Chirurgien pédophile : «Je veux que Le Scouarnec finisse ses jours en prison» – Le Parisien

Marie et Matthieu, dont les prénoms ont été changés, ont dix ans d’écart et des destins cabossés. Ils ne se connaissent pas directement mais partagent au moins un point commun. Ils ont l’un comme l’autre croisé la route du docteur Joël Le Scouarnec. Elle en 1996, à la polyclinique du Sacré-Cœur à Vannes (Morbihan). Lui, en 2006, à l’hôpital de Quimperlé (Finistère).

Leurs identités figurent dans les carnets du chirurgien digestif, découverts par les gendarmes en mai 2017 après son interpellation pour exhibition sexuelle auprès de sa petite voisine de Jonzac (Charente-Maritime). Marie, 33 ans, et Matthieu, 23 ans, ont été auditionnés par les gendarmes et font partie des 184 victimes supposées de Joël Le Scouarnec à avoir porté plainte. Leurs témoignages ont accrédité l’idée que les écrits du chirurgien, 68 ans, en détention provisoire depuis plus de deux ans, ne sont pas seulement « des fantasmes », comme l’avance son avocat, mais bien la description de faits réels.

«Ma conscience n’a pas compris, mon corps s’en est souvenu»

« Cela tient en trois paragraphes, expose Marie, présente ce mardi face à plusieurs journalistes réunis dans le cabinet parisien de son avocate, Me Francesca Satta. Le premier parle de moi sur la table d’opération. Un deuxième décrit le viol et un troisième raconte sa déception quand il est revenu le lendemain et qu’il m’a trouvé aux toilettes ». D’abord incapable de s’observer dans ce miroir effrayant, Marie a survolé la lecture de ce récit en trois séquences. Avant de se confronter, quelques semaines plus tard, à ce qu’elle décrit comme « le morceau manquant de [sa] vie ». La vérité de cette matinée de novembre 1996 vécue par la petite fille d’alors se révèle aux yeux de la mère de famille qu’elle est devenue.

« Il m’a pénétré le vagin avec ses doigts, souffle-t-elle. Sur le moment, j’étais consciente et éveillée. C’était dans la matinée, au lendemain de mon opération de l’appendicite. Cet homme a fait passer cela pour un acte médical. Il s’agissait selon lui d’une auscultation. Et c’est passé comme une lettre à la poste. Je me suis laissée faire. J’avais dix ans. Je n’avais aucune connaissance de la sexualité. Pour moi, le zizi servait juste à faire pipi. Donc, ma conscience n’a pas réalisé sur le moment ce qui était en train de se passer. Mon corps, lui, a tout compris et s’est souvenu de tout ».

Sans fausse pudeur, Marie évoque aussi ces images et ces paroles enfouies au plus profond de sa mémoire qui affleurent enfin. « Ce n’est qu’un flash, une sensation, mais je me souviens du moment où il est entré dans ma chambre, dit-elle d’une voix juste un peu chevrotante. Je me souviens de son regard dur et froid. Il m’a dit, alors qu’il me touchait le ventre : on va regarder ce qui se passe de ce côté-là… ».

« Je ne supporte pas d’être touchée par un homme »

La petite Marie n’a pas conscience de s’être fait violer et rentre au domicile familial achever sa convalescence. Sans rien dire à personne. Le crime supposé du Dr Le Scouarnec, s’il n’avait pas été consigné dans l’un de ses carnets, aurait donc pu rester totalement méconnu.

Marie, elle, n’aurait jamais identifié l’origine de ce mal-être diffus qui la traverse depuis une dizaine d’années. « Maman de deux enfants, je suis une femme ouverte, pas pudique mais j’éprouve de grandes difficultés dans ma vie intime, avoue-t-elle. Je ne supporte pas d’être touchée par un homme. Ce qui a des conséquences sur la vie sexuelle de mon couple. Nous avons des rapports seulement une fois tous les deux ou trois mois, pas plus. Un spécialiste m’avait dit, bien avant cette affaire, que j’avais dû subir un traumatisme dans mon enfance. Mais jusqu’à présent, je ne savais pas de quoi il s’agissait ».

