Centres d’appel en voie de déconfinement

Centres d'appel en voie de déconfinement

Quand on pense aux centres d’appel, on pense souvent à ces immenses plateaux où des téléconseillers, armés de leur casque et micro, se succèdent sur des bureaux en marguerite, à peine séparés par des cloisons à mi-hauteur. Cette organisation du travail en open space, qui induit par nature une certaine proximité physique, donne du fil à retorde aux entreprises qui organisent le retour au travail sur site. Les centres d’appel n’ont d’ailleurs pas manqué d’être mis en cause pendant le confinement pour leur gestion de l’épidémie, comme c’est le cas du centre de Téléperformance à Blagnac, épinglé en mars dernier par l’inspection du Travail alors qu’il assure la permanence du numéro vert Covid-19. A Caen, des salariés de Webhelp protestaient également contre la direction, inquiets des mesures insuffisantes pour lutter contre la propagation de la Covid-19, rapportait la presse locale.

Pour anticiper au mieux le retour sur site post-confinement, le ministère du Travail a adressé un guide pratique destiné aux acteurs opérant dans les centres d’appel où il rappelle le protocole sanitaire à respecter et recommande l’attribution d’un poste de travail par salarié, en complément d’un plan de nettoyage avec périodicité et suivi (surfaces, équipements de travail, poignées de portes et boutons, etc.) et de contrôles individuels (gel, lingettes, masques, etc).

Ce protocole préconise aussi de revoir les plannings pour limiter le nombre d’opérateurs en présentiel. Entre chaque bench, il est conseillé de se placer en quinconce à un mètre minimum, en laissant un poste de travail libre entre chaque téléopérateur. Il est également conseillé de prévoir une séparation entre chaque poste de travail avec une paroi en plastique transparent par exemple, et nettoyage obligatoire en début et fin de poste. En cas de dispositif en marguerite, la hauteur des parois doit être surélevée en conséquence.

Même en cas de difficulté sur un appel nécessitant l’intervention d’une deuxième personne, une distance physique s’impose (rendant la tâche nettement plus difficile). Le document ministériel encourage, dans ce cas précis, l’attribution d’un mode opératoire, soit en « ouvrant un autre poste avec communication entre les deux », ou alors en « demandant au client de patienter, le temps de résoudre la problématique ».

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Le télétravail reste la norme

Une majorité de téléopérateurs n’ont pourtant pas encore éprouvé ce protocole sanitaire post-11 mai, puisque le télétravail est resté la règle pour beaucoup de spécialistes de la relation client, même s’il arrive parfois que certains clients réclament du présentiel pour des questions de sécurité.

Téléperformance France comptabilise 1 100 salariés en télétravail, ce qui représente plus de 88 % des salariés qui sont actuellement en activité, nous précise-t-on. L’organisation du travail à domicile devrait en outre y être prolongée « a minima jusqu’au 31 mai 2020, et ce conformément à la demande claire du gouvernement de maintenir au maximum le télétravail », dit le groupe. « Seuls quatre des treize centres de Téléperformance restent ouverts aux collaborateurs dont l’activité doit être maintenue dans les centres pour des raisons d’ordre technique. »

Issam Baouafi, délégué syndical central Sud de Téléperformance France, témoigne une « montée en chargée sur le télétravail » dès le mois d’avril. Si, dans l’ensemble, « l’activité peut tout à fait se faire en télétravail », reconnait-t-il à ZDNet, il relève toutefois quelques accrocs, concernant notamment l’usage des téléphones portables personnels, source de problèmes à plusieurs niveaux (santé, surchauffe de la batterie, etc.) selon lui. Il précise, en outre, que le télétravail n’est pas compatible avec l’entraide entre collègues sur des cas complexes. « Le télétravail peut être difficile à long terme au regard de cette nécessité d’entraide. »

Le télétravail est la règle d’or aussi chez Comdata : « nous avons suivi scrupuleusement les directives administratives données par le gouvernement français en France (distanciation sociale, gel hydroalcoolique, etc.) (…) Nous avons demandé à nos conseillers de se mettre le plus possible en télétravail, afin que seul un tiers du personnel soit sur site. Nous avons fortement conseillé le télétravail aux équipes du siège. Ces équipes, ainsi que les fonctions support et administratives, sont coutumières du travail à distance. Concernant les conseillers, nous avons mis une semaine à déployer le télétravail. Cette rapidité vient du fait que nous nous connectons au CRM de nos clients via Internet : il suffit donc d’avoir une liaison avec un bon débit », déclare Frédéric Donati, directeur général Comdata France.

