Coronavirus: comment bien lire les chiffres et les courbes de l’épidémie – Le Figaro

Il faut toujours se méfier des biais de perception dès lors qu’il s’agit de données chiffrées ou de graphiques. Un excellent exemple concerne l’épidémie du coronavirus «NCoV» qui sévit tout particulièrement en Chine. Des chercheurs de l’université américaine John Hopkins publient en temps réel les principales données chiffrées disponibles à ce sujet. Un outil pédagogique à condition de ne pas tomber, en l’espèce, dans deux pièges: si la courbe du nombre total de personnes infectées est regardée sur un écran d’ordinateur, de forme horizontale, celle-ci donne l’impression d’être assez plate. Elle n’est certes pas rassurante car l’augmentation est bien réelle, mais n’invite pas au catastrophisme.

Inversement, sur un écran de smartphone, de forme verticale, la même courbe, avec les mêmes données, semble monter beaucoup plus rapidement aux extrêmes car l’échelle des abscisses est plus ramassée. Lors, elle paraît beaucoup plus inquiétante. Autre phénomène: cette courbe donne l’ensemble des données, y compris celles du jour même, alors que celles-ci ne sont pourtant que provisoires.

2019-nCOV Global Cases by John Hopkins CSSE. John Hopkins University

Résultat, la pente de la courbe semble brutalement diminuer le dernier jour: sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes en ont conclu que l’épidémie ralentissait… à tort car il est quasiment certain que les résultats définitifs, en hausse par rapport aux résultats provisoires, viendront redresser la courbe. Il faut donc observer les courbes et lire les données chiffrées avec attention. Avec le professeur Arnaud Fontanet, chercheur à l’Institut Pasteur, où il dirige le Centre de Santé Globale, décryptons plusieurs graphiques qui permettent de comprendre l’épidémie de coronavirus.

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Où en est l’épidémie?

Des chiffres contradictoires existent sur le sujet. D’un côté, la Chine publie chaque jour le nombre de cas diagnostiqués, le nombre de morts, ainsi que le nombre de guérison. Au regard de cette première source, le nombre de personnes infectées au 2 février 2020 s’établit à près de 17.300. Ce premier chiffre a progressé constamment depuis le 20 janvier (278 cas). D’autres sources étatiques permettent d’ajouter 183 cas dans le reste du monde. Non seulement la courbe obtenue croît, mais sa pente augmente, c’est-à-dire que le nombre de nouveaux cas enregistrés chaque jour est lui aussi croissant. Il y a ainsi eu 17 nouveaux cas le 17 janvier, 688 le 25 janvier, 2825 le 2 février. Le graphique ci-dessous permet de mesurer cette augmentation du nombre de cas quotidiens.

Mais, là encore, attention en observant cette courbe: il s’agit des cas diagnostiqués officiellement par la Chine et non des cas dans l’absolu. Le 31 janvier, la revue britannique The Lancet, l’une des références en matière médicale, a publié une étude fondée sur un modèle mathématique d’après lequel 75.815 individus auraient été infectés à Wuhan – la principale province chinoise touchée par l’épidémie – au 25 janvier 2020. Officiellement, ce jour-là, le nombre de personnes diagnostiquées était de… 685. Soit un rapport de plus de 1 à 100.

Quelles comparaisons avec le SRAS?

Comment comprendre ces chiffres? Ce lundi 3 février, sur Europe 1, l’ambassadeur chinois à Paris, Lu Shaye, a déclaré qu’il était «convaincu» que les chiffres publiés par son gouvernement étaient «transparents», précisant qu’en plus des «17.238 cas confirmés», il fallait aussi tenir compte de «21.558 cas suspects». «Comme le suggère l’article de The Lancet, on est probablement très au-delà du nombre de cas officiellement déclarés. Le plus probable n’est pas que la Chine essaie de cacher les vrais chiffres, mais plutôt qu’ils n’arrivent pas à suivre la progression de l’épidémie et à mettre à jour leurs diagnostics face à l’augmentation réelle du nombre de cas», analyse le professeur Alain Fontanet.

Si l’on observe cette fois-ci le nombre officiel de morts, l’augmentation quotidienne apparaît, là encore, de façon sensible: Il y a eu 16 morts le 24 janvier contre 58 le 2 février, ce qui porte le total à 361 morts en Chine (362 dans le monde entier). Symboliquement, le premier chiffre dépasse le nombre de morts causés par l’épidémie de SRAS – «syndrome respiratoire aigu sévère» lié à un autre type de coronavirus – en Chine continentale en 2002/2003.

Surtout, comme le montre le graphique ci-dessous, pour le SRAS, le nombre de décès maximum en Chine – 348 morts – avait été atteint le 1er juillet, soit plus de trois mois après que Pékin eut révélé être affecté par l’épidémie. Avec le NCoV, ce record a été atteint seulement deux semaines après le premier bilan quotidien publié par la Chine. En revanche, les 362 morts dans le monde entier du nouveau Coronavirus n’atteignent pas encore le nombre de morts causé par l’ensemble de l’épidémie de SRAS en 2003, autrement dit dans le monde entier (812 décès) et non plus seulement en Chine continentale.

Rapporté au nombre de cas d’infections, ce nombre de décès donne un taux de mortalité pour le SRAS (de 9 à 10%) au moins trois fois plus élevé que pour le nouveau Coronavirus (entre 2 et 3%). Une différence que l’on comprend aisément en observant cette fois-ci l’évolution comparée du nombre de personnes infectées officiellement par les deux virus. Avec plus de 17.000 cas officiels, le NCoV a touché en moins d’un mois plus de deux fois plus de personnes que le SRAS en plus de trois mois (8400 cas).

«Là encore, il faut être prudent en observant ces données. Il n’y avait presque pas de forme bénigne du SRAS, ce qui semble au contraire être le cas du nouveau coronavirus. Autrement dit, selon que vous prenez en compte avec plus ou moins de précision tous ces cas bénins, vous verrez votre taux de mortalité logiquement baisser ou monter», commente le professeur Fontanet, qui préfère ne pas comparer le nouveau coronavirus qu’avec le SRAS: «On voit que le NCoV se propage beaucoup plus rapidement que le SRAS. De ce point de vue, il se rapproche plus de la grippe. En cas de pandémie grippale, il n’a pas été rare dans l’histoire que le quart d’une population ait été touchée».

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Peut-on prévoir la suite?

Peut-on prolonger les courbes dans un sens ou dans un autre? Peut-on prévoir le pic de l’épidémie de NCoV à partir duquel le nombre de nouveaux cas enregistré chaque jour commencerait de diminuer? Certains chercheurs chinois ont estimé que ce pic pourrait être atteint rapidement, dès la semaine prochaine. D’autres chercheurs ont estimé que le pic serait plus probablement atteint en avril ou en mai. «Personne ne sait vraiment. C’est prématuré, me semble-t-il, d’anticiper ces évolutions», tranche le professeur Fontanet, qui évoque plusieurs incertitudes comme la possibilité qu’une «nouvelle épidémie de NCoV se déclenche dans d’autres pays que la Chine». Sur RTL ce lundi, le professeur Christophe d’Enfert, directeur de l’Unité Biologie et Pathogénicité fongiques de l’Institut Pasteur, a lui aussi évoqué la prépondérance de ces incertitudes: «Les virus, en particulier ce type de virus, mutent assez facilement. Et donc on peut imaginer qu’il acquière des mutations qui vont le rendre peut-être plus contagieux, ou plus pathogène. C’est impossible de le prédire». Raison de plus pour observer les courbes, mais sans en tirer de conclusions hâtives.

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