Aujourd’hui, Marie ne veut pas se montrer à visage découvert. Mais elle trouve la force de témoigner et de répéter à plusieurs reprises son histoire sans jamais montrer de signes d’agacement. Cela semble aussi participer de sa thérapie personnelle. Vendeuse domiciliée en Ille-et-Vilaine, elle dit faire cela pour ses enfants, pour les enfants des autres et pour que les violeurs en général soient mis hors d’état de nuire.

Le chirurgien insiste pour garder l’enfant en observation

Même si elle respecte le principe de la présomption d’innocence, Marie souhaite aussi que Joël Le Scouarnec « paye pour ce qu’il a fait. Je veux qu’il finisse ses jours en prison », appuie-t-elle, pour être sûre de bien se faire comprendre. Généreuse et altruiste, la jeune trentenaire s’est aussi rapprochée de certaines victimes du Dr Le Scouarnec pour les encourager à porter plainte. Finalement, elle parle aussi au nom des victimes silencieuses. Des victimes comme Matthieu par exemple.

Depuis début novembre, ce Breton de 23 ans est hospitalisé dans un centre psychiatrique, la dernière étape en date d’un parcours extrêmement chaotique. Déscolarisé à 15 ans, en opposition puis en rupture avec sa famille depuis l’âge de 12 ans, il aurait plongé dans la drogue (cocaïne et héroïne) dès le début de son adolescence. En réussissant tout de même ces dernières années à s’épanouir sur le plan professionnel dans un poste à responsabilité dans le secteur de l’événementiel. Défendu lui aussi par Me Francesca Satta, il n’était pas en mesure d’effectuer ce voyage à Paris pour raconter son histoire. Mais ses grands-parents ont décidé de s’en charger à sa place. Leur récit est lacunaire.

« C’était en juin 2006, retrace Roland, le grand-père. Mon petit-fils s’était plaint du ventre et nous soupçonnions qu’il s’agisse d’une crise d’appendicite. Il a été admis à l’hôpital de Quimperlé et pris en charge par cet individu (NDLR : le Dr Le Scouarnec). Il l’a d’abord ausculté en dehors de notre présence puis est revenu nous annoncer qu’il le gardait en observation pour la nuit, même si une opération de l’appendicite ne devait pas être nécessaire. Mon fils lui a demandé s’il pouvait rester à ses côtés. Le Scouarnec lui a répondu que cela ne serait pas utile et que nous pourrions venir chercher le lendemain ».

Deux histoires qui racontent un mode opératoire

Selon le témoignage produit devant les enquêteurs qui recoupe les écrits du chirurgien, Matthieu, âgé de 10 ans, venait de subir, au cours de l’auscultation « des faits de nature criminelle ». Lesquels ? Ses proches préfèrent aujourd’hui jeter un voile pudique sur cette question.

Totalement éveillé au moment des faits mais incapable à cette époque de poser des mots sur ce qu’il vient de vivre, et encore moins de dénoncer le Dr Le Scouarnec, le jeune garçon aurait porté seul le poids de ce souvenir, sans oser en parler à ses parents. Jusqu’à son audition par les gendarmes de Quimperlé, dès l’automne 2018. Sa famille établit aujourd’hui un lien direct entre ses problèmes relationnels et d’addiction à la drogue avec l’événement de juin 2006 à l’hôpital de Quimperlé.

Dix ans séparent les faits subis par Marie et Matthieu. Mais leurs deux histoires racontent le mode opératoire d’un prédateur sexuel qui aurait agi en plein jour, face à de jeunes patients éveillés, seulement protégé par l’innocence totale de ses victimes.

« Faire passer ses viols pour des actes médicaux est le moyen de défense que Le Scouarnec invoque aujourd’hui, pointe Me Francesca Satta, avocate d’une dizaine de victimes supposées. Or il a été démenti par ses confrères qui expliquent qu’en chirurgie viscérale, les auscultations ne sont pas du tout pratiquées de cette façon ». Sollicité, Me Thibaut Kurzawa, l’avocat de Joël Le Scouarnec, n’a pu être joint dans l’immédiat.

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