« Sur notre site, on ne connaissait pas du tout le télétravail avant, et cela s’est fait extrêmement vite. La direction [de Comdata] a fait le choix de prolonger au maximum le recours au télétravail pour ceux qui le souhaitent », note Souad Belal, déléguée centrale syndicale Sud pour le groupe Comdata. « La situation varie d’un site à l’autre. Cela dépend aussi du client, car certains refusent par exemple le télétravail pour des motifs liés à la sécurisation des données. »

Anousone Um, délégué syndical central adjoint Sud Télécom, alerte quant à lui sur certains retours mitigés de la part de télétravailleurs, qui confient se sentir « à bout » et souffrent de l’isolement, rapporte-t-il à ZDNet. Pour prévenir des risques en amont, la direction des ressources humaines avait pourtant partagé aux employés un document relatant les mesures préventives pour télétravailler en toute sécurité. Selon une enquête menée en interne, les conseillers (87 %) et les superviseurs (79 %) interrogés se déclarent globalement satisfaits par les conditions de travail à domicile.

Chez Webhelp, un peu plus de la moitié des équipes françaises sont à ce jour en télétravail, soit « 1 800 collaborateurs sur 3 400 employés », indique Ludovic Lempire, directeur général France chez Webhelp, à ZDNet. Depuis le début du confinement, le groupe a mis en place en place le télétravail pour 38 000 collaborateurs à travers le monde, dont 11 000 collaborateurs pour le marché français. « Ce choix permet de pouvoir respecter les règles de distanciation pour nos collaborateurs revenant travailler sur site. Nous travaillons désormais à l’amélioration continue de ce mode de fonctionnement en télétravail en termes de qualité, de sécurité et d’efficacité, facteur clef de sa pérennité », explique Ludovic Lempire.

Des plaintes en cascade

Ces déclarations rassurantes tranchent toutefois avec les voix qui se sont élevées pendant le confinement pour dénoncer certaines mesures sanitaires jugées inégales voire insuffisantes.

En avril dernier, un collectif de syndicats (CFDT Fédération communication conseil culture, CGT-FAPT, CGT Fédération des Sociétés d’Etudes, et FO-FEC) menés par Uni Global a déposé une plainte devant l’OCDE contre Téléperformance dans dix pays dont la France, s’indignant contre les « violations du droit des travailleurs à bénéficier d’un lieu de travail sûr chez Téléperformance, le géant de l’externalisation basé à Paris, qui travaille pour des clients comme Apple, Amazon et Google ». Interrogée par ZDNet à ce sujet, la direction de Téléperformance « conteste cette médiation sans impact juridictionnel » et assure respecter scrupuleusement les recommandations nationales pour minimiser tout contact sur site. « Nos mesures s’adaptent aux recommandations évolutives du ministère du Travail et ce depuis plus de deux mois ».

« Les centres de contact avec une organisation de bureaux en open space doivent bien sûr être repensés dans le cadre du confinement. (…) Nos centres aujourd’hui ne ressemblent pas à ce qu’ils étaient il y a trois mois et l’organisation du travail y est différente », souligne d’ailleurs la direction de Téléperformance.

Le groupe déclare que « de nombreux aménagements ont été réalisés pour assurer la distanciation physique et protéger les collaborateurs sur les open space (mesures de nettoyage renforcées et adaptées, positionnement en quinconce, une position sur deux inoccupée, proposition de masques, contrôle des systèmes d’aération et de climatisation). Malgré toutes ces mesures, les plannings doivent être adaptés et le télétravail maintenu dans des proportions à définir en fonction des configurations de chaque centre. Quant à l’après-crise, nous conserverons des mesures d’hygiène, des méthodes de travail plus agiles, des outils techniques plus adaptés et un maintien du télétravail encadré par des accords d’entreprise et soumis à l’autorisation de nos partenaires ».

Le protocole de déconfinement suppose aussi de repenser la circulation. « Les collaborateurs dont le travail ne peut être exécuté à domicile bénéficient ces jours-ci sur nos centres de nouvelles mesures complémentaires basées sur le guide métier Centres d’Appel ainsi que le Protocole de déconfinement national publiés par le ministère du Travail, parmi lesquelles une signalisation au sol ou aérienne des sens de circulation et des distances à respecter principalement dans les zones d’attente (gestion des files d’attente), l’application de la jauge de 4 m2 par collaborateur qui vient s’ajouter à la distanciation physique d’un mètre minimum et à l’occupation d’une place sur deux en quinconce, la fourniture de bouteilles d’eau et/ou de gourdes individuelles en remplacement des fontaines à eau manuelle », poursuit la direction.

