Confinement, mortalité, tests… On a passé au crible les deux interventions de Didier Raoult – Le Parisien

Plus de trois heures d’audition parlementaire mercredi soir, puis 30 minutes ce jeudi matin sur RMC et BFMTV. Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée Infection, a profité de ces deux longues occasions à Paris pour donner son point de vue sur la gestion de la crise sanitaire du coronavirus.

Fidèle à lui-même, le médecin, idole dans de nombreux quartiers à Marseille, a critiqué successivement une grande partie de ses confrères ainsi que les autorités sanitaires et l’entourage du gouvernement. Mais certaines de ses affirmations sont, a minima, à nuancer. En voici six, que nous avons décryptées.

Le confinement a-t-il permis de sauver des vies ?

« La décision du confinement comme celle des masques dans la rue ne reposent pas sur des données scientifiques établies, claires et démontrables. Cela ne sera jamais démontré », a asséné Didier Raoult face aux députés de la commission d’enquête. À plusieurs reprises, mercredi et ce jeudi matin, il s’est aussi dit incapable de dire si le confinement avait permis de sauver des vies en France.

S’il est difficile de savoir quel a été l’impact de chacune des mesures sanitaires, la plus grande partie de la communauté scientifique s’accorde sur le fait que le confinement a permis de limiter la propagation de l’épidémie, donc le nombre de contaminations, et, in fine, celui des décès. Le 30 mars, une étude du prestigieux Imperial College de Londres estimait que 2500 vies avaient été sauvées en deux semaines de restrictions en France. Le 8 juin, la même institution évaluait à 3,1 millions le nombre de décès évités dans onze pays européens (dont près de 700 000 en France), depuis le début des mesures de confinement en mars.

« Tous les modèles convergent sur le fait que plus le confinement a été décidé tardivement, plus sur la surmortalité par rapport à la population a été élevée », souligne un épidémiologiste joint par Le Parisien.

VIDÉO. Le professeur Raoult s’explique devant les députés

Selon une autre étude, conduite par des chercheurs du Global Policy Laboratory de l’université de Californie et publiée dans la revue Nature le 8 juin, 1,4 million d’infections supplémentaires auraient été empêchées en France grâce au confinement. Mais ces scientifiques ne se prononcent pas sur la surmortalité qui aurait été évitée.

S’il s’est « interdit » d’avoir une opinion concernant le « confinement à la maison », s’agissant d’un « domaine politique », Didier Raoult a tout de même estimé que « les rassemblements (étaient) déraisonnables ».

« Jamais » employé l’expression « deuxième vague » ?

« Je n’ai jamais dit ça [qu’il n’y aurait pas de deuxième vague ], c’est un fantasme de médias, je n’ai même jamais employé ces mots », a lâché Didier Raoult face aux députés, alors que la possibilité d’une reprise de l’épidémie inquiète dans certains pays et en Europe.

Ces dernières semaines, le microbiologiste avait néanmoins estimé, dans plusieurs de ses vidéos sur la chaîne YouTube de son IHU, que l’épidémie lui semblait terminée. « Il n’y a nulle part de deuxième vague, ni de dos de chameau, c’est la courbe banale. […] Il y aura quelques cas sporadiques ici ou là, […] mais cela ne traduit plus une dynamique épidémique », estimait-il par exemple le 12 mai, sans véritable contradicteur face à lui.

Peu après, le 26 mai, dans L’Express, il assurait déjà n’avoir « jamais dit qu’il n’y aurait pas de deuxième vague » et avoir simplement « rappelé que, pour l’instant, cela n’est jamais arrivé ». « Une deuxième vague n’est pas à exclure, mais on a du recul sur ce qui se passe en Chine, et on voit bien qu’il n’y a pas de rebond, simplement quelques cas sporadiques », lâchait-il.

Son discours a aussi semblé moins tranché ces derniers jours. « Personne n’est capable de prédire l’avenir, […] il se peut qu’il y ait un nouveau pic épidémique au moment de la saison hiverna-printanière », indiquait-il par exemple le 19 juin, dans une nouvelle vidéo YouTube.

Didier Raoult invite désormais à se pencher sur la situation en Nouvelle-Zélande, située dans l’hémisphère Sud (où l’hiver débute), afin de savoir le virus pourrait être saisonnier, et donc revenir en France l’hiver prochain. « Prédire, je ne sais pas faire. Mais je sais qu’il faut observer la Nouvelle-Zélande », répondait-il aussi au Parisien le 23 juin.

« À Paris, la mortalité [chez les moins de 65 ans] dans les réanimations est de 43 %, chez nous [à Marseille] elle est de 16 % »

C’est l’un des arguments massue de Didier Raoult : comparer les chiffres de la mortalité à Paris et à Marseille, illustration (selon lui) de la mauvaise gestion de la crise sanitaire dans la capitale et/ou des bienfaits supposés de l’hydroxychloroquine dans la cité phocéenne. En région parisienne, « le soin est passé au second plan », a-t-il lâché mercredi.

Sauf que le calcul de la proportion de décès en réanimation relève, pour le moment, du casse-tête. Ce serait « entre 30 % et 40 % », selon des estimations arrêtées au 25 avril et dévoilées à l’époque par un coordinateur du Réseau européen de ventilation artificielle, mais qui restent à confirmer. Plusieurs médecins en réanimateurs en région parisienne avançaient alors auprès du Parisien une estimation similaire dans leur service, tout en appelant à la prudence le temps que les chiffres soient consolidés. « C’est autour de 50 %, j’ai pu vérifier ce chiffre », nous indique aujourd’hui Vincent Das, chef de service de réanimation de l’hôpital André Grégoire, à Montreuil.

