« C’est dur pour tout le monde, mais on n’a pas le choix » : la métropole lilloise éprouve le port obligatoire du masque – Le Monde

A Lille, le port du masque est obligatoire en extérieur dans la plupart des lieux publics les plus fréquentés.

Imposer pour ne pas reconfiner. Vendredi 31 juillet, le préfet du Nord, Michel Lalande, et le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France, Etienne Champion, ont annoncé le renforcement des mesures sanitaires de lutte contre le Covid-19. Depuis lundi 3 août, les habitants de plus de 11 ans des 95 communes de la métropole lilloise sont obligés de porter un masque en extérieur dans la plupart des lieux publics les plus fréquentés – les marchés publics de plein air, les espaces verts urbains, les rues piétonnes des centres-villes, les galeries commerciales et toutes les autres zones caractérisées par une forte densité du public. La sanction pour non-respect du port du masque est lourde : une amende de 135 euros.

La décision a été prise deux semaines après une recrudescence des cas de nouveau coronavirus dans le Nord. L’ARS a dévoilé lundi matin ses derniers chiffres : le taux d’incidence a plus que doublé en trois semaines, passant de 9 cas confirmés pour 100 000 habitants à 21,8. La situation est particulièrement marquée dans la métropole lilloise, où le taux de positivité est trois fois plus élevé que dans le reste du département. « La dynamique est très inquiétante et il faut absolument (la) casser », souligne le docteur Patrick Goldstein, chef du pôle de l’urgence et du SAMU du Nord au CHU de Lille. A elle seule, la métropole lilloise concentre 79 % des nouveaux cas de Covid-19 dans le département rencensés entre le 24 et le 30 juillet.

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« Ça commence à coûter cher »

En plus du renforcement des mesures de prévention, dont l’intensification des campagnes de tests de terrain, le préfet Michel Lalande s’est donc saisi du décret du 30 juillet 2020 qui habilite les préfets de département à rendre le masque obligatoire lorsque les circonstances locales l’exigent, pour éviter une nouvelle crise.

« On n’impose pas le masque dans un lotissement où il n’y a que 20 personnes par exemple, sinon les gens auraient crié à la technocratisation de la mesure », explique le préfet du Nord. « On a voulu une mesure coproduite avec les acteurs de terrain qui soit au plus près des réalités, en ciblant des endroits très fréquentés. »

Pour cette première journée, l’heure est à la pédagogie dans toute la métropole. Lundi, dès 9 heures, entre les étals du marché hebdomadaire du centre-ville de Tourcoing, rares sont ceux qui ne portent pas de masque. « C’est normal de les mettre, juge Yamina Manseur, secrétaire médicale de 47 ans. Par contre, ce qui est regrettable, c’est qu’ils ne soient pas gratuits. » Comme d’autres Tourquennois, elle estime que le budget qu’elle doit consacrer à cette obligation préfectorale n’est pas anodin. « On est victimes de cette crise du Covid et en plus on doit payer », estime Pascal, plombier de 59 ans. Dans la ville du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, le taux de pauvreté est de 27 %, selon les chiffres de l’Insee (2017). « Ça commence à coûter cher dans notre porte-monnaie, lance Marie-Thérèse Pontier, 70 ans, chariot de courses à la main. Il faudrait surtout mettre 135 euros d’amende à ceux qui jettent leur masque par terre ! » Elle n’en porte pas. « Je croyais que ce n’était qu’à Lille », soupire-t-elle.

