Comment recruter à distance, au temps du confinement ?

Comment recruter à distance, au temps du confinement ?

Anne-Sophie a démarré son nouveau contrat de travail le 18 mars dernier. C’est par écran interposé que la journaliste a vécu ses premiers pas dans sa nouvelle entreprise. « J’ai été contactée par téléphone la veille de mon premier jour par le rédacteur en chef. Il m’a donné rendez-vous à 9 heures le lendemain, dans les locaux (vides), pour récupérer un ordinateur. J’ai également reçu une formation express afin de pouvoir être opérationnelle. Seules les fonctionnalités de base m’ont cependant été montrées, à savoir comment mettre le texte dans le CMS, chercher une photo et voir les dépêches de l’AFP », raconte-t-elle à ZDNet.

Très vite opérationnelle sur le plan matériel, la jeune femme, qui communique tous les jours sur Slack et via Skype avec ses collègues, évoque des débuts difficiles. « J’ai directement été lâchée dans le grand bain. La rédaction était sous tension en raison de la pandémie. Cela faisait déjà plusieurs jours que mes collègues étaient sur le pont et ils n’avaient pas beaucoup de temps à m’accorder pour répondre à mes questions, que ce soit sur les logiciels, le fonctionnement de la rédaction ou encore sur la ligne éditoriale et les directives internes », explique-t-elle.

Cette période d’adaptation aurait pu se faire dans de bien meilleures conditions : « pour être honnête, je pourrais faire mieux. C’est très frustrant. Je perds beaucoup de temps à découvrir les logiciels, à trouver les informations et les coordonnées de contacts pour des sujets que je n’avais jusque-là pas l’habitude de traiter, à faire les liens avec les articles déjà publiés par mes collègues… toutes ces choses qui ne prennent que quelques minutes habituellement lorsque les collègues sont (physiquement) à côté ».

Malgré son envie de bien faire, la productivité d’Anne-Sophie a montré ses limites aussi sur le plan technique : « tous les logiciels ne sont pas installés sur mon ordinateur. Une personne du service IT a pris la main sur mon ordinateur, mais le téléchargement n’est pas possible en dehors des locaux pour des questions de sécurité. Mon micro ne fonctionne également pas, ce qui m’empêche de participer – oralement du moins – aux réunions Skype. Cela ne facilite pas l’intégration. Le son est également mauvais et saute, ce qui fait que je n’entends pas toujours ce qui est dit ».

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Recréer un « sentiment de démarrage »

La première impression est pourtant décisive. En période d’activité normale, « 4 % des salariés en France quittent l’entreprise après le premier jour de leur intégration », fait remarquer Jérémy Clédat, CEO de Welcome to the Jungle. Pour faire en sorte que l’intégration du nouvel employé se passe le mieux possible, certains recruteurs travaillent sur des process d’onboarding spécifiques. « Chez Welcome, on mise beaucoup sur le process d’onboarding. Lundi dernier [6 avril], cinq personnes sont arrivées dans l’équipe. Il a fallu organiser toute la logistique en amont pour organiser la livraison du matériel le jour J, et s’assurer que leurs agendas étaient bookés les premiers jours. Les nouvelles recrues reçoivent aussi une newsletter quotidienne les deux premières semaines pour présenter les équipes », évoque Jérémy Cledat.

La société utilise la plateforme “Welcome Home”, un outil d’intégration maison sur lequel chaque collaborateur dispose d’un profil qu’il peut enrichir. « C’est indispensable, car nous sommes aujourd’hui 150 collaborateurs », poursuit Jérémy Cledat. « Il faut être un peu créatif au début ! »

En temps normal, deux cas de figure justifient le recrutement par visioconférence. « Soit parce qu’une entreprise reçoit une population de candidats de taille importante et utilise donc la vidéo pour optimiser le process, ou alors parce qu’une entreprise vise des profils spécialisés et recherchés », analyse Jérémy Cledat.

Pour Benjamin Dahon, CTO chez Planète Oui, il est essentiel d’anticiper l’accueil de tout nouvel employé pour créer, a minima, « un sentiment de démarrage ». Le fournisseur d’électricité renouvelable localisé en Rhône-Alpes vient de recruter trois nouvelles personnes à distance, dont un ingénieur data pour venir grossir les rangs de l’équipe technique. Les nouveaux collaborateurs se font livrer le matériel directement chez eux et sont accueillis, dès le premier jour, par une conférence de toute l’équipe sur Zoom. « Chaque nouveau se voit aussi présenter un brief de chaque équipe sur son domaine d’activité et ses missions. Cela permet de démystifier certains métiers au sein de l’entreprise », note Benjamin Dahon.

L’entreprise met aussi à disposition des « dossiers de connaissance écrits » via Dropbox. « On veut parallèlement garder la communication orale bien sûr, mais ces documents écrits ont l’avantage de pouvoir être consultés à tout moment », précise le CTO, qui note que « tous les collaborateurs sont dans l’ensemble plutôt bien réceptifs aux sollicitations numériques durant cette période ».

