Conflit Ukraine-Russie : cinq questions sur les “accords d’amitié” signés entre Moscou et les républiques auto – franceinfo

Une reconnaissance d’indépendance, renforcée par des “accords d’amitié”. Le président russe Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance de deux territoires séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine, lundi. Dans la foulée, les députés russes ont approuvé à l’unanimité ce texte prévoyant que la Russie défende le Lougansk et le Donetsk, mardi 22 février. Ces “accords d’amitié, de coopération et d’entraide” ouvrent donc la voie à une présence militaire russe sur le territoire ukrainien.

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Cette annonce intervient alors que les Occidentaux redoutent une invasion imminente de l’Ukraine, aux frontières de laquelle plus de 150 000 militaires russes, selon Washington, attendent l’arme au pied depuis des semaines. Franceinfo fait le point sur ces “accords d’amitié et d’entraide” qui pourraient faire basculer le conflit.

1Qu’a déclaré Vladimir Poutine dans son discours télévisé, lundi ?

Juste avant la signature des accords, lundi soir, Vladimir Poutine a déclaré dans un discours à la télévision russe qu’il reconnaissait “l’indépendance de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk”, deux territoires séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine.

Dans son discours long de 65 minutes, Vladimir Poutine a passé en revue l’histoire des relations russo-ukrainiennes, exposant la thèse selon laquelle l’Ukraine était une nation créée de toute pièce à l’époque soviétique avec des territoires essentiellement pris à la Russie. “L’Ukraine contemporaine a été entièrement et totalement créée par la Russie bolchévique et communiste”, a-t-il déclaré.

Durant l’allocution, il est apparu menaçant à l’égard des autorités ukrainiennes, les accusant d’orchestrer “un génocide qui touche quatre millions” de Russes ou russophones. Vladimir Poutine a aussi évoqué la possibilité que l’Ukraine se dote de l’arme nucléaire, car elle en a, selon lui, les capacités techniques du fait de son héritage soviétique.

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Une fois de plus, le dirigeant du Kremlin a aussi dénoncé les élargissements successifs de l’Otan dans la région, que Moscou considère comme une menace. Le président russe a intimé dans la foulée à l’Ukraine de cesser immédiatement “ses opérations militaires” contre les séparatistes ou d’assumer “la responsabilité de la poursuite de l’effusion de sang”.

2Que contiennent les accords signés par Vladimir Poutine ?

Vladimir Poutine a signé deux décrets reconnaissant les territoires de Lugansk et de Donetsk comme des “Républiques populaires”, “souveraines et indépendantes”. Ces documents comportent en outre des “accords d’amitié, de coopération et d’entraide” entre la Russie et les deux territoires.

Les accords prévoient que “les forces armées de la Russie (assument) les fonctions de maintien de la paix sur le territoire” des “républiques populaires” de Donetsk et Lougansk. Ceux-ci “fixent les obligations des parties pour assurer une assistance mutuelle si l’une des parties est la cible d’une attaque”, et “prévoient la protection en commun” des frontières. Ils créent donc “le fondement juridique” pour une présence militaire russe dans ces régions ukrainiennes. Ces accords d’entraide sont valables une décennie.

Après son intervention télévisée, Vladimir Poutine a accueilli au Kremlin les dirigeants de la “République populaire de Donetsk” (DNR) et de celle de Lougansk (LNR), Denis Pouchiline et Léonid Passetchnik, qui l’avaient appelé plus tôt lundi à reconnaître l’indépendance des deux territoires.

3De quels territoires parle-t-on exactement ?

La délimitation des espaces revendiqués a soulevé des interrogations, après le discours de Vladimir Poutine. S’agit-il de la ligne de front actuelle ou des limites des régions administratives de Donetsk et Lougansk définies par Kiev, bien plus vastes, que revendiquent les séparatistes ?

Les oblasts (régions administratives) du Lougansk et du Donetsk sont situés, dans l’est de l’Ukraine, jouxtent la Russie. Le Donetsk rassemble 2,3 millions d’habitants, et le Lougansk 1,4 million d’habitants, soit au total 3,7 millions d’habitants pour un total de 16 200 km², l’équivalent des superficies de l’Île-de-France et de la ville de Nice cumulées. Ensemble, elles forment la région du Donbass, qui désigne le bassin houiller de la rivière Donets.

