Castaner répond aux sapeurs-pompiers : «Un pompier n’est pas un ambulancier habillé en rouge» – Le Parisien

Alors que le Congrès national des sapeurs-pompiers de France s’achève samedi 21 septembre à Vannes (Morbihan), sur fond de grève depuis le 26 juin, et avant une manifestation nationale prévue, pour l’heure, le 15 octobre à Paris, le Parisien-Aujourd’hui en France a réuni le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et le colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers. Entretien croisé.

Le congrès des pompiers s’inscrit dans un climat difficile. Etes-vous conscients du malaise ?

CHRISTOPHE CASTANER. Je ne crois pas que ce soit le congrès du mal-être. C’est d’abord celui de la fierté de l’engagement de ces 250 000 hommes et femmes qui interviennent 10 000 fois par jour en France. Même si, je le sais, il y a des problèmes. Nous les abordons. Nous les traitons.

GRÉGORY ALLIONE. Notre système a de nombreux atouts. Il est robuste, résilient. Rien n’est à jeter mais tout doit être amélioré. Avec 7000 casernes en France, nous sommes le dernier service public qui répond, qui va chercher la personne en détresse. Nous sommes confrontés à une société qui évolue, nous absorbons de nouvelles contraintes. Nombre de pompiers volontaires ressentent une perte de sens de leur mission.

Pour les 80 % de pompiers volontaires, faire une croix sur son repas de famille, prendre du temps sur son activité professionnelle quand il s’agit d’une urgence, personne ne le discute. Mais cela devient plus difficile lorsqu’il s’agit d’opérer de simples transports ou relevages pour pallier les lacunes du système de santé.

L’ensemble de la chaîne du secours d’urgence doit être réformé pour plus d’efficacité et plus de sens.

Cela signifie que les pompiers sont occupés par des tâches indues ?

C. C. Un pompier n’est pas un ambulancier habillé en rouge. Nous devons réfléchir à d’autres réponses pour certaines missions aujourd’hui remplies par les pompiers. Aujourd’hui, par exemple, des pompiers interviennent pour relever des personnes âgées victimes d’une chute dans un Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, NDLR). Peut-être peut-on imaginer que du personnel de l’Ehpad soit formé pour cela. Beaucoup d’interventions s’éloignent de leur engagement et leur compétence.

G. A. Nous avons pris 30% d’activité supplémentaire en 20 ans. Cette surcharge implique une baisse de la disponibilité opérationnelle, et un risque croissant de passer à côté de l’arrêt cardiaque ou du feu de forêt pris à temps. La dernière loi de modernisation de la sécurité civile date de 2004, quinze ans plus tard, il est temps d’y revenir.

Afin de mieux réguler leurs missions, les pompiers réclament l’instauration d’un numéro d’urgence unique, le 112. C’est une promesse du président Macron, à ce jour non tenue…

G. A. La France est le seul pays à disposer de trois numéros, le 15, le 17 et le 18 pour appeler au secours. Un seul numéro, c’est plus efficace pour organiser le « bon train de départ » des secours. Travailler tous ensemble, avec le Samu et les policiers, c’est partager l’information en direct. Savoir qu’une personne qui appelle a des antécédents psychiatriques ou judiciaires, c’est un gage de sécurité pour ceux qui interviennent. Et cela peut éviter des drames.

C. C. Avec la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, nous sommes mobilisés sur ce sujet. Nous avons signé une lettre commune pour évoquer précisément cette question de la régulation. Le ministère de l’Intérieur aura sa place dans le plan « Ma santé 2022 ». Il faut être côte à côte sur ces sujets et avancer vite sur cette question. Il y aura des propositions concrètes avant la fin de l’année. Il y a un équilibre à trouver, et nous le trouverons.

L’urgence est d’autant plus palpable que les violences dirigées contre les pompiers sont en nette augmentation. On en compte cinq par jour en France.

C. C. On ne peut pas tolérer que dans notre pays, depuis le début de l’année, 1274 agressions de pompiers aient eu lieu. Les pompiers viennent pour soigner, secourir, accompagner, et ils se retrouvent insultés, voire blessés, souvent par ceux qui les ont appelés. C’est une dérive inacceptable.

Il faut d’abord que, partout en France, qu’ils soient professionnels ou pas, ils puissent déposer plainte de manière systématique, avec un accueil particulier dans les brigades de gendarmerie et les commissariats, que les forces de l’ordre puissent se déplacer dans les casernes pour recueillir ces plaintes. Les pompiers s’engagent pour affronter le feu, l’urgence, pas les coups.

G. A. Les agressions de sapeurs-pompiers sont symptomatiques d’une société qui est un peu malade. Nous ne sommes pas les seuls. Policiers, gendarmes, profs, médecins, tous ceux qui représentent l’autorité au sens noble du terme sont exposés. Le vrai changement, c’est que les agressions ont lieu partout. Ce n’est plus seulement le caillassage dans les quartiers sensibles. Nous sommes en risque aujourd’hui quand nous intervenons chez monsieur et madame tout le monde.

C. C. Comme mesures concrètes, par exemple, nous allons expérimenter le dispositif de caméras-piéton pour les pompiers. Nous testons aussi le gilet pare-lames. Nous allons aussi relancer une campagne de sensibilisation pour toucher tous les citoyens. On ne peut pas insulter celui qu’on a appelé à l’aide. Quand on agresse un pompier, on s’agresse soi-même.

Evoluer à un moment où une directive européenne menace le principe même du volontariat en établissant un plafond d’heures ?

G. A. Il faut absolument préserver ce modèle français. Sans le volontariat, il n’y a plus de sécurité civile du quotidien et de l’exceptionnel. Les Suédois ont cessé le volontariat il y a une dizaine d’années. Résultat, en 2018, quand ils ont été confrontés à de vastes feux de forêt, ils n’avaient plus de ressources et ce sont nous, les Français, qui sommes venus à la rescousse.

C. C. Je ne lâcherai rien sur cette question. Considérer le temps d’engagement comme du temps de travail est une erreur sur le sens même de l’engagement de nos sapeurs-pompiers volontaires. Tous les pompiers ne peuvent pas être professionnels. Le dispositif perdrait de son efficacité et de sa dimension citoyenne.

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