Canada : on vous explique l’affaire des tombes découvertes près d’anciens pensionnats pour enfants autochtones – Franceinfo

C’est une litanie macabre qui n’en finit plus de raviver les blessures. Au Canada, 182 nouvelles tombes ont été découvertes près d’un ancien pensionnat pour autochtones, a annoncé une communauté autochtone, mercredi 30 juin, faisant grimper à plus d’un millier le total de ces sépultures anonymes retrouvées près de tels établissements.

Jusque dans les années 1990, quelque 150 000 enfants amérindiens, métis et inuits ont été enrôlés de force dans 139 de ces pensionnats dans tout le pays, coupés de leurs familles, de leur langue et de leur culture. Franceinfo vous explique comment est né ce scandale que peine encore à reconnaître le Vatican, qui gérait la plupart de ces lieux.

Comment l’affaire a-t-elle pris de l’ampleur ?

Fin mai, la communauté Tk’emlups te Secwepemc a annoncé la découverte des restes de 215 enfants, repérés par un expert à l’aide d’un géoradar. Les corps ont été retrouvés sur le site d’un ancien pensionnat, géré entre 1890 et 1969 par l’Eglise catholique au nom du gouvernement canadien, près de Kamloops, en Colombie-Britannique, dans le sud-ouest du pays. Accueillant jusqu’à 500 élèves, le pensionnat de Kamloops a été le plus gros du Canada. Ce type d’établissements avaient pour but de retirer les enfants autochtones à leurs communautés pour les assimiler à la culture dominante. 

D’autres études de géoradar initiées par des communautés ont ensuite porté leurs fruits. Le 24 juin, la nation Cowessess a annoncé la découverte de “751 tombes non marquées” sur le site de l’ancien pensionnat de Marieval, dans la province de Saskatchewan, dans le centre du pays. Le chef de la Fédération des nations autochtones souveraines de la province de la Saskatchewan a alors dénoncé “des camps de concentration” et un “crime contre l’humanité”.

Mercredi, la détection par la communauté de Lower Kootenay de 182 tombes anonymes près d’un ancien pensionnat à Cranbrook, en Colombie-Britannique, a constitué la troisième annonce du genre en un mois.

Que sait-on de ces pensionnats ?

A la fin du XIXe siècle, 139 établissements de ce genre ont été mis en place dans le pays. Jusque dans les années 1990, quelque 150 000 enfants de familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis y ont été enrôlés de force, coupés des leurs et forcés à adopter un nom européen. Soumis à une éducation religieuse stricte, les jeunes autochtones n’avaient pas le droit de parler leur langue et de pratiquer leurs traditions. Lorsqu’ils pouvaient rendre visite à leurs familles lors de fêtes chrétiennes, certains n’arrivaient plus à communiquer avec leurs proches à cause de la perte de leur langue. En 2015, une commission nationale d’enquête a qualifié le système mis en place de “génocide culturel”.

Les pensionnats ont été le lieu de punitions brutales, de viols, de maltraitances et de tortures. Au moins 4 100 enfants y sont morts, la majeure partie de tuberculose, selon la commission d’enquête. Les écoles, sous-financées, sous-chauffées et sous-équipées médicalement, étaient un terrain propice au développement de maladies. Des survivants ont aussi raconté la malnutrition et la nourriture culturellement inadaptée. “C’étaient des camps de travail”, estime Marc Miller, le ministre des Services aux autochtones canadien. Pour lui, assimiler ces pensionnats à “une école est probablement un euphémisme”.

Des autochtones estiment que la misère, l’alcoolisme, la violence conjugale et les taux de suicide élevés qui frappent aujourd’hui leurs communautés sont en grande partie l’héritage de ce système de pensionnats. En 2008, Ottawa a présenté des excuses formelles aux survivants de ces établissements, dans le cadre d’un accord de 1,9 milliard de dollars canadiens (1,3 milliard d’euros). Mais “il y a un segment de la société canadienne qui nie l’existence des écoles ou nie que ce qui s’est passé dans les écoles était de la négligence ou des abus”, souligne une chercheuse du Centre d’histoire et de dialogue des pensionnats autochtones à Vancouver. Les 600 nations amérindiennes et inuits regroupent 1,7 million de personnes, soit à peu près 5% de la population totale du pays.