Pour distinguer la zone séparatiste du reste de la région, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) établit cette carte. En rouge, la ligne de front permet d’identifier la zone partielle séparatiste, à l’est. A l’ouest, la ville de Marioupol, principal port ukrainien ayant accès à la mer d’Azov, se trouve en territoire ukrainien non-séparatiste.

Carte de la ligne de front ukrainien par l'OSCE. (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE))

Selon le journal Libération, le ministre de l’Intérieur russe a conseillé à Vladimir Poutine de reconnaître les “frontières historiques” des territoires séparatistes ukrainiens. Cela engloberait donc toute la région du Donbass et s’étendrait bien au-delà de la ligne de front actuelle. Cependant, le texte soumis et validé par la Douma mardi est flou.

Les responsables russes interrogés au sujet des frontières ont aussi donné des réponses évasives, selon Max Seddon, correspondant du Financial Times en Russie, sur Twitter (en anglais). Le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, a déclaré qu’il s’agissait “des frontières dans lesquelles ils existent et dans lesquelles ils ont déclaré [l’indépendance]et a ensuite “refusé d’entrer dans les détails” lorsqu’il a été interrogé sur le cas de Marioupol par exemple. Au même moment, le vice-ministre des Affaires étrangères, Andreï Roudenko, évoquait les frontières des “juridictions” (et donc l’ensemble du Donbass), devant des journalistes.

Vladimir Poutine a lui-même clarifié ses intentions, mardi après-midi, en précisant reconnaître l’indépendance de l’ensemble des deux oblasts, bien au-delà de la ligne de front. “Nous avons reconnu l’indépendance de ces républiques, c’est-à-dire tous leurs documents fondamentaux, y compris leur constitution. Et dans la constitution sont inscrites les frontières des régions de Donetsk et Lougansk telles qu’elles étaient quand elles faisaient partie de l’Ukraine”, a souligné le président russe devant des journalistes. Il a cependant précisé que les frontières exactes devraient être tracées lors de pourparlers entre les deux républiques séparatistes et l’Ukraine.

4Est-ce une première ?

Outre la reconnaissance des séparatistes prorusses d’Ukraine lundi, la Russie a déjà reconnu deux territoires sécessionnistes en Géorgie. En 2008, le Kremlin a reconnu l’indépendance de deux “républiques” séparatistes prorusses en Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, après une guerre éclair contre Tbilissi, ex-république soviétique qui, comme l’Ukraine, ambitionne de rejoindre l’Otan.

La Russie a en outre annexé la péninsule ukrainienne de Crimée, en 2014, et soutient depuis le début des années 1990 le séparatisme de la Transnistrie, en Moldavie.

5Quelles conséquences auront ces accords ?

Ces accords signent la fin d’un processus de paix sous médiation franco-allemande avec les accords de Minsk de 2015 entre la Russie et l’Ukraine. Bien que régulièrement violé, ce texte avait permis de limiter jusque-là les affrontements. Mais depuis l’annexion de la Crimée en 2014, des combats récurrents ont fait près de 14 000 morts.

Lundi soir, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a qualifié “les derniers actes de la Russie de violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de notre Etat”, assurant que Kiev ne céderait pas “une parcelle” du pays et n’avait peur “de rien ni personne”.

Les Etats-Unis, l’Union européenne, l’Otan et Londres, ont dénoncé unanimement une “violation flagrante du droit international”. Dans la nuit de lundi à mardi, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni d’urgence pour tenter d’éviter une guerre. En début de réunion, la secrétaire générale adjointe de l’ONU pour les Affaires politiques, l’Américaine Rosemary DiCarlo a déclaré : “Les prochaines heures et jours seront critiques. Le risque de conflit majeur est réel et doit être évité à tout prix.”

La mesure de représailles la plus forte pour le moment a été annoncée par Berlin, qui a gelé le gazoduc Nord Stream II reliant la Russie à l’Allemagne et promis que des sanctions européennes “massives et robustes” suivraient. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a annoncé des sanctions visant trois oligarques proches du Kremlin et cinq banques russes. Des mesures a minima pour Londres, place forte financière des grandes fortunes russes.

L’Union européenne planche aussi sur des sanctions économiques. La Maison Blanche, qui a interdit toute transaction par des personnes américaines avec les régions séparatistes, doit aussi en prendre. Joe Biden doit s’exprimer à ce sujet mardi soir. Ces mesures restent pour l’instant modestes par rapport à celles promises en cas d’invasion d’ampleur. Les Occidentaux semblent attendre de voir comment évoluera la situation.

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