« La messagerie instantanée n’est pas la panacée »

Si une partie du processus de recrutement avait déjà lieu en visioconférence avant le confinement, Benjamin Dahon remarque que la communication numérique possède certaines avantages, notamment pour les candidats introvertis : « le fait d’être dans un environnement personnel permet à ceux qui ont plus de mal à s’exprimer devant un groupe de se sentir plus à l’aise », observe-t-il.

Cela ne l’empêche pas, en revanche, de pointer les écueils du télétravail. « Les employés ont tendance à moins communiquer en ligne avec les personnes qui travaillent à distance, préférant souvent les échanges informels en présentiel. » Benjamin Dahon estime par ailleurs que « la messagerie instantanée n’est pas la panacée ». « Plus de rigueur » est selon lui nécessaire : « il est utile par exemple d’ouvrir plusieurs canaux de discussion, afin d’être sollicité quand le sujet de la conversation ne nous concerne pas ».

« Les relations humaines restent indispensables en matière de recrutement », soutient Jérémy Paille, fondateur de l’agence Hexagone Stratégie, basée à Lyon, et qui, début avril, a également accueilli sa dernière recrue en télétravail. L’accueil s’est fait le premier jour en visioconférence, pendant deux heures d’échanges sur des sujets variés, pour faire connaissance. « Nous avons pris le temps nécessaire au départ. Depuis une semaine, la nouvelle collaboratrice fait partie intégrante de nos échanges quotidiens sur Slack », indique Jérémy Paille.

« Cela ne m’a même pas traversé l’esprit de repousser la date d’entrée en fonction », affirme-t-il. Avec la vidéo, et les échanges par e-mail et par messagerie instantanée, Jérémy Paille reconnaît qu’il est devenu facile de communiquer à distance, même s’il admet avoir hâte de retrouver le chemin du bureau.

Dans un quotidien de confiné, la vidéo s’avère être un moyen « d’aider à conserver ce lien et maintenir la vie interne à l’entreprise », analyse Daniel Bessis, CEO de la start-up Pop-Eye, application mobile qui propose un service de consultation de petites annonces en vidéo destinée aux particuliers. La start-up parisienne teste, depuis janvier, un outil d’intégration RH. Cet outil, qui sera sur le marché « à la mi-mai », devrait faciliter l’intégration des nouveaux collaborateurs le premier mois. « La plateforme, gérée par la directeur des ressources humaines, assure à la nouvelle recrue un accès à un trombinoscope, qui offre une présentation de l’ensemble des départements de l’entreprise », précise Daniel Bessis, pour qui la vidéo se démarque surtout comme étant un « vecteur de confiance ».

Le revers de la digitalisation

Le rythme des embauches va-t-il pouvoir durer au sortir de la crise sanitaire ? Selon une enquête de PwC, les directeurs financiers prévoient de réduire les dépenses d’investissement et d’anticiper davantage de licenciements afin de faire face aux conséquences économiques de la crise du Covid-19.

La digitalisation des process RH peut conduire à des situations critiques, en atteste la vague de licenciements prononcée chez Bird sur Zoom. Si les méthodes de l’opérateur de trottinettes sont critiquables, il n’est pas le seul à avoir eu recours à la visioconférence pour se séparer de ses effectifs. « Chez Pop-Eye, on a dû faire aussi un licenciement par vidéo », témoigne Daniel Bessis. « C’est l’une des choses les plus difficiles à faire en tant que chef d’entreprise. Mais la vidéo, si elle n’est pas la bienvenue dans ce type de cas, reste mieux qu’un simple appel », souligne-t-il.

« C’est une période particulière où nos repères sont bouleversés », admet Jérémy Clédat. Pour le CEO de Welcome to the Jungle, « être transparent sur la santé de son entreprise » est primordial en temps de crise. Dans le cas des licenciements par visioconférence chez Bird, « la forme est plus condamnable que le médium », estime-t-il. « Ce qui est difficile, c’est de ne pas prévenir les personnes concernées en amont et de les convier à une réunion vidéo sous un faux prétexte. Ce que je trouve difficile, c’est la brutalité de l’action. »

Pour Jérémy Clédat, ce cas soulève aussi la question des inégalités. « Lorsqu’une vague de licenciements pendant le confinement se produit sur une population déjà fragile, comment ces personnes peuvent-elles retrouver du travail en ligne ? Cela rajoute une difficulté technique au-delà de l’accès au marché de l’emploi. Cette problématique concerne moins les cadres et les métiers qualifiés. »

Jérémy Clédat avance par ailleurs que le recrutement par visioconférence peut faire ressortir certaines inégalités entre les candidats. « C’est un sujet de fracture sociale et numérique, puisqu’il faut avoir une bonne connexion, le matériel adéquat, la connaissance des outils. Pour moi, c’est un gros sujet d’inquiétude. Si les échanges en ligne ne sont pas fluides et rendus techniquement difficiles, alors cela peut avoir un impact sur une candidature », avertit-il.

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