuses.

A ce stade, le Haut Conseil de santé publique recommande de ne pas utiliser la chloroquine ni l’hydroxychloroquine dans la lutte contre le coronavirus, à l’exception de formes graves, à l’hôpital. Mais que sait-on vraiment de cette controverse ? Qu’est-ce que la chloroquine ? Peut-on déjà conclure à son efficacité ou à son inutilité dans la lutte contre la pandémie due au virus SARS-CoV-2 ? Le point sur les connaissances actuelles et les travaux en cours.

  • Qu’est-ce que la chloroquine ? Et l’hydroxychloroquine ?

La chloroquine est une molécule avec laquelle sont conçus des traitements préventifs et curatifs contre le paludisme, telle que la Nivaquine, commercialisée par le laboratoire Sanofi. Utilisée depuis soixante-dix ans, la chloroquine n’est plus systématiquement prescrite seule car elle est jugée inefficace dans certaines régions du monde. C’est le cas de la Guyane, qui n’y a plus recours depuis 1995, du fait de la résistance de parasites à la chloroquine. Ce médicament à l’emploi thérapeutique limité est de moins en moins produit. Un de ses dérivés, l’hydroxychloroquine (commercialisée sous le nom de Plaquenil), est utilisé contre certaines maladies auto-immunes comme la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus.

Il s’agit de deux médicaments distincts, mais dont la molécule est proche. Le deuxième semble privilégié lors des essais sur des patients, car il risque de créer moins d’effets secondaires graves. La confusion est amplifiée par le fait que les médias utilisent parfois le terme « chloroquine » pour parler de son dérivé, l’hydroxychloroquine.

  • Quelles sont les conclusions des recherches de Didier Raoult sur la chloroquine et l’hydroxychloroquine ?

S’il n’est ni le seul, ni même le premier à s’être penché sur la piste de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine comme traitement dans le cadre de la pandémie actuelle, le professeur Didier Raoult a joué un rôle décisif dans sa médiatisation. Ce spécialiste des maladies infectieuses tropicales émergentes à la faculté de médecine de Marseille, s’est félicité dès le 25 février de la probable efficacité de la chloroquine sur le SARS-CoV-2. Au point qu’il y voyait une « fin de partie » pour le coronavirus. L’infectiologue a déclaré avoir prescrit cette molécule plus de 4 000 fois en trente ans dans le traitement de maladies infectieuses et affirmé défendre depuis treize ans son usage comme antiviral.

Le professeur Raoult s’est basé alors sur les résultats d’une analyse chinoise parue le 19 février concernant les effets de la chloroquine sur le Covid-19, qui a obtenu des résultats positifs in vitro (c’est-à-dire qu’à ce stade, il ne s’agit pas d’observations menées sur des patients, mais d’essais biologiques en laboratoire). Cet article reprenait un point presse du gouvernement chinois du 17 février, au cours duquel les autorités ont annoncé qu’un consensus s’était dégagé pour inscrire la chloroquine dans l’arsenal thérapeutique national contre l’épidémie de Covid-19.

Dans un article dont il était cosignataire paru le 16 mars, le professeur Raoult a affirmé que la chloroquine pourrait être une solution thérapeutique contre le Covid-19 :

« Il est difficile de trouver un produit actuel dont la sûreté soit aussi bien prouvée que la chloroquine. De plus, son coût est négligeable. (…) Si les données cliniques confirment les résultats biologiques, la maladie liée au nouveau coronavirus sera bientôt l’une des plus simples et les plus moins chères à traiter et prévenir, parmi toutes les maladies respiratoires infectieuses. »

Pour confirmer son intuition, le professeur Raoult a lancé en mars une étude clinique, cette fois sur 24 patients bien réels infectés par le SARS-CoV-2, dont il évoque les résultats préliminaires dans une vidéo mise en ligne le 16 mars. Après six jours de traitement à base de Plaquenil (un médicament à base d’hydroxychloroquine) et d’antibiotique, le virus avait disparu chez les trois quarts des patients, selon Didier Raoult.

  • Quelles sont les limites de l’étude du professeur Raoult ?

De nombreuses voix se sont élevées pour critiquer la faiblesse méthodologique de l’étude clinique du professeur Raoult : elle a été menée sur trop peu de patients, dont certains ont quitté l’essai en cours ; l’analyse s’est limitée à l’évolution de la charge virale, les recherches n’ont pas été menées en « double aveugle », c’est-à-dire avec un autre groupe de patients comparable auxquels on n’aurait pas donné ce traitement ; et les données brutes n’ont pas été publiées pour que d’autres chercheurs y aient accès.

Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université) juge dans Le Monde que l’étude « est conduite, décrite et analysée de façon non rigoureuse avec des imprécisions et des ambiguïtés. Il s’agit d’un essai à fort risque de biais selon les standards internationaux. Dans ce contexte, il est donc impossible d’interpréter l’effet décrit comme étant attribuable au traitement par hydroxychloroquine ».

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En règle générale, de nombreux spécialistes appellent à la prudence sur l’usage de la molécule, comme Franck Touret, chercheur en virologie, et Xavier de Lamballerie, directeur de l’unité d’émergence des pathologies virales de la faculté de médecine de l’Université Aix-Marseille. Ils rappellent dans une récente revue de littérature scientifique que les analyses chinoises plaidant en faveur de l’efficacité in vitro de la chloroquine sont opaques et qu’il n’en existe encore à ce stade aucune validation.

De fait, si la chloroquine a depuis les années 1960 montré une certaine efficacité in vitro contre de nombreux virus, aucun essai clinique mené sur des patients dans le cadre d’infection virale aiguë (chikungunya, dengue) ou chronique (HIV) n’a été couronné de succès, rappelait dans Le Monde Xavier de Lamballerie, le 17 mars.

  • L’hydroxycholoroquine sera-t-elle expérimentée en France ?

Malgré les réserves d’une partie de la communauté scientifique, la communication du professeur Raoult a déclenché une intense campagne médiatique. De nombreuses personnalités, du maire de Nice, Christian Estrosi, au président américain, Donald Trump, ont salué ses travaux comme la principale piste contre la pandémie.

Le 17 mars, le gouvernement français a annoncé qu’il souhaitait étendre ces expérimentations : « Ces nouveaux essais cliniques de chloroquine seront réalisés avec une équipe indépendante du professeur Raoult, qui mène ces essais à Marseille et en a réclamé l’extension », a précisé la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye.

Le Haut Conseil scientifique a recommandé, à ce stade, de ne pas utiliser l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19, à l’exception de formes graves hospitalières, sur décision collégiale des médecins et sous surveillance médicale stricte. Le ministre de la santé, Olivier Véran, et le premier ministre, Edouard Philippe, se sont rangés derrière cette analyse, lundi 23 mars, excluant toute autorisation de mise sur le marché de l’hydroxychloroquine pour le traitement du Covid-19, dans l’attente de données probantes, tout en soutenant les essais cliniques.

  • Existe-t-il d’autres études sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine ?

Dans un contexte d’urgence sanitaire, plusieurs laboratoires et instituts se sont intéressés à l’hydroxychloroquine. Des essais cliniques ont ainsi été lancés en Corée du Sud, en Thaïlande ou encore au Royaume-Uni. En France, à la suite des résultats publiés par le professeur Raoult, l’hydroxychloroquine est utilisée selon le même protocole depuis le 13 mars à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière sur une cinquantaine de patients. Un essai de plus grande ampleur doit également débuter au CHU de Lille.

L’hydroxychloroquine fait également partie des quatre traitements expérimentaux qui seront évalués au cours d’un essai clinique européen coordonné par l’Inserm dans le cadre du consortium Reacting, a annoncé l’établissement de recherche dimanche 22 mars. Cet essai doit inclure au moins 800 patients français atteints de formes sévères du Covid-19.

Enfin, deux nouvelles études chinoises, publiées les 9 et 18 mars, ont constaté une efficacité in vitro de l’hydroxychloroquine sur le nouveau coronavirus et spéculent sur son efficacité en cas d’orage de cytokines, une réaction inflammatoire violente qui peut survenir dans les cas graves de la maladie.

  • Y a-t-il des effets secondaires indésirables à la prise de chloroquine ou d’hydroxychloroquine ?

La chloroquine est considérée comme une substance plutôt bien tolérée dans la lutte contre le paludisme, surtout lorsque le traitement est pris sur une courte durée. Divers effets indésirables existent, comme pour n’importe quel médicament. Il s’agit, dans les cas les plus fréquents, de nausées, démangeaisons ou vomissements. Les douleurs gastriques peuvent parfois être atténuées en prenant le médicament pendant les repas.

Des contre-indications existent, notamment pour les personnes atteintes de psoriasis ou en cas de prise d’autres traitements médicaux en parallèle, ainsi que des risques d’intoxication en particulier en cas de surdosage, entraînant des troubles cardiovasculaires qui peuvent être mortels.

