C’est officiel : Boris Johnson veut violer le droit international – Libération

Il est là, en italique, posé noir et blanc sur plusieurs pages. «Nonobstant» est le mot-clé qui définit le nouveau projet de loi absolument extraordinaire du gouvernement britannique. La «loi sur le marché intérieur», publiée ce mercredi devant la Chambre des communes, prévoit, ni plus ni moins, la violation du droit international. «Certaines provisions seront appliquées nonobstant l’inconsistance ou l’incompatibilité avec le droit international ou d’autres aspects du droit intérieur», est-il écrit pages 35 et 36 du projet de loi qui en compte 58. C’est donc possible, le gouvernement démocratique d’un pays respecté dans le monde entier pour sa rigueur en matière de droit, vient de proposer d’inscrire dans la législation de son pays le non-respect du droit international.

«Oui, ceci viole le droit international», avait admis la veille au Parlement le secrétaire d’Etat pour l’Irlande de Nord, Brandon Lewis. Certains avaient espéré un lapsus malheureux, une grossière exagération. Mais non, apparemment, le gouvernement de Boris Johnson entend bien faire adopter cette loi qui, de fait, prévoit de ne pas tenir compte de l’Accord de retrait de l’Union européenne, signé le 17 octobre, il y a moins d’un an donc, entre Bruxelles et Londres.

«Abomination»

Devant les députés, Boris Johnson a affirmé que cette loi visait à «assurer l’intégrité du marché intérieur britannique», donner plus de pouvoirs à l’Ecosse et au pays de Galles et protéger l’accord de paix en Irlande du Nord. La cheffe de l’exécutif écossais, Nicola Sturgeon, a surtout estimé que cette loi était une «tentative limpide de prise de pouvoir» sur les prérogatives dévolues à l’Ecosse, et une «abomination»

Les réactions horrifiées des juristes de tous bords se sont multipliées. La première fût celle du haut fonctionnaire Jonathan Jones, chef de la section juridique du gouvernement : il a annoncé mardi soir sa démission, sans cacher que son départ était lié à cette loi. «Il s’agit d’une violation évidente du droit international. Vous pourriez argumenter que ce n’est pas le cas parce que la loi n’a pas encore été votée, mais ils s’octroient certainement les pouvoirs de violer» le droit international, a réagi Steve Peers, professeur de droit à l’université d’Essex.

Quelle stratégie ?

Boris Johnson assume parfaitement. Son porte-parole a défendu cette nouvelle initiative tordue en affirmant que «l’accord de retrait a été signé dans la précipitation». Accord conclu trois ans et demi après le référendum sur le Brexit du 23 juin 2016, après le refus catégorique de Boris Johnson de prolonger les discussions et son affirmation début octobre 2019 qu’il préférait «être mort dans un fossé que retarder le Brexit». C’est sur cet accord qu’il avait conduit presque exclusivement sa campagne électorale avant d’être élu triomphalement le 12 décembre et remporter une majorité aux Communes de 80 sièges.

Plusieurs députés conservateurs, y compris considérés comme loyalistes, n’ont pas caché leur malaise face à cette nouvelle initiative dont l’objectif n’est pas d’une clarté limpide. Quelle est la stratégie exacte du gouvernement britannique ? Veut-il pousser l’UE à abandonner des négociations sur un accord de libre-échange pour pouvoir ensuite la blâmer pour l’échec des négociations ? Ou pense-t-il que cette initiative choquante la poussera à plus de compromis ?

Pour l’heure, l’UE est restée stoïque mais a demandé la réunion urgente du comité mixte paritaire, un outil prévu dans… l’accord de divorce avec le Royaume-Uni pour résoudre les différends. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est dite «très inquiète des annonces du gouvernement britannique sur son intention de violer l’accord de retrait. Cela représenterait une violation du droit international et cela mine notre confiance», a-t-elle déclaré. Imperturbable, le négociateur européen, Michel Barnier, est arrivé ce mercredi à Londres pour poursuivre la huitième session des négociations, se refusant à la moindre déclaration.

La loi n’est pas encore adoptée. Elle doit d’abord être débattue à la Chambre des communes, avant d’être votée par les députés. Même si le malaise grandissant au sein de la majorité est nettement perceptible, il est peu probable que les conservateurs se rebellent suffisamment pour faire capoter cette loi. Ce sera une autre histoire devant la Chambre haute du Parlement, les Lords, où siègent beaucoup de juristes qui pourraient s’opposer à cette loi. En tout état de cause, le gouvernement dispose d’un outil législatif lui permettant de passer outre l’opinion des Lords, mais cela prend du temps.

Incrédulité

L’initiative de Boris Johnson n’est pas totalement inédite. Il y a tout juste un an, il avait aussi tenté de justifier l’injustifiable, en suspendant illégalement le Parlement. Violemment désavoué par la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays, il avait pourtant atteint son but : obtenir du Parlement le déclenchement d’une élection anticipée, celle qu’il a largement gagnée.

«Ce gouvernement avance à l’aveuglette et le Premier ministre est prêt à promettre n’importe quoi à n’importe qui s’il pense que ça va l’aider à avancer dans les jours à venir», a déclaré Dominic Grieve, ancien député conservateur et procureur général du Royaume-Uni – le garant du respect de la loi par le gouvernement – sous David Cameron et Theresa May.

Boris Johnson n’a cure de ces critiques. Il l’a déjà prouvé à de multiples reprises, sa réputation personnelle, celle de son gouvernement ou de son pays ne le tracassent pas outre mesure. En revanche, elle préoccupe ses prédécesseurs. Après la réprobation mardi de Theresa May, un autre ancien Premier ministre conservateur, John Major, a exprimé son incrédulité et sa colère. «Si nous perdons notre réputation du respect de la parole donnée, alors nous aurons perdu quelque chose d’inestimable que nous ne regagnerons peut-être jamais.»

Sonia Delesalle-Stolper correspondante à Londres

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