Comment le pays réagit-il ?

“J’ai le cœur brisé”, a réagi le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, après la découverte des premiers restes, en mai. “C’est un triste rappel de ce sombre chapitre de notre histoire”, avait alors ajouté le chef du gouvernement, qui a fait de la réconciliation avec les premiers peuples du Canada l’une de ses priorités depuis son arrivée au pouvoir en 2015.

“En tant que Premier ministre, je suis consterné par les politiques honteuses qui ont volé des enfants autochtones à leurs communautés.”

Justin Trudeau, Premier ministre du Canada

le 31 mai 2021

Déplorant “un nouvel exemple” du “génocide” organisé au sein de ces pensionnats, l’Assemblée des Premières Nations a estimé, fin mai, que le gouvernement fédéral “avait la responsabilité de mettre en place les ressources nécessaires” pour identifier les dépouilles, retrouver leurs familles et faire des recherches dans le pays. Justin Trudeau a alors promis de financer la recherche et l’exhumation de restes sur les sites d’anciens pensionnats. Il s’est aussi dit “ouvert” à l’idée d’une enquête pénale, réclamée par plusieurs dirigeants autochtones.

Les drapeaux officiels du pays ont été mis en berne dès la fin mai et des cérémonies en mémoire des jeunes victimes ont eu lieu dans plusieurs régions du Canada. Partout dans le pays, des chaussures d’enfants ont été déposées devant des statues ou des églises. Un mémorial a aussi été improvisé devant le Parlement d’Ottawa, recevant notamment la visite de Justin Trudeau, qui a reconnu “la faute du Canada”

Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, se recueille devant le Parlement à Ottawa, le 1er juin 2021. (SEAN KILPATRICK/AP/SIPA)

Des actions plus radicales ont eu lieu. Une statue d’un des initiateurs des pensionnats autochtones a été déboulonnée, le 6 juin, à Toronto, à la suite d’une manifestation en hommage aux 215 enfants de Kamloops. Huit églises ont également été incendiées, dont deux mercredi en Alberta et en Nouvelle-Ecosse.

Qu’en dit l’Eglise catholique ?

Dès 2018, les députés canadiens avaient adopté une motion pour demander au pape François des excuses personnelles au nom de l’Eglise catholique canadienne, après s’être heurtés à un premier refus. L’absence d’excuses de l’Eglise pour son rôle prépondérant dans la gestion des pensionnats autochtones est “honteuse”, a relancé, début juin, le ministre canadien des Services aux autochtones. 

Fin mai, la Conférence des évêques catholiques du Canada a fait part de sa “profonde tristesse” après la découverte “bouleversante” des premiers restes à Kamloops. L‘archevêque de Vancouver a ensuite présenté ses “excuses” et promis de rendre accessibles les archives et dossiers de l’archidiocèse concernant tous les pensionnats.

“L’Eglise a incontestablement eu tort de mettre en œuvre une politique gouvernementale colonialiste qui a été dévastatrice pour les enfants, les familles et les communautés.”

Michael Miller, archevêque de Vancouver

dans un communiqué

Sous la pression de Justin Trudeau et de groupes autochtones, le pape François a exprimé sa “douleur” concernant la découverte des restes des enfants de Kamloops, mais sans aller jusqu’à s’excuser. Mardi, la Conférence des évêques catholiques du Canada a annoncé l’envoi, en décembre prochain, d’une délégation des peuples autochtones au Saint-Siège. Dans la foulée, Justin Trudeau a de nouveau appelé le pape à se rendre au Canada “pour s’excuser directement auprès des peuples autochtones”.

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