La chloroquine ne peut donc être considérée comme une substance inoffensive qu’on pourrait prendre sans avis médical dans l’espoir de guérir du Covid-19. Plusieurs médecins alertent sur les risques de l’automédication, alors qu’un homme est mort en Arizona après avoir ingéré de lui-même du phosphate de chloroquine, un produit utilisé pour nettoyer les vitres des aquariums.

L’hydroxychloroquine, de son côté, présente des risques d’effets secondaires fréquents, comme une perte partielle de l’acuité visuelle, des maux de tête et des troubles digestifs, selon la base de données gouvernementale des médicaments. Plus rarement, elle peut occasionner des hépatites fulminantes, des décollements généralisés de la peau ou encore des insuffisances cardiaques pouvant entraîner la mort.

  • La chloroquine a-t-elle été interdite à la vente libre en France en janvier 2020 ?

Plusieurs publications sur les réseaux sociaux ont accusé l’ancienne ministre de la santé, Agnes Buzyn, d’avoir interdit en début d’année la vente libre de chloroquine. Et ce, alors même qu’elle « connaissait l’évolution du coronavirus à venir ». Un arrêté, publié le 13 janvier dans le Journal officiel, a en effet modifié la liste des substances vénéneuses (des substances aux principes actifs dangereux pour la santé). L’hydroxychloroquine est désormais « classée sur la liste II des substances vénéneuses ».

Depuis cet arrêté, la molécule d’hydroxychloroquine commercialisée sous le nom de Plaquenil n’est donc plus disponible à la vente libre. Il faut désormais une ordonnance. Mais cette nouvelle classification, entrée en vigueur en janvier, contrairement à ce que laissent entendre certaines publications conspirationnistes, est antérieure à l’apparition du nouveau coronavirus.

Comme l’explique LCI, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) avait été saisie pour un avis sur une proposition d’arrêté portant inscription de l’hydroxychloroquine sur la liste II des substances vénéneuses en octobre 2019, soit deux mois avant l’apparition du nouveau coronavirus en Chine. L’Anses avait donné son feu vert le 12 novembre.

  • Les Etats-Unis vont-ils soigner les malades à l’hydroxychloroquine ?

Lors d’une conférence de presse, le 19 mars, Donald Trump s’est enthousiasmé quant à la perspective d’un traitement à base d’hydroxychloroquine. « Je pense que cela pourrait changer la donne. Ou peut-être pas. Mais d’après ce que j’ai vu, cela pourrait changer la donne, a-t-il déclaré. Nous allons pouvoir rendre ce médicament disponible quasiment immédiatement. »

La Food and Drug Administration (FDA), l’autorité chargée d’autoriser la commercialisation des médicaments aux Etats-Unis, a rapidement démenti les propos du président américain. Le docteur Stephen Hahn, à la tête de la FDA, a expliqué que le traitement à la chloroquine n’avait pas encore été officiellement approuvé, et que des tests devaient encore être conduits, notamment lors d’un grand essai clinique.

Non, « Le Monde » n’a pas qualifié de « fake news » les recherches du professeur Raoult sur la chloroquine

Le 16 février, le professeur Didier Raoult diffusait une vidéo sur YouTube et sur le site de l’institut qui l’emploie (l’IHU Méditerranée Infection) dans laquelle il expliquait l’état de ses recherches et l’espoir qu’il mettait dans un traitement à base de chloroquine contre le coronavirus.

Cette vidéo était intitulée « Coronavirus : fin de partie ». Nous avons qualifié ce titre de « trompeur » et l’avons signalé comme tel à Facebook, avec qui nous avons noué un partenariat de lutte contre les fausses informations. A aucun moment nous n’avons parlé de « fake news » comme le prétend M. Raoult aujourd’hui.

L’article que nous avons écrit relatait les recherches de M. Raoult (qui estimait alors « que le coronavirus était l’infection la plus facile à traiter »), tout en enjoignant à nos lecteurs d’avoir « une lecture prudente de cette annonce ». Cette évaluation n’a pas abouti à une quelconque censure de la vidéo de M. Raoult, mais à une simple mise en garde à l’attention des utilisateurs de Facebook avant qu’ils décident de la visionner.

Le professeur Raoult s’est ému du fait que nous ayons signalé sa vidéo – et en l’occurrence son titre – par la voix du chargé de communication de l’IHU Méditerranée Infection. Ce dernier a cependant convenu que le titre d’origine pouvait poser problème, et l’a remplacé par un autre, plus mesuré. Cette rectification nous a amenés à retirer notre avertissement sur la vidéo.

Plus largement, Didier Raoult a relativisé à plusieurs reprises aux mois de janvier et février 2020 la portée de l’épidémie en cours : « Ce virus n’est pas si méchant », déclarait-il notamment au JDD début février.

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