« On doit jouer collectif, Ronaldo sans son équipe, ça ne le fait pas »

Devant son stand d’accessoires pour téléphones portables, Abdel Rouibi profite de ne pas avoir de clients pour abaisser son masque sur le menton. « C’est étouffant, dit le jeune homme de 23 ans. En même temps, c’est une bonne initiative de rendre le masque obligatoire, sinon ça ne va jamais s’arrêter. » C’est la crainte de Françoise Collet, énergique retraitée de la police nationale de 78 ans, qui a déjà vaincu quatre cancers. « Combien de temps avant d’avoir un vaccin ? Moi, j’ai la trouille de devoir me rendre à l’hôpital et, en même temps, je deviens folle si je ne sors pas. »

En attendant un vaccin, Michel Abreu vend à tour de bras ses masques en plastique lavable. Le camelot harangue la foule en criant « c’est ma tournée ! » avant de verser quelques gouttes de gel hydroalcoolique dans les mains des passants. Ses boîtes de 50 masques jetables à 10 euros ou ceux en plastique transparent à 5 euros pièce se vendent plus que les montres qu’il propose depuis vingt-cinq ans sur les marchés. « J’explique aux gens qu’avec ce virus, c’est comme dans une équipe de foot, on doit jouer collectif. Ronaldo sans son équipe, ça le fait pas. »

Le premier ministre, Jean Castex, s’est rendu à Lille lundi 3 août. Il est accompagné de la maire-adjointe Marie-Christine Staniec-Wavrant.

En visite à Roubaix, à quelques kilomètres du marché tourquennois, le premier ministre, Jean Castex, compte aussi sur le collectif pour maintenir la vigilance. « L’objectif est simple : nous protéger contre ce virus sans faire arrêter la vie économique et sociale, en évitant la perspective d’un reconfinement généralisé », a-t-il déclaré-t-il depuis le perron de l’hôtel de ville de Roubaix. A ses côtés, le préfet du Nord, Michel Lalande, ne peut s’empêcher de penser à la jeunesse décriée depuis quelques jours pour ses rassemblements festifs.

« Je suis de la génération Woodstock. Arrêtons de donner des leçons mais l’été peut être assassin. Pensez au week-end du 15 août quand, après avoir fait la fête, les jeunes vont retrouver les aînés aux réunions familiales. »

« Au boulot, personne ne le porte, c’est incohérent »

Roubaix, ville où la moitié de la population a moins de 30 ans, va-t-elle montrer l’exemple ? En périphérie des 34 hectares d’espaces verts du parc Barbieux, les habitants se baladent masqués en ce lundi midi. « C’est chaud ce truc, c’est insupportable ! Mais on n’a pas le choix », insiste Guillaume, accompagné de quatre collègues de l’hôpital de Roubaix. Allongée sur l’herbe, Sophie, 28 ans, vient juste de retirer le bout de tissu qui couvrait le bas de son visage, « le temps de bronzer ». Cette gestionnaire en assurance-vie s’interroge :

« Au boulot, dans un open space cloisonné à 25 salariés, personne ne le porte. Alors qu’ici, où il n’y a personne autour de moi, je dois le porter. C’est incohérent. »

En plein centre-ville de Lille, les badauds non masqués sont vite rappelés à l’ordre par la police municipale, très présente pour cette première journée. Sur la Grand-Place, une jeune policière invite un groupe de trois adolescents à aller manger leur glace hors du périmètre. « C’est comme pour aller fumer, il faut sortir de la zone où le masque est obligatoire », explique l’agente. L’arrêté préfectoral n’est pas aussi précis.

Chez Lacquemant, famille lilloise de forains vendeurs de gaufres, glaces et croustillons depuis deux cents ans, on espère que les forces de l’ordre seront conciliantes. « Les gens ont le droit de manger dans la rue, suppose Norman Lacquemant. Sinon ça va être compliqué pour nous… »

Même à la Citadelle, poumon vert lillois, les joggeurs ne peuvent plus sortir à découvert. « C’est dur pour tout le monde, mais on n’a pas le choix », lance Jacques Cantais, fataliste. A 64 ans, l’artiste peintre, atteint de problèmes respiratoires, continue de faire la manche à deux pas de l’Opéra de Lille, comme il le fait depuis vingt-cinq ans. Mais lui qui se déguise en Père Noël à chaque fin d’année a désormais troqué sa barbe blanche contre un masque en tissu blanc.

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