Camille te signe : “TikTok permet de sensibiliser à des causes”

Des courtes vidéos, un facecam en format portrait, une musique, parfois, en fond, et le texte qui s’imprime en bas de l’écran… D’un premier coup d’œil, le compte TikTok de Camille n’a rien de particulier, si ce n’est qu’il cumule près de 200 000 abonnés et vient de passer la barre des 4 millions de “J’aime”.

La recette de son succès sur le réseau social ? Partager ses connaissances sur la langue des signes. Loin des standards attendus et des clichés sur l’application, Camille partage depuis plus de deux ans son savoir à la « LSF Family », sa communauté autour de la langue des signes. Nous avons eu la chance d’échanger avec elle autour de TikTok et du rôle des réseaux sociaux en 2021.

Presse-citron : Tout d’abord Camille, comment avez-vous découvert la langue des signes française ?

Camille te signe : La langue des signes et moi, nous nous sommes rencontrés de façon assez hasardeuse, finalement. Je devais avoir quinze ans et j’ai vu un couple de sourds se disputer, et c’était d’une violence visuelle incroyable. Donc j’ai voulu m’intéresser à cette langue, et comme mon grand-père a participé à la création de l’association Tremplin (une association qui vient en aide aux personnes en situation de handicap pour poursuivre leurs études ndlr) il m’a sensibilisé à la surdité et au monde des sourds.

C’était ça mon premier contact avec cette communauté. De là, j’ai adoré la dimension visuelle de cette langue. Je me suis rendue compte que, finalement, s’exprimer ne passe pas que par la parole, la voix et le son, cela passe aussi par une dimension visuelle et gestuelle. C’est ce qui m’a donné envie de l’apprendre. Mais malheureusement, l’accessibilité à l’apprentissage de cette langue était très mince à l’époque et l’est encore aujourd’hui. Du coup, j’ai dû attendre mon entrée à l’université pour apprendre la langue des signes française auprès de l’association Visuel. J’ai obtenu un diplôme de niveau B2, et je suis maintenant interface de communication en langue des signes française.

Finalement, s’exprimer ne passe pas que par la parole, le son et la voix

Presse-citron : Pourquoi avez-vous décidé de partager et de faire découvrir cette langue sur votre compte TikTok ?

Camille te signe : Pendant mon apprentissage, j’avais beaucoup de personnes aussi bien dans mon entourage familial ou amical, qui me posaient des questions assez récurrentes et redondantes sur la langue des signes. Donc je me suis dit que si eux se posaient la question, d’autres personnes devaient également se la poser.

Je me suis dit que je devais aller sur un réseau social ou une plateforme pour partager ce que je savais. J’ai regardé le panel que je connaissais déjà (YouTube, Snapchat, Instagram…), mais il n’y avait rien qui me correspondait vraiment. Puis TikTok est apparu un peu par hasard, et j’ai créé un compte. Pour voir d’abord, et comprendre les mécanismes. Puis un mois après, j’ai posté ma première vidéo en langues de signes françaises. Depuis, je n’ai pas arrêté.

Presse-citron : Cela fait deux ans que vous avez créé votre compte TikTok. Vous faites partie des premières personnes à avoir rejoint l’application, comment l’avez-vous découverte ?

Camille te signe : Je connaissais déjà Musical.ly et le fonctionnement de ce type de plateforme. Au départ je n’en avais pas forcément un avis très objectif, mais quand j’ai vu que ça avait été modifié et mis aux couleurs de TikTok… J’ai voulu aller voir. Un petit peu par curiosité, et au final le fait que l’on puisse retrouver beaucoup de choses sur l’application, comme des tutos, des cours… Je me suis dit qu’une dimension pédagogique, de sensibilisation, comme je voulais l’apporter, pouvait avoir sa place sur TikTok. Je me suis lancée.

Presse-citron : Votre contenu n’est pas vraiment l’image que l’on pourrait penser d’une chaîne TikTok. On aurait plutôt tendance à croire que ce genre de vidéos d’apprentissage a davantage sa place sur YouTube. Alors pourquoi TikTok ?

Camille te signe : C’est certain. Mais je pense que ça desservirait la langue des signes que je me mette sur YouTube. Il y a déjà de très bons contenus qui sont proposés à ce sujet sur la plateforme et si je rajoutais le mien, cela ferait un trop-plein.

