Ce qu’il faut savoir sur les “flying doctors”, ce pont aérien de soignants établi entre Dijon et la Nièvre – franceinfo

Huit médecins sont arrivés jeudi matin à Nevers, afin de pallier le manque de soignants dans le département de la Nièvre, identifié comme un désert médical.

“Non, ce n’est pas farfelu. Cela répond à un besoin.” Le maire Renaissance de Nevers (Nièvre), Denis Thuriot, a salué l’arrivée des premiers flying doctors (“médecins volants”), qui ont atterri jeudi 26 janvier dans sa ville, afin de pallier le manque de soignants dans le département. Huit praticiens sont arrivés peu avant 9 heures à Nevers, avant de rejoindre l’hôpital de la ville. Ils doivent retourner à Dijon (Côte-d’Or) dans la soirée. Franceinfo revient sur ce pont aérien d’un genre nouveau, qui doit être mis en place tous les jeudis, mais qui suscite la polémique.

Un désert médical à combler

“Notre but est de mieux soigner” les 200 000 habitants que compte la Nièvre, justifie le directeur du Centre hospitalier (CH) de l’agglomération, Jean-François Segovia. “La densité médicale a baissé de 21% dans la Nièvre entre 2012 et 2022. On a 68 médecins pour 100 000 habitants, contre une moyenne de 121 en France. Il n’y a pas de dermatologue, un seul rhumatologue, un allergologue… 20% des patients n’ont pas de médecin traitant”, insiste-t-il. 

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“Le département est en pénurie de médecins. L’agglomération commence à l’être et on aura pas mal de départs en retraite. C’est compliqué aujourd’hui pour un certain nombre de patients de trouver un médecin”, abonde sur franceinfo Denis Thuriot. La Nièvre a pourtant tenté d’attirer du personnel soignant, en créant des maisons médicales, des centres de santé, ça ne suffit pas”, déplore l’élu.

“Il faut se faire à l’idée que nous avons un pays qui est en pleine déliquescence et en voie de pauvreté”, cingle sur franceinfo Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France. “Derrière ce coup médiatique, vous voyez comment, dans des déserts médicaux, on a abandonné des populations, on a laissé faire une déliquescence du tissu hospitalier”, ajoute-t-il.

Une équipe complète

Une cardiologue, un pneumologue, une chirurgienne maxillo-faciale, deux généralistes, un orthopédiste, une spécialiste de médecine nucléaire [un domaine de l’imagerie médicale] et un gynécologue-obstétricien étaient présents à bord de l’appareil qui a décollé de Dijon jeudi matin, énumère France 3 Bourgogne-Franche-Comté.

Les deux généralistes de SOS médecins Dijon “vont peut-être nous aider à relancer un SOS médecins avec des internes de Nevers”, justifie le maire de Nevers à France 3. “On va mettre en place une structure”, actuellement inexistante dans la Nièvre, confirme le docteur Romain Thévenoud, de SOS Médecins.

Denis Thuriot ajoute que les spécialistes présents dans l’avion correspondent aux manques identifiés dans la ville. Tous sont destinés au CH de Nevers, à qui il manque “une cinquantaine de médecins et au moins 35 infirmières”, estime Patrick Bertrand, président de la Commission médicale du Centre hospitalier.

Un moyen de transport rapide et relativement économe…

Ce pont aérien a pour but de relier une fois par semaine Nevers à la capitale régionale en 35 minutes, contre près de trois heures en voiture ou deux heures et demie en train. “L’avion est le meilleur moyen de raccourcir les délais” alors que l’hôpital de Nevers est, en France, “l’hôpital départemental le plus éloigné d’un CHU”, observe Denis Thuriot. “Je réponds à l’argument qui m’a souvent été opposé, ajoute-t-il, ‘on veut bien venir à Nevers, vous avez un hôpital qui est moderne’, mais le temps de trajet pour rentrer chez moi, ce n’est pas possible.” D’après l’élu, cette solution est d’autant plus nécessaire que la ligne de train Dijon-Nevers “va être complètement fermée à partir de juillet 2023, pour au moins sept à huit mois”.

Financé par le Groupement hospitalier de territoire de la Nièvre, ce trajet aérien hebdomadaire a un coût, mais il permettra en fait “d’économiser”, juge même Denis Thuriot. “Cela coûte 670 euros l’aller-retour par passager”, alors qu’un médecin intérimaire peut demander entre 2 000 et 3 000 euros pour une vacation, justifie l’édile. “Si on s’y prend bien, qu’on se réorganise, on va même baisser le déficit de l’hôpital”, qui est de l’ordre de 6 millions d’euros chaque année, promet l’élu. “Et sur ces 6 millions d’euros, 3,5 millions d’euros sont consacrés aux remplacements”, ajoute-t-il.

… mais à l’impact environnemental critiqué

La mesure a cependant suscité de vives critiques des écologistes nivernais, qui s’inquiètent des conséquences en matière de dérèglement climatique, provoqué par nos modes de vie très gourmands en énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). “Un trajet en avion émet 1 500 fois plus de gaz à effet de serre qu’en train”, accuse Sylvie Dupart-Muzerelle, conseillère municipale EELV de Nevers. L’élue dénonce “un coup de com, à l’heure où l’Europe valide la suppression des vols intérieurs en France lorsqu’il existe une alternative en train en moins de 2h30″

“Je suis conscient des critiques sur l’empreinte carbone. Mais il faut entendre toutes ces personnes qui appellent le 15”, pointe le docteur Romain Thévenoud, de SOS Médecins. “Il ne faut pas opposer l’écologie à la santé publique”, nuance Wilfrid Séjeau, vice-président EELV du conseil départemental, et qui siège au conseil de surveillance de l’hôpital de Nevers.

“Arrêtons l’avion-bashing. Des avions décollent tous les matins avec des hommes d’affaires, et on n’entend personne vociférer.”

Wilfrid Séjeau, vice-président EELV du conseil départemental

à l’AFP

“Si cette solution se révèle vraiment efficace, je suis prêt à l’accepter”, ajoute-t-il. “On verra à l’usage” si cela “répond aux attentes” en matière de soins et si c’est “bien gagnant-gagnant” pour l’hôpital de Nevers, note le directeur de l’Agence Régionale de Santé de Bourgogne-Franche-Comté, Jean-Jacques Coiplet. A l’heure où la pénurie de soignants fait craindre à Patrick Pelloux la fermeture prochaine de “150 services d’urgence”, le président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France redoute “que ce genre de [solutions] soit généralisé”.

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