« Au-delà des recommandations du gouvernement, nous mettons par ailleurs à disposition de nos collaborateurs deux masques par jour travaillé sur site, pour ceux qui le souhaitent. La médecine du travail a été contactée pour travailler étroitement avec nous dans le cadre du déconfinement progressif à venir », ajoute le groupe.

Malgré ces efforts, Issam Baouafi regrette tout de même un « manque de dialogue social efficient. Certaines initiatives sont prises sans concertation avec les représentants du personnel. (…) Le plan de déconfinement a été présenté trop tard », déplore-t-il, prenant l’exemple, notamment, de l’arrêt de la climatisation en open space, une mesure qu’il juge incompatible avec une organisation en open space, où la température peut monter l’été.

Entre la théorie et la pratique, il y a parfois deux mondes

Chez Webhelp, le plan de prévention et de protection a reçu un avis favorable des CSE, consultés avant le 11 mai sur l’ensemble des sites, affirme Ludovic Lempire à ZDNet. La direction a aussi décidé de faire appel à un cabinet d’audit externe qui vérifie que toutes les mesures possibles ont bien été prises pour assurer la sécurité sanitaire sur site. « A titre d’exemple, un plan de circulation et de distanciation a été mis en place sur les sites, des masques et du gel hydroalcoolique ont été distribués aux collaborateurs, un accueil et une formation ont été prévus lors du retour sur site et les horaires ont été adaptés afin d’étaler les heures d’arrivée et de départ et éviter tout engorgement », détaille le directeur général de Webhelp.

Sur les sites de Comdata, « des personnes ont été nommées pour communiquer auprès des salariés », rapporte Frédéric Donati. « L’ensemble des directeurs de sites était dans un premier temps briefé tous les jours pour faire redescendre les informations. Nous utilisons l’ensemble des moyens de communication (WhatsApp, plateformes SMS, etc.) pour rassurer nos collaborateurs. Comdata a mis en place un comité de crise. Au départ, le comité de direction se réunissait tous les soirs pour faire le bilan de la journée, suivi des directeurs de site et des directeurs commerciaux. Nous sommes familiers des vidéoconférences et utilisons G Suite depuis plus de trois ans », explique ce dernier dans un communiqué.

A son niveau, Souad Belal témoigne du déploiement sur site des mesures sanitaires citées plus haut. « Sur le site CRM59 Valenciennes, beaucoup de choses ont été mises en œuvre sereinement », évoque la représentante syndicale, citant notamment la mise en place d’un sas sanitaire et la diffusion d’une vidéo de sensibilisation pour rappeler les gestes barrières. « Nous essayons de respecter au maximum les 4 m2 de distance », ajoute-t-elle.

Mais la situation sur site n’est pas optimale partout. « Certains ont été contraints de revenir sur site avec appréhension », confie pour sa part Anousone Um, représentant du CRM 08 Gennevilliers, qui rassemble le plus gros des effectifs de Comdata France. « Entre la théorie et la pratique, il y a deux mondes », observe-t-il. « Techniquement, sur les open spaces, la direction a estimé que les 4 m2 de distance étaient respectés. J’estime qu’au regard du protocole sanitaire affiché par le gouvernement, il y a trop de salariés présents sur site. »

Plusieurs syndicats regrettent, en outre, un « manque de dialogue systématique » avec la direction de CRM08, qui a récemment imposé des heures supplémentaires. Ils déplorent les méthodes utilisées pour faire appliquer le protocole sanitaire : « à notre grande surprise, la direction nous indique ce jour, en réunion, que beaucoup de collaborateurs ne respectent pas les nouvelles mesures sanitaires de sécurité. (…) Pour la direction, la non application « délibérée et/ou répétée » après un rappel écrit d’une ou plusieurs mesures de prévention, spécifiquement mises en place par l’entreprise pour limiter les risques liés à la pandémie de Covid-19, sera susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement », évoque un communiqué inter-syndical (Sud, CGT UNSA Télécom) en date du 13 mai.

Comdata n’a pas répondu aux sollicitations de ZDNet à ce jour.

Pour faire le point sur la première phase de déconfinement dans les centres d’appel, le Syndicat des Professionnels des centres de contact (SP2C) a orchestré au niveau national la mise en œuvre d’audits de conformité du respect de l’application des règles sanitaires avec Bureau Veritas. « Convaincu que les entreprises du secteur ont déployé leurs meilleurs efforts pour protéger leurs salariés, le SP2C propose à tous ses adhérents, dans le cadre d’une démarche volontariste, la réalisation d’un audit par un tiers indépendant du respect des consignes sanitaires. Ces audits sont menés par des experts Bureau Veritas qui se déplacent sur site pour contrôler l’ensemble des locaux visés et des mesures prises », a-t-il annoncé.

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