Ces 5 vœux présidentiels qui ont laissé une réelle trace politique – BFMTV.COM

“Françaises, Français, mes chers compatriotes.” Depuis 1960, année de leur introduction par le général de Gaulle, l’entame des vœux présidentiels télévisés est presque immuable. Leur contenu, qui évolue certes au gré de l’actualité des années passées et du style propre à chaque locataire élyséen, ne l’est pas beaucoup moins.

Parler de la France, de ses valeurs, de la capacité de son peuple à surmonter les épreuves, du nécessaire don de soi auprès des moins bien lotis… Les incontournables de cette traditionnelle allocution du 31 décembre devraient figurer dans celle que prononcera Emmanuel Macron mardi soir.

Cette volonté d’apaisement s’accompagnera, selon toute vraisemblance, d’un laïus sur le projet de réforme des retraites du gouvernement, qui s’enlise dans un conflit gelé avec les syndicats. Certains vœux présidentiels ont toutefois été l’occasion, à défaut d’annonces concrètes, d’imprimer une volonté politique.

Pour 1983, Mitterrand annonce la rigueur

C’est la grande désillusion du socialisme à la française. Élu le 10 mai 1981 sur un programme de redistribution, de soutien économique aux classes populaires censé amener une relance par la consommation, François Mitterrand doit vite déchanter. Dès la fin 1981, son ministre des Finances, Jacques Delors, demande une pause dans les réformes, notamment les coûteuses nationalisations d’entreprises des secteurs industriel et bancaire. Après deux dévaluations du franc, un blocage des prix et des salaires est décidé à l’été 1982. Il est annonciateur du cap à venir. Le président de la République l’entérine lors de ses vœux pour l’année 1983:

“Comme la plupart des pays du monde, nous venons de vivre une année difficile. La crise, qui jusqu’alors frappait l’Europe, s’aggrave aux Etats-Unis d’Amérique, gagne le Japon, dévaste le tiers monde. Elle est universelle. (…) Au total, notre production et nos échanges demeurent insuffisants. (…) Ce que l’on appelle la politique de rigueur n’est qu’une épreuve de vérité. Elle met en pleine lumière les aspérités du terrain et montre à tous l’itinéraire pour en sortir, car nous en sortirons, pour le bien de la France.”

Le chef d’État socialiste, contraint par un contexte international où le néolibéralisme devient la norme (baisse des impôts, rigueur budgétaire, politique de l’offre), opère alors un virage à 180 degrés. Il fait primer l’impératif européen sur le reste. François Mitterrand va jusqu’à souligner, dans ses vœux, l’objectif “qui commande tous les autres”: le besoin de soutenir “l’entreprise”. Le 25 mars 1983, le franc est dévalué pour la troisième fois en l’espace d’un an et demi.

Quatre jours plus tard, le fameux plan de rigueur est annoncé: forte hausse de la fiscalité et des tarifs énergétiques, contrôle des changes, emprunt obligatoire ponctionné sur les ménages payant plus de 5000 francs d’impôts… S’il parvient à faire baisser drastiquement l’inflation et le déficit commercial, ce plan aura pour effet de couper durablement la gauche de l’électorat populaire. Et d’amener la plupart de ses dirigeants à se convertir, sans jamais le dire explicitement, au social-libéralisme.

Pour 1961, De Gaulle veut sortir du bourbier algérien

Lorsqu’il présente ses vœux aux Français le 31 décembre 1960, Charles de Gaulle le fait pour la deuxième fois. À ce moment-là, les Français ont la tête tournée vers l’Algérie, raison d’être du retour du général, dont beaucoup pensaient qu’il maintiendrait la colonie arrimée à la République. Au contraire, l’ancien chef de la France libre a méthodiquement procédé au largage des amarres. Le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie est prévu le 8 janvier 1961 et, le président le sait, “rien n’annonce” que l’année à venir “se passera dans la quiétude”: 

“Nous voulons que 1961 soit l’année de la paix rétablie afin que les populations puissent décider librement de leur destin et pour que naisse l’Algérie algérienne. (…) Et j’invite en particulier la communauté de souche française d’Algérie, à se débarrasser décidément des troubles et des chimères qui la couperaient de la nation. Et, non seulement admettre ce que le pays va décider mais en faire son affaire. (…) Françaises, Français, je vous le demande, donnez au projet qui vous est soumis une approbation immense.”

Bien qu’il ait fait part de ses intentions bien avant cette allocution, le général de Gaulle s’est non moins coupé d’une part non négligeable d’anciens soutiens, favorables au maintien coûte que coûte de l’Algérie dans le giron français. C’est d’ailleurs de ce clivage extrêmement brutal qu’est née l’OAS, responsable entre autres de l’attentat du Petit-Clamart contre le président en août 1962.

Les Français, de leur côté, lassés par l’enlisement et la brutalité du conflit, suivent en masse le chemin tracé par leur président: près de 75% de votants répondent “oui” à l’autodétermination algérienne le 8 janvier 1961. L’année suivante, le 8 avril 1962, le succès est encore plus écrasant: 90,81% donnent leur accord à la ratification des accords d’Évian, mettant fin à une guerre qui aura duré près de huit ans et profondément marqué la mémoire collective du pays.

