Cinq minutes pour comprendre l’affaire Adama Traoré – Le Parisien

L’ampleur de la manifestation de soutien mardi à Paris démontre à quel point la mort d’ Adama Traoré reste dans l’actualité. Alors que les Etats-Unis se soulèvent pour dénoncer les violences policières après la mort de George Floyd, l’enquête ouverte depuis le décès du jeune homme de 24 ans lors de son arrestation à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise) en juillet 2016 est devenue un symbole de ce sujet en France.

VIDÉO. Rassemblement pour Adama Traoré : 20 000 manifestants rassemblés, des incidents lors de la dispersion

Les circonstances de la mort d’Adama Traoré au cœur de l’affaire

Le 19 juillet 2016, aux alentours de 17 heures, des gendarmes de L’Isle-Adam interviennent à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise) pour interpeller Bagui Traoré, dans le cadre d’une enquête pour extorsion de fonds. Son frère Adama, qui l’accompagnait, s’enfuit en courant pour tenter d’échapper au contrôle. Rattrapé une première fois, il réussit à s’échapper à nouveau. Du renfort est appelé.

Adama Traoré est repéré après avoir trouvé refuge chez un riverain. Trois gendarmes procèdent à l’arrestation du jeune homme qui fêtait ses 24 ans ce jour-là. « On se trouvait à trois dessus pour le maîtriser », indiquera plus tard l’un des militaires aux enquêteurs, accréditant la thèse d’un plaquage ventral. Adama Traoré est ensuite menotté et placé dans la voiture de la gendarmerie alors qu’il se serait rapidement plaint de difficultés à respirer. Durant le court trajet vers la gendarmerie de Persan, Traoré semble perdre connaissance.

Les secours sont alertés. À leur arrivée à la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), les pompiers découvrent la victime allongée sur le ventre, menottée dans le dos, sans pouls et en arrêt respiratoire. Malgré un massage cardiaque et l’intervention du Samu, Adama Traoré ne pourra pas être réanimé. L’annonce de sa mort marque le début de cinq nuits de violence dans sa commune. Après deux autopsies, son corps est enterré à Bamako (Mali).

Un marathon judiciaire et médico-légal

Dans une affaire sans témoins ni vidéo, les seuls témoignages sont ceux des trois gendarmes qui ont procédé à l’interpellation et ceux des secours arrivés plus tard à la gendarmerie. Avec certaines contradictions. Le reste est un débat d’experts médicaux dont les conclusions sont contradictoires.

La dernière passe d’armes date de ce printemps. Les juges d’instruction en charge de l’affaire avaient ordonné une nouvelle expertise (la troisième du dossier). Dévoilée le 29 mai, elle conclut qu’Adama Traoré « n’est pas décédé d’asphyxie positionnelle, mais d’un œdème cardiogénique ». De quoi écarter la responsabilité des gendarmes en pointant du doigt des pathologies cardiaques et pulmonaires ainsi que le contexte de stress intense et de d’effort physique. Quatre jours plus tard, ce mardi 3 juin, la famille réplique en versant au dossier une nouvelle expertise privée. Le médecin, cette fois, retient « une asphyxie positionnelle induite par le plaquage ventral ».

Quatre ans plus tôt, l’autopsie et la contre-autopsie avaient déjà mis en lumière des conclusions particulièrement contradictoires. À l’époque, le procureur de Pontoise avait d’ailleurs omis d’évoquer l’hypothèse de l’asphyxie, insistant sur une infection dont aurait été victime Adama Traoré. Une communication qui a précipité le dépaysement de l’affaire à Paris et la nomination de nouveaux juges d’instruction.

Expertises et contre-expertises avaient ensuite relevé une cardiopathie (maladie du cœur) et évoqué de multiples facteurs ayant pu précipiter la mort du jeune homme. Fin 2018, les juges clôturent les investigations sans mettre en examen les gendarmes, ouvrant la voie à un non-lieu. Mais le 11 mars 2019, la famille avait dévoilé le rapport médical qu’elle avait demandé à quatre professeurs des hôpitaux de Paris. Ces derniers balayaient les conclusions de leurs confrères, qualifiées de « spéculations théoriques » et invitaient à « se poser la question de l’asphyxie positionnelle ou mécanique ». Un document que les juges n’avaient pas considéré comme valable mais qui les avaient poussé à demander une nouvelle enquête médicale.

« Justice pour Adama » ou le symbole de la lutte contre les violences policières

La mobilisation de 20 000 personnes mardi soir devant le palais de justice de Paris est un signe de plus de l’ampleur symbolique qu’a pris cette affaire depuis quatre ans. Elle est devenue en France l’incarnation de la lutte contre les violences policières. Et elle est portée par un visage, celui d’ Assa Traoré, la grande sœur d’Adama.

« Notre combat est universel. Il dénonce la répression policière vécue par les jeunes de couleur dans les quartiers populaires, nous expliquait la jeune femme en juillet dernier. L’affaire Adama a permis de mettre à nu un système répressif, autoritariste et violent qui s’appuie sur une justice à deux vitesses […]. Si on ne s’était pas battus, mon frère serait officiellement mort de causes cardiaques et d’une infection graves. »

Messages sur les réseaux sociaux, t-shirts, slogan, appel à manifester… les comités de soutien sont sur tous les fronts pour soutenir le combat de la famille Traoré. Des personnalités de tout horizon s’associent également à cette cause. Des artistes comme Youssoupha, Kery James ou Mac Tyer ont organisé des concerts de soutien. Omar Sy, Christine & the Queens, IAM, Yannick Noah ou Éric Cantona avaient aussi signé un appel dès 2017 pour réclamer justice.

Une lutte tout-terrain dénoncée par l’avocat des gendarmes placés dans cette affaire sous le statut intermédiaire de témoins assistés. « La partie adverse mène une instruction médiatique et veut jouer l’opinion contre le dossier », déclarait Rodolphe Bosselut à l’Express en avril 2019. Un combat qui pourrait encore durer de longs mois.

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