Puis, ce que j’apprécie avec TikTok, c’est son côté intuitif et rapide : on fait tout avec son téléphone… Cela ne demande pas de gros matériel, contrairement à YouTube qui demande une certaine qualité auditive, visuelle et même de montage. Donc c’est vrai que je ne me sentais pas prête à me lancer sur YouTube. Je n’avais pas envie de me prendre la tête ; j’avais envie de pouvoir répondre aux questions des gens en direct.

Presse-citron : Depuis ces deux ans passés sur TikTok, vous trouvez toujours le format court aussi intéressant. Pourquoi ?

Camille te signe : Honnêtement le format court me plaît toujours autant. Depuis le début du mois de décembre, j’ai lancé un concept de « un jour, un signe ». Je fais découvrir un signe de plus chaque jour, et j’arrive à intéresser les gens comme ça, avec des petites touches.

Personnellement, déjà à l’école, passer une heure sur un seul support ça pouvait être assez pénible et long. Donc je voulais quelque chose de court que l’on puisse regarder n’importe où et réussir tout de même à apprendre quelque chose. C’était vraiment mon idée de départ, et c’est toujours ce que je cherche à faire aujourd’hui.

C’est cet aspect direct et un peu “flash” qui me plaît

Quand certaines personnes veulent approfondir leurs connaissances sur la langue des signes, je n’ai aucun mal à les rediriger vers d’autres personnes qui peuvent faire du contenu plus long, notamment sur YouTube. Nous avons un peu un rôle de gardien de la langue des signes, donc on se connaît tous très bien et on s’entraide sans problème. Moi, de mon côté, je suis comme la porte d’entrée. Je fais découvrir la langue des signes, j’explique aux gens ce que c’est, et je leur apprends à accepter de prendre du temps pour rentrer en communication avec une personne sourde.

Camille te signe

Presse-citron : En plus de TikTok, vous êtes interface de communication au quotidien. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce métier ?

Camille te signe : C’est un métier qui est complémentaire avec celui d’interprète, qui est peut-être davantage connu. Une interface va accompagner une personne sourde vers son autonomie. On va assister à des cours, des entretiens… On est là pour sensibiliser le public entendant à la surdité, et aussi faire de la médiation quand c’est nécessaire entre la personne sourde et son environnement entendant. L’objectif, à terme, est d’inclure le plus possible la personne sourde dans le monde entendant.

Presse-citron : C’est donc votre travail au quotidien, mais TikTok vous demande de plus en plus de temps. Est-ce que vous pensez que vous pourriez vous dévouer à 100 % à vos vidéos ?

Camille te signe : Aujourd’hui, mon métier me prend déjà pas mal de temps, et TikTok je l’ai fait de manière un peu détaché sans forcément vouloir en faire un travail ou un business. C’est vraiment quelque chose que je fais par plaisir. J’essaye d’équilibrer un peu les deux.

Mais si l’on reste réaliste, TikTok ce n’est pas un métier. Ça ne me fait pas un salaire, loin de là. Donc je me vois mal lâcher mon travail pour TikTok et les réseaux, ça reste quelque chose d’éphémère, et je me sentirais pas de me lancer en free-lance total.

Les réseaux sociaux, y compris TikTok, permettent de sensibiliser les gens facilement à des causes

Presse-citron : Pour finir, est-ce que vous pensez que les réseaux sociaux, et TikTok précisément dans votre cas ont un rôle à jouer dans l’inclusion des personnes sourdes ? Et plus généralement dans l’inclusion des minorités ?

Camille te signe : Les réseaux sociaux, quand on les utilise bien, ce sont des outils vraiment utiles et serviables pour les communautés et les minorités. On peut mettre en lumière sa propre communauté, par exemple aux États-Unis avec la situation des natifs amérindiens, qui subissent beaucoup d’oppression. Et personnellement de le voir dans mon fil d’actualité ça me fait prendre conscience de leur situation. Ça a aussi été le cas avec les Ouïgours plus récemment.

Ensuite, toujours en prenant soin de bien les utiliser, les réseaux sociaux, y compris TikTok, permettent de sensibiliser les gens facilement à des causes. De mon côté, et avec la communauté sourde, je pense que le bilan est ultra-positif. Je me rends compte maintenant, avec deux ans de recul, que des gens qui me suivent depuis un certain temps commencent à sensibiliser leur entourage à leur tour. C’est magnifique à voir.

Cette prise de conscience, j’ai réussi à la partager de mon côté, avec ma communauté. Mais je pense qu’elle est valable pour tout le monde. Les réseaux sociaux sont une vraie arme pour les minorités. Ils leur permettent de devenir une personne active de la société, et de se faire entendre.

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