Brexit : le début de la fin d’une saga sans fin ? – Libération

Deal or no deal ? Telle est la question. A quinze jours du Brexit, qui doit normalement avoir lieu le 31 octobre à minuit, les négociateurs européens et britanniques continuaient mercredi soir à négocier d’arrache-pied, pour conclure un nouvel accord afin d’éviter le saut dans le vide que constituerait une sortie de l’UE dans le désordre dont tout le monde souffrirait. Il y a «une chance d’obtenir un bon accord», s’est ainsi réjoui Boris Johnson dans l’après-midi. «Mais nous n’y sommes pas encore», a tempéré le Premier ministre britannique, car il reste «un certain nombre de questions en suspens», que ce soit entre les deux parties ou avec le DUP, le parti unioniste nord-irlandais, partenaire de la coalition au pouvoir à Londres. «Je pense de plus en plus que nous obtiendrons un accord», lui a fait écho Angela Merkel, la chancelière allemande, lors d’une conférence de presse commune avec Emmanuel Macron à l’issue d’un sommet franco-allemand mercredi soir. «Nous avons l’espoir et la volonté d’obtenir un accord» et «les échos sont positifs» a estimé, de son côté, le chef de l’Etat français. L’objectif est de parvenir au moins à un accord politique qui pourrait être endossé par les chefs d’Etat et de gouvernement jeudi et vendredi à Bruxelles. Peu avant vingt heures, le négociateur européen, Michel Barnier, confirmait aux ambassadeurs de l’UE que les discussions étaient en bonne voie, avec tous les sujets épineux résolus, sauf celui concernant la TVA.

Le casse-tête du «backstop»

Encore une fois, le calendrier politique britannique s’impose aux Européens. Des sujets fondamentaux que ce sommet devait traiter vont passer à l’arrière-plan : le cadre financier pluriannuel 2021-2027, l’ouverture des négociations d’élargissement avec la Macédoine du Nord et l’Albanie, les difficultés dans la mise en place de la Commission qui ne prendra pas ses fonctions le 1er novembre après le rejet des candidatures des commissaires français, hongrois et roumain.

Jusqu’au bout, «BoJo» a clamé qu’il sortirait de l’UE, quoi qu’il en coûte, le 31 octobre dernier carat, une date déjà reculée à deux reprises, la Chambre des communes ayant refusé d’adopter l’accord de divorce conclu en novembre 2018 entre Londres et Bruxelles. Dès lors, pour éviter une sortie désordonnée, les Européens ont préféré accorder une prorogation. Si les négociateurs parviennent à s’entendre, le Brexit n’aura alors pas lieu le 31 octobre, car il faut le temps de mettre en forme juridique ce nouvel accord de divorce. Si les négociateurs échouent, il en ira de même, la Chambre des communes ayant refusé un Brexit sans accord.

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Les discussions portent essentiellement sur le «backstop» qui permettra de maintenir ouverte la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, l’une des conditions de l’accord du Vendredi saint de 1998 qui a mis fin à la guerre civile. Dans la version du texte dont BoJo ne veut pas entendre parler, tout le Royaume-Uni resterait dans l’union douanière européenne tant qu’une solution pérenne n’aurait pas été trouvée pour éviter le retour des contrôles physiques entre les deux Irlandes. Désormais, Bruxelles et Londres négocient sur une formule que les Européens avaient déjà proposée au début des négociations : le maintien de la seule Irlande du Nord dans l’union douanière, ce qui impliquerait des contrôles dans les ports britanniques ou irlandais du Nord. Mais Londres veut que ces contrôles ne s’appliquent pas aux marchandises destinées au territoire nord-irlandais, ce qui en pratique paraît impossible. Par exemple, si un poulet lavé au chlore venant des Etats-Unis entre dans le pays, comment garantir qu’il ne sera pas transformé et exporté vers la République d’Irlande puis vers l’Union ? On mesure la difficulté.

Faire avaler la pilule au DUP

Une fois de plus, c’est le petit parti nord-irlandais Democratic Unionist Party (DUP) qui rechigne et retarde tout dénouement. Depuis lundi, Boris Johnson a passé des heures à les consulter. Pour ces unionistes durs, très attachés à leur appartenance au Royaume-Uni, la plus grande crainte est, d’une manière ou d’une autre, de prendre le risque du plus petit détachement de leur île d’attache (la Grande-Bretagne) et du plus léger rapprochement vers la République d’Irlande. En 1998, le DUP avait voté contre l’accord de paix, alors que la population d’Irlande du Nord avait voté à 71,1 % pour. En 2016, le DUP a voté en faveur du Brexit, alors que les Nord-Irlandais ont souhaité, à 56 %, rester au sein de l’Union européenne. Pour le DUP, l’idée de laisser l’Irlande du Nord au sein de l’union douanière européenne et d’établir des contrôles entre la Grande-Bretagne et l’Irlande est difficile à avaler puisque cela reviendrait à établir une frontière de facto. Plusieurs millions de livres d’investissement en Irlande du Nord, région plutôt défavorisée, auraient été promis pour amadouer Arlene Foster, la cheffe du DUP, et Nigel Dodds, chef du groupe parlementaire du parti.

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Mais c’est sur la question du consentement sur la décision ou pas de continuer avec l’arrangement trouvé sur l’Irlande du Nord que les discussions ont été les plus vives. Le DUP souhaite avoir un droit de veto, ce que l’UE a refusé catégoriquement. D’autant que l’assemblée semi-autonome d’Irlande du Nord, où les principaux partis, le DUP et le Sinn Féin, côté républicain, siègent en principe à égalité, est suspendue depuis janvier 2017. L’essentiel de la négociation se joue à Londres, encore une fois.

Jean Quatremer correspondant à Bruxelles , Sonia Delesalle-Stolper correspondante à Londres

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