Comprendre l’escalade de la violence entre l’Iran et les Etats-Unis depuis 2018, en six points – Le Monde

Manifestation, vendredi 3 janvier, à Téhéran, contre la frappe américaine qui a tué Ghassem Soleimani la veille.

Manifestation, vendredi 3 janvier, à Téhéran, contre la frappe américaine qui a tué Ghassem Soleimani la veille. ATTA KENARE / AFP

La tension entre Washington et Téhéran n’a cessé de monter depuis le retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions économiques. Au fil des mois, leur bras de fer diplomatique et économique s’est mué en épisodes de plus en plus violents, jusqu’à l’assassinat, ordonné par Donald Trump, du chef des forces spéciales des gardiens de la révolution iraniens, Ghassem Soleimani, jeudi 2 janvier. Retour sur un an et demi d’escalade.

1. Les Etats-Unis se retirent de l’accord

Alors que son prédécesseur, Barack Obama, avait tout fait pour améliorer les relations entre Washington et Téhéran, Donald Trump a sorti les Etats-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le 8 mai 2018. Ce compromis, signé difficilement trois ans plus tôt par l’Iran, la Russie, la Chine, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, visait à limiter le programme nucléaire de Téhéran, alors qu’ils soupçonnaient de vouloir développer la bombe atomique, en échange de la levée de sanctions économiques. Rendu possible par l’arrivée d’un président modéré en Iran, Hassan Rohani, l’accord était respecté par Téhéran, d’après l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

2. Les sanctions économiques frappent l’Iran

Malgré les rapports réguliers et positifs du gendarme du nucléaire, Donald Trump a rétabli de lourdes sanctions économiques à l’encontre de l’Iran. Passé une période transitoire de quatre-vingt-dix jours après le retrait de l’accord, un premier volet de sanctions économiques s’abat, en août 2018, sur les secteurs bancaires, des matières premières, de l’automobile et de l’aéronautique civil. En novembre de la même année, elles se sont étendues aux secteurs pétrolier et gazier ainsi qu’à la banque centrale iranienne. La valeur du rial, la monnaie nationale, a été divisée par trois, voire par quatre en quelques mois. Les mains tendues des Européens, soucieux de conserver l’accord, ne sont pas parvenues à compenser le désarroi du pays, au bord de l’asphyxie.

3. L’Iran viole l’accord de Vienne

Acculé, l’Iran a annoncé qu’il ne respecterait plus l’accord de Vienne. Progressivement, le pays commence à ne plus respecter les dispositions de l’accord – sans pour autant le dénoncer officiellement. Un mois après le retrait des Etats-Unis, Téhéran annonce d’abord son plan pour accroître le nombre de ses centrifugeuses – permettant d’augmenter son stock d’uranium enrichi. En juillet 2019, les autorités iraniennes ont annoncé reprendre l’enrichissement d’uranium au-delà du taux autorisé de 3,67 % – jusqu’à 4,5 %, un niveau cependant loin des 90 % nécessaires pour envisager la fabrication d’une bombe atomique.

Décryptage : Nucléaire iranien : pourquoi l’accord prévoit-il un seuil maximal d’enrichissement de l’uranium ?

Puis, elles ont reconnu que leur stock d’uranium faiblement enrichi dépassait les 300 kg autorisés. Ces violations mineures, mais répétées, de l’accord ne sont pas analysées par les experts comme une réelle reprise d’un programme nucléaire militaire, mais comme un « appel au secours à ses partenaires ».

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4. Le pétrole, au cœur de la guerre économique

Afin de survivre économiquement, l’Iran a aussi entrepris de contourner le blocus imposé par Washington sur ses exportations de pétrole – des sanctions encore durcies en mai 2019 par Donald Trump. Les transporteurs iraniens ont immatriculé leurs navires à l’étranger et dès octobre 2018, ses navires-citernes ont coupé leurs balises GPS afin de masquer leurs mouvements.

Puis les incidents de navires pétroliers se sont multipliés. En juin, deux navires norvégien et japonais ont été la cible d’une attaque indéterminée que les Etats-Unis ont imputée à l’Iran. Au début de juillet, les autorités britanniques ont saisi le pétrolier iranien Grace 1 au large de Gibraltar, accusé de vouloir livrer la Syrie, soumise à un embargo. En réponse, les gardiens de la révolution islamique ont arraisonné un pétrolier suédois, puis saisi un navire sous pavillon britannique.

5. Eté 2019 : la guerre des drones

Durant l’été, le climat s’est tendu dans l’espace maritime, mais aussi aérien. Le 20 juin, les autorités iraniennes ont abattu un drone américain qui, selon elles, violait leur espace aérien. En représailles, le président américain a ordonné des tirs ciblés, avant de se raviser « dix minutes avant la frappe ». Un mois plus tard, les Etats-Unis ont assuré avoir abattu un drone iranien qui se serait trop approché d’un navire américain dans le détroit d’Ormuz, alors que Téhéran affirmait que tous ses drones étaient rentrés.

La tension est encore montée d’un cran à la mi-septembre à la suite de l’attaque de deux infrastructures du secteur pétrolier saoudien, l’usine d’Abqaïq et le champ de Khouraïs. La capacité de production d’Aramco, la société du royaume saoudien, allié des Etats-Unis, avait été divisée par deux à cause de cet événement. Les Etats-Unis ont rapidement accusé Téhéran, suivis quelques jours plus tard par Paris, Berlin et Londres.

6. Les frappes aériennes

Après cette attaque, les événements violents se sont accélérés. En novembre, Israël a bombardé des sites iraniens en Syrie. Puis, à la fin de décembre, les Etats-Unis ont lancé des raids aériens, tuant vingt-cinq personnes du mouvement proche du Hezbollah pro-iranien en Irak et en Syrie. Deux jours plus tard, des milliers de partisans du Hachd Al-Chaabi, une coalition de milices chiites pro-iraniennes, ont forcé l’entrée de l’ambassade américaine en Irak. Jusqu’au 2 janvier, où Donald Trump a ordonné la frappe qui a coûté la vie au chef des Forces Al-Qods, Ghassem Soleimani, renforçant encore les craintes que cette escalade ne se transforme en confrontation militaire directe entre les deux pays ennemis.

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