
Brexit: le Parlement britannique neutralise Boris Johnson – Le Figaro

Les députés britanniques ont adopté, mercredi soir, la loi pour repousser la sortie de l’UE contrariant les plans du premier ministre.
Correspondant à Londres
Pour rendre compte de l’atmosphère explosive qui règne dans les couloirs de Westminster, on ne cite plus les grands auteurs. Un éditorialiste a préféré emprunter à Mike Tyson. «Chacun a un plan, jusqu’à ce qu’il se prenne un coup de poing dans le menton» a un jour dit avec une justesse certaine le boxeur. Boris Johnson a pris des coups, depuis deux jours. Et il doit revoir quelque peu sa stratégie.
La soirée de mardi fut cruelle et celle de mercredi ne fut guère plus souriante. Le premier ministre a d’abord perdu sa majorité absolue avec la défection d’un élu, avant d’être désavoué par une majorité significative de députés sur un vote crucial. Épaulés par 21 conservateurs «rebelles», ses opposants ont pu reprendre le contrôle de l’agenda parlementaire. Une motion qui leur a permis de présenter ce mercredi un texte empêchant de facto une sortie sans accord.
Combatif, Boris Johnson a dénoncé une «loi de capitulation» devant l’UE
Ce projet de loi donne au gouvernement jusqu’au 19 octobre pour conclure un nouvel accord de divorce avec Bruxelles, que validerait ensuite la Chambre des communes, ou pour obtenir l’aval du Parlement à une sortie sans accord. Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, le premier ministre devra demander un nouveau report du Brexit jusqu’au 31 janvier 2020. La proposition de loi a été adoptée mercredi soir en première lecture par 327 voix contre 299. Elle a ensuite êté adoptée en deuxième lecture et doit passer chez les Lords.
Sous pression et passablement énervé, Boris Johnson a laissé échapper quelques mots que l’on est peu habitué à entendre dans la vénérable Chambre des communes. Après avoir traité le leader de l’opposition, Jeremy Corbyn, de «poulet chloré», il a qualifié son programme économique de «merde». Il s’est aussi fait rappeler à l’ordre par le président de la Chambre, John Bercow, pour s’être adressé nommément à «Jeremy Corbyn». Un crime de lèse-étiquette, puisque les noms ne doivent jamais être utilisés dans les interventions, seulement les fonctions ou l’expression «Mon Honorable Collègue»
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Combatif, Boris Johnson a dénoncé une «loi de capitulation» devant l’UE. Une initiative qui va miner les capacités de négociations britanniques à Bruxelles. Le premier ministre a réaffirmé qu’il ne demanderait jamais de nouveau délai, et a soumis dans la foulée au vote de la Chambre des communes une motion pour convoquer des élections législatives anticipées le 15 octobre.
L’opposition redoute une manœuvre du premier ministre
C’est autour de ce scrutin que se porte aujourd’hui le combat. Boris Johnson a mis au défi le leader de l’opposition, Jeremy Corbyn, d’accepter le choc. Et ce «afin de permettre au peuple de ce pays d’exprimer son opinion». Le texte sur les élections doit en effet recueillir deux tiers des voix pour être adopté. Or, le Labour avait d’emblée prévenu qu’il le rejetterait.
Le Parti travailliste se dit d’accord pour des élections, mais pas avant que le texte contre un divorce sans accord ne soit adopté, promulgué et inscrit dans la loi par le biais du «Royal Assent». L’opposition redoute en effet une manœuvre du premier ministre. La date du 15 octobre est avancée car elle permettrait d’avoir un premier ministre élu avant le sommet européen des 17 et 18 octobre à Bruxelles. Mais Boris Johnson est suspecté d’avoir dans l’idée de repousser le scrutin au dernier moment, après le 31 octobre, obligeant ainsi à une sortie sans accord. «Le niveau de confiance en Boris Johnson est très, très bas», a confié Keir Starmer, le responsable du Brexit au sein du Labour.
Anti-jeu démocratique
Le Labour, en fait, est dans l’embarras. Le rapport de force électoral et les sondages ne lui sont pour l’heure guère favorables. Tony Blair a d’ailleurs prévenu son ancien parti que ces élections anticipées étaient un «piège à éléphant». Selon John Curtice, professeur de sciences politiques à l’université de Strathclyde, «la stratégie évidente pour l’opposition est de laisser le gouvernement mijoter». La question est de savoir combien de temps il peut ainsi mijoter. Idéalement, des élections repoussées après le 31 octobre obligeraient Boris à subir une humiliation politique, en étant contraint de demander un nouveau délai à Bruxelles. Mais le Labour peut vite se retrouver accusé de lâcheté électorale et d’anti-jeu démocratique.
Pour Boris Johnson, les seules bonnes nouvelles sont venues hier du front judiciaire. La justice écossaise a rejeté une action intentée par 75 parlementaires pro-européens visant à bloquer la suspension du Parlement. Le juge a estimé que cette affaire relevait du «domaine de la politique» et non de la justice.
C’est sur ce terrain politique que le premier ministre doit désormais à son tour tenter de «reprendre le contrôle». Donald Trump s’est fait hier rassurant. «Boris est un ami, a dit le président américain, il sait comment gagner. Ne vous inquiétez pas pour lui, ça va aller.»