Coronavirus : en Chine, la crise et la quarantaine – Libération

Comme une grande partie des 11 millions d’habitants de Wuhan, Huang s’est réveillée jeudi prise au piège par la quarantaine imposée à 2 heures du matin par les autorités chinoises. Ses amis et sa famille lui apprennent que les avions et les trains sont progressivement annulés à partir de 10 heures et qu’aucun citoyen n’est autorisé à quitter la capitale de la province du Hubei, foyer de l’épidémie virale qui a déjà tué 18 personnes en Chine.

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L’étudiante de 25 ans avait reporté ses vacances pour traduire une biographie de Van Gogh. Elle avait prévu de rentrer vendredi, chez elle à Wenzhou, à environ 900 kilomètres, pour passer le réveillon lunaire avec ses parents, explique-t-elle par téléphone. «A la place, je vais certainement me commander un KFC en ligne», seule denrée encore disponible en livraison. Elle célébrera le passage dans l’année du rat seule, car son petit ami a déjà quitté la ville.

Hôpitaux bondés

Quelques heures après, Huanggang, immense ville-dortoir de 7,5 millions d’habitants située à moins d’une centaine de kilomètres de Wuhan, puis Ezhou, 1 million, imposent à leurs tours d’importantes restrictions de voyage. En tout, ce sont plus de 20 millions de personnes qui ont interdiction de quitter leurs villes de résidence. C’est dans un marché de Wuhan que le virus de cette infection pulmonaire proche du Sras, le syndrome respiratoire aigu sévère qui avait fait 650 morts dans le pays entre 2002 et 2003, semble avoir été transmis aux humains par un animal sauvage. Une mise en quarantaine «sans précédent dans l’histoire de la santé publique» d’après l’Organisation mondiale de la santé (lire ci-contre), qui intervient plus de trois semaines après le début de l’épidémie qui a déjà fait 18 morts et touché, jeudi soir, plus de 600 personnes.

Jeudi matin, veille du réveillon du nouvel an lunaire, période de fêtes très importante pendant laquelle des centaines de millions de Chinois voyagent pour se retrouver en famille, les gares de Wuhan et l’aéroport international de Tianhe ont été pris d’assaut par des citoyens cherchant à échapper au verrouillage de la ville. Des files d’attente se formaient aux stations-service, des barrages routiers étaient installés aux limites de la métropole et les péages fermés aux automobilistes. Huang a tenté sans succès de se rabattre sur les Didi, le Uber local, pour quitter la ville, avant de se résigner : «Ce serait irresponsable de rentrer dans mon village et de contaminer mes proches et mes amis.»

Pris d’assaut par des clients affolés, plusieurs supermarchés de la ville étaient vides dès la fin de la matinée, tout comme l’épicerie située en bas de son immeuble. L’étudiante devra compter sur ses maigres provisions : «J’ai quelques paquets de nouilles instantanées. En ajoutant les biscuits qu’il me reste, je pense tenir une semaine. Mais, j’espère vraiment que les supermarchés vont être ravitaillés», s’inquiète-t-elle. D’autres ont mieux anticipé le chaos. «Nous avons fait les courses depuis plusieurs jours déjà pour les repas du réveillon, se félicite Meng, une habitante de Wuhan. Nous avons de quoi voir venir pendant un mois.» Contrairement aux années précédentes, elle avait prévu de passer les fêtes uniquement avec ses parents et son frère. «Généralement, le nouvel an est l’occasion d’inviter les cousins, les oncles et tantes qu’on ne voit pas souvent. Mais à cause du virus, on se limite à notre petit cercle», explique la jeune femme qui a reporté sine die ses traditionnelles sorties ciné et shopping.

Alors que les rues de Wuhan sont désertées par une population incitée à rester chez elle, et obligée de porter un masque chirurgical dans la rue, les images des hôpitaux de la ville bondés ont affolé l’Internet chinois. De plus en plus de citoyens s’interrogent sur les capacités des services publics de Wuhan à gérer la crise. «Ma mère a été atteinte de fièvre mardi, raconte Fang, 32 ans, native de Wuhan. Elle s’est rendue à une clinique désignée par les autorités pour prendre en charge les cas suspects. Mais le personnel nous a indiqué qu’ils n’avaient pas le matériel pour faire un diagnostic.» Réticente à se mêler à la foule, elle se rend malgré tout à l’hôpital Xiehe, un établissement réputé de la ville. Après six heures de queue, on lui diagnostique une infection pulmonaire. Mais elle est renvoyée chez elle, aucun lit n’étant disponible. Il faudra que cette infirmière à la retraite, âgée de 57 ans, contacte l’établissement où elle travaillait pour être enfin hospitalisée. Deux jours plus tard, elle est toujours dans l’attente d’un diagnostic précis. Ce qui fait douter Fang de la véracité des chiffres de contamination publiés par la municipalité.

Ambiance pesante

Si Wuhan est particulièrement touché par des mesures chocs, la plupart des autres métropoles chinoises sont aussi passées à la vitesse supérieure. Des systèmes pour détecter les personnes fiévreuses ont été déployés dans tous les aéroports du pays. A Pékin, festivités riment avec morosité. Les autorités ont annulé toutes les célébrations liées au nouvel an lunaire. Les temples de la capitale sont d’ores et déjà fermés et la Cité interdite, un des monuments les plus visités du pays, a annoncé sa fermeture à partir de vendredi pour une durée indéterminée. Entre la peur de la contagion et les départs en vacances, les rues de la mégalopole de 21 millions d’habitants étaient étonnamment désertes ce jeudi. Certains bâtiments, publics comme privés, ont accroché des affiches demandant la coopération des Pékinois face aux contrôles de température – bien qu’aucun système de scanners thermiques, ni aucune patrouille sanitaire ne soient visibles. Certains bars et restaurants ont fermé leurs portes. Les autres demandent à leur personnel de porter un masque. Les cinémas font grise mine. La sortie de cinq blockbusters chinois a été repoussée. Les sorties de films dans les salles obscures en cette période de fêtes sont pourtant traditionnellement très lucratives pour l’industrie du cinéma chinois.

Malgré cette ambiance pesante, le journal télévisé de jeudi soir sur la chaîne d’Etat CCTV a ouvert sur un discours de Xi Jinping pour la nouvelle année, et enchaîne avec des reportages sur les festivités dans les villes du pays. Même si le président chinois a appelé, lundi, à «diffuser l’information en temps et en heure» auprès d’une population de plus en plus sceptique sur la capacité de réaction de ses autorités et la transparence de son gouvernement, le sujet de l’épidémie n’arrive qu’en cinquième position. La nouvelle était pourtant importante : pour la première fois, un décès a été signalé en dehors de la ville de Wuhan, dans la province de Hebei, la province qui entoure Pékin.
Zhifan Liu

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