Mais les comparaisons entre Paris et Marseille se heurtent aussi au fait que les autorités sanitaires ne fournissent des données qu’à l’échelle de la région et du département (dont Paris), mais pas au niveau de la ville (pas Marseille, donc). Didier Raoult n’a d’ailleurs pas été en mesure de fournir la source de son affirmation. Et d’autres critères, comme le nombre de tests, l’âge moyen de la population et les transferts de patients entre les départements, peuvent aussi intervenir. « Plus de 30 % des décès enregistrés [à Paris] le sont pour des personnes domiciliées hors du département », indique par exemple l’Insee le 11 mai.

Cela n’avait déjà pas empêché Didier Raoult de lâcher, le 19 mai, que la mortalité liée au Covid-19 à Paris était « plus de cinq fois supérieure à celle à Marseille ».

Pouvait-on tester à plus grande échelle en France ?

« Je ne suis pas d’accord avec l’idée que l’on ne pouvait pas faire les tests, on pouvait les faire », a assuré le professeur Raoult. À quoi fait-il référence? À plusieurs déclarations de l’exécutif sur la stratégie de dépistage menée en France. Encore récemment, en avril, lors d’un déplacement en Seine-Saint-Denis, Olivier Véran assurait qu’il était « impossible de tester 60 millions de Français tous les jours ».

Depuis le début de la crise, le manque de tests et d’actifs a conduit le gouvernement à adopter une stratégie : préférer la surveillance syndromique au profit du dépistage, comme l’a répété Jérôme Salomon devant les députés le 16 juin. Une stratégie infondée selon le professeur Raoult. Mais la France avait-elle les capacités de tests suffisantes pour suivre les préconisations de l’OMS? Pas au départ, estime ce jeudi l’ancien directeur de l’institut Pasteur, Patrick Berche, sur LCI, après l’audition du professeur. « Les tests, il y a eu certainement un retard. Dans cette crise, au départ nous n’étions pas prêts », a-t-il estimé. « Je ne comprends pas pourquoi on a attendu avant de permettre aux laboratoires de faire ces tests », s’est-il néanmoins interrogé. Pour rappel, c’est le 3 avril que le ministre de la Santé annonce l’autorisation aux laboratoires non hospitaliers de pouvoir pratiquer des tests.

Cité lors de l’audition du professeur Raoult, le professeur Philippe Frogel, généticien, se serait lui vu interdire la pratique de tests au sein de l’hôpital de Lille. « Début mars, j’ai proposé mon aide car je maîtrisais les PCR, j’en ai fait des milliers. On m’a dit non merci, assure-t-il auprès du Parisien. « Si dans tous les CHU il y a eu les mêmes blocages, il était certain qu’on ne pouvait pas atteindre le niveau de la Corée du Sud », tance-t-il.

Mardi, c’est l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, membre du Conseil scientifique, qui a estimé que la France n’utilisait pas à plein sa capacité de tests pour détecter le coronavirus. « On a une capacité de tester qui va jusqu’à 100 000 tests par jour », a-t-il assuré.

Est-ce que l’hydroxychloroquine est « massivement » prescrite ailleurs qu’en Europe et aux Etats-Unis ?

Difficile de savoir où et à quel volume l’hydroxychloroquine (HCQ) est prescrite précisément. Au moment de la polémique autour de l’étude de The Lance t, début juin, l’Agence France Presse avait néanmoins recensé les différents usages de la chloroquine à travers le monde.

L’Italie, l’Egypte, la Tunisie, la Colombie, le Chili, le Salvador, le Cap-Vert, l’Albanie ou la Bosnie-Herzégovine ont suspendu la prescription d’HCQ aux patients Covid-19 dans la foulée des résultats de l’étude controversée du docteur Mandeep R. Mehra. En Italie toutefois, son administration reste possible dans le cadre d’essais cliniques.

Nombreux sont les pays qui, au contraire, louent l’efficacité de l’hydroxychloroquine. C’est le cas du Brésil, de l’Algérie, du Maroc, de la Turquie, de la Jordanie, de la Thaïlande, de la Roumanie, du Portugal, du Kenya, du Sénégal, du Tchad ou encore du Congo-Brazzaville. Selon l’Express, certains pays asiatiques autorisent ou recommandent effectivement la chloroquine ou le cocktail hydroxychloroquine – azithromycine pour les malades pris en charge à l’hôpital, comme la Malaisie, la Corée du Sud ou la Thaïlande.

L’Inde et le Venezuela ont quant à eux un usage prophylactique (en prévention) de l’hydroxychloroquine. Les autorités sanitaires indiennes assurent n’avoir détecté « aucun effet secondaire majeur ». De son côté, Cuba continue d’utiliser l’HCQ mais va réviser ses protocoles pour introduire des précautions supplémentaires.

Aux Etats-Unis, le médicament a bien été autorisé fin mars, mais uniquement à l’hôpital. Avant d’être retiré mi-juin par les autorités sanitaires. Elles lui ont préféré le remdesivir, autorisé le 2 mai pour les malades graves.

L’Europe préférerait-elle aussi ce médicament pour traiter ses patients? L’Agence européenne des médicaments (EMA) vient de recommander ce jeudi l’autorisation d’une « mise sur le marché conditionnelle » du remdesivir au sein de l’Union européenne pour les patients atteints du nouveau coronavirus.

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