Comment des groupes Telegram sur le carding et le phishing ont ouvert une controverse juridique

Comment des groupes Telegram sur le carding et le phishing ont ouvert une controverse juridique

Coup d’épée juridique dans l’eau ou vraie brèche contre une infraction : le recel est-il utilisé de manière trop extensive pour réprimer la cybercriminalité ? Un avocat, Me Alexandre Lazarègue, a déposé à la mi-décembre une question prioritaire de constitutionnalité dans une affaire de carding – ces utilisations illicites de cartes de crédit – sur l’application Telegram. Une demande qui pourrait, en cas de succès, avoir des conséquences importantes.

Si cette perspective reste encore lointaine, la requête vient cependant de franchir un premier filtre. Après avoir été jugée sérieuse et nouvelle par la 12e chambre du tribunal judiciaire de Paris, elle a été transmise à la Cour de cassation. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire indiquera dans le courant des premiers mois de l’année 2022 si elle estime nécessaire de transmettre cette question au Conseil constitutionnel. Les Sages pourront alors rejeter la demande ou abroger la disposition critiquée s’ ils jugent qu’elle est anticonstitutionnelle.

Dans son mémoire, consulté par ZDNet, Me Alexandre Lazarègue estime que l’infraction de recel habituelle (ici, des coordonnées bancaires et des identifiants personnels), reprochée à son client, « affecte les conditions d’exercice de la liberté d’expression et de communication ». Une liberté sanctuarisée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui rappelle que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ».

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Faire briller la France de « 1 000 feux et non de 1 000 scam »

Dit autrement, l’avocat estime que son client ne peut pas être poursuivi pour recel pour la simple création et consultation d’un groupe de discussion sur Telegram. « On ne lui reproche pas d’avoir été sur un groupe de discussion – ce n’est pas illégal – mais d’avoir récupéré des données bancaires frauduleuses issues du carding », avait rétorqué à l’audience le ministère public, qui avait contesté sans succès le caractère sérieux de la présentation de la question prioritaire de constitutionnalité.

Mickaël M., un jeune homme de l’Allier, avait créé sur la messagerie Telegram un groupe de discussion sur les serveurs SMTP, vraisemblablement utilisé par ses membres pour des campagnes d’hameçonnage. Il avait également participé sur la même messagerie à un autre groupe centré sur le carding.

A la fin de l’année 2020, des policiers de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication avaient repéré des messages de promotion de nouveaux groupes Telegram sur le carding. Ainsi, sur les forums Dark French Anti System (DFAS) et Dread, un internaute signalait la création de deux groupes, l’un consacré au “carding solidaire”, l’autre dénommé “Carding shop France”. Ils rassemblaient en tout, avant leur suppression, environ 150 membres.

Très lyrique, cet internaute indiquait dans ses messages de promotion vouloir faire briller la France de « 1 000 feux et non de 1 000 scam » (arnaques). Pour les enquêteurs, il s’agissait plus vraisemblablement de partager des formations et données liées au carding, comme par exemple des données bancaires volées. Des tutoriels sur l’espionnage numérique, le piratage d’internautes ou sur la protection de données grâce au chiffrement étaient ainsi échangés.

Grâce à des informations en open source – le pseudo avait été déjà utilisé auparavant – les policiers ont réussi à identifier un second suspect, Maxime L., le compagnon de Mickaël M. Placés en garde à vue en avril 2021, les deux jeunes hommes, des autodidactes sans diplôme, se sont défendus d’avoir commis des infractions.

Recel à toutes les sauces ?

Maxime L. a certes reconnu du bout des lèvres avoir créé deux groupes Telegram, pour « apprendre et partager un nouveau savoir ». Poursuivi lui aussi pour recel, il est également renvoyé devant la justice pour tentative d’escroquerie, complicité d’escroquerie et participation à une association de malfaiteurs.

Si Mickaël M. ne contestait pas avoir créé le troisième groupe Telegram sur les serveurs SMTP, il précisait également que son offre n’avait rien d’illégal et visait au contraire à se prémunir d’e-mails frauduleux. A l’issue de l’enquête, il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour trois infractions : recel, association de malfaiteurs en vue de commettre du recel habituel de bien et pour association de malfaiteurs en vue de commettre des escroqueries. Ainsi, même en cas de succès de la question prioritaire de constitutionnalité, il resterait donc encore des charges contre lui. Mais l’éventuelle censure du recel pourrait alors, estime son conseil, bénéficier au prévenu en affaiblissant le dernier chef d’accusation.

« Le délit de recel a connu une extension notable de son champ d’application depuis plusieurs années, et ce malgré la multiplication des infractions spéciales », observe Me Alexandre Lazarègue. Le juriste, qui appelle à ouvrir « pour la première fois le débat constitutionnel relatif au délit de recel », espère s’inscrire dans le prolongement d’une décision de juin 2020 du Conseil constitutionnel sur le délit de recel d’apologie de terrorisme. Les Sages avaient alors estimé que la détention de fichiers ou documents apologétiques ne participait à l’infraction qu’à la condition de donner lieu ensuite à une nouvelle diffusion publique.

Quelle que soit l’issue juridique de ce dossier, l’affaire illustre la popularité grandissante de Telegram chez les cybercriminels. L’application de messagerie basée à Dubaï, qui revendique plus de 500 millions d’utilisateurs, serait, selon deux études récentes des éditeurs Vpnmentor et Cyberint, de plus en plus utilisée pour des activités délictuelles. Une transition des forums et places de marché du web sombre vers l’application qui serait due à l’anonymat offert par la plateforme, la perspective d’une large audience et une plus grande facilité d’utilisation.

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