Pour 2014, Hollande présente le “pacte de responsabilité”

À chaque président socialiste son reniement, apparent ou non. Dans le cas de François Hollande, dire qu’il s’est découvert à l’Elysée un appétit pour le social-réformisme est une vue de l’esprit. Ancien dirigeant du club Témoin, créé par Jacques Delors, l’ex-patron du PS n’a jamais été hostile à l’économie de marché ou favorable à un étatisme exacerbé.

Toutefois, après son élection en mai 2012, l’ambiguïté autour de ses propos sur son “adversaire le monde de la finance” a généré une grave incompréhension vis-à-vis de l’électorat ancré à gauche. Sommé par Berlin, Bruxelles et les milieux patronaux d’accélérer les réformes, François Hollande profite de ses vœux du 31 décembre 2013 pour annoncer la mise en place d’un “pacte de responsabilité” entre le gouvernement et les entreprises.

Le chef de l’État affirme notamment la préparation d’une loi qui devra prévoir “moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en même temps, une contrepartie, plus d’embauches et plus de dialogue social”. C’est l’une des rares fois où un terme entièrement nouveau, et à usage très politique, fait sa première apparition lors de vœux présidentiels.

Moins d’un an plus tard, un certain Emmanuel Macron, devenu entre-temps ministre de l’Économie, qualifiera le pacte d'”échec”… mais en pointant du doigt l’inertie du patronat. Pas celle de Hollande.

Pour 2005, Chirac lance la campagne (ratée) du référendum

Les Français le savent depuis le 14 juillet 2004. Mais au crépuscule de l’année, rien n’est encore fermement décidé sur le moment précis où se tiendra le référendum sur le traité constitutionnel européen. Le jour de ses vœux, le président Jacques Chirac, qui joue son va-tout sur cette affaire, décide d’abattre ses cartes et de lancer la campagne:

“En 2005, vous aurez l’avenir de cette Europe entre vos mains. J’ai en effet décidé que la Constitution européenne vous sera soumise, par référendum, avant l’été. Ainsi, vous, peuple souverain, serez appelé à choisir vous-même votre destin. En approuvant la Constitution européenne, vous permettrez à l’Europe d’être plus démocratique, plus volontaire, plus puissante.”

Usant d’un ton solennel, le chef de l’État marque le calendrier, sans se douter que ce référendum se soldera par un grave échec personnel et politique. D’autant que 2004 a été marquée par trois graves défaites électorales consécutives pour l’UMP, le parti présidentiel (cantonales, régionales, européennes).

Le 29 mai 2005, le “non” recueille en effet 54,67% des suffrages exprimés, faisant de la France le seul pays, avec les Pays-Bas, à refuser le traité. Ses principaux éléments seront toutefois repris dans le traité de Lisbonne de 2007 ou incorporés, par voie d’amendements, à ceux de Rome et Maastricht. Jacques Chirac, quant à lui, ne se relèvera pas du résultat du référendum, qui marque le début de la fin, calamiteuse, de son second mandat.

Pour 1974, Pompidou prend acte du premier choc pétrolier

Consécutif à la guerre du Kippour, le premier choc pétrolier a profondément ébranlé l’ensemble des économies occidentales. Nombre d’entre elles ont réussi à s’en relever, parfois à grand coût. S’agissant de la France, cet événement géopolitique qui s’est traduit, à partir d’octobre 1973, par une hausse drastique des prix du pétrole, a laissé d’importantes traces, ne serait-ce que psychologiques. Préservés jusqu’alors par le faste des Trente glorieuses et par une économie plutôt dirigiste, les Français voient brutalement faire irruption la mondialisation, avec ses crises et ses incertitudes.

Président emblématique de cette période (du fait de son long bail en tant que Premier ministre sous de Gaulle), Georges Pompidou a été contraint d’en prendre acte lors de ses vœux pour l’année 1974:

“Il faut admettre que l’année se termine dans une atmosphère moins sereine et que les perspectives sont plus sévères. (…) Il y a les réalités et, d’abord, la hausse des prix, qui depuis l’été, en particulier, a pris un rythme excessif et inquiétant pour des causes, je l’ai déjà dit, dont certaines sont extérieures et dont d’autres nous sont propres.”

Atteint de la maladie de Waldenström, le deuxième président de la Ve République mourra quelques mois après. Mais au-delà de sa condition, il pressent que “l’année 1974 risque d’être difficile et en tout cas, plus que tout, (…) incertaine”.

“Nous nous sommes bornés à faire appel à votre sagesse et à nous doter des moyens de faire face aux circonstances, circonstances dont personne, aujourd’hui, ne peut prévoir avec précision ce qu’elles seront”, poursuit Georges Pompidou. Un saut dans l’inconnu, annonciateur des difficultés qui suivront pendant près d’un demi-siècle. 

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