Brexit : à quoi joue Boris Johnson ? – Libération

A quoi joue Boris Johnson ? A-t-il choisi «l’option nucléaire» dans les négociations avec l’UE pour un éventuel accord de libre-échange ? Le Financial Times révèle ce lundi que le gouvernement britannique a l’intention de présenter mercredi au parlement un projet de loi qui, de fait, «clairement et consciemment», «éliminerait le poids légal de certaines parties de l’accord de retrait» sur le Brexit, signé en octobre dernier par le Premier ministre britannique, notamment dans le domaine des subventions de l’Etat et des douanes en Irlande du Nord.

À la veille de la huitième session des négociations sur la relation post-Brexit entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, qui démarre mardi à Londres, ces révélations pourraient menacer la poursuite des discussions, déjà extrêmement tendues.

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Coïncidence, ou pas, les révélations du Financial Times sont intervenues au moment où Boris Johnson évoquait ouvertement dans un communiqué la possibilité d’un échec complet des négociations. Le Royaume-Uni sortirait alors de la période de transition qui a suivi sa sortie officielle de l’UE le 31 janvier dernier sans accord de libre-échange avec les Vingt-Sept.

«L’UE a été très claire à propos du calendrier. Je le suis également. Nous devons trouver un accord avec nos amis européens d’ici le Conseil européen du 15 octobre si nous souhaitons qu’il soit effectif d’ici la fin de l’année», a indiqué Boris Johnson dans une déclaration publiée dimanche soir par le 10, Downing Street. «Si nous ne pouvons nous mettre d’accord d’ici là, je ne vois pas comment nous pourrions conclure un accord de libre-échange. Dans ce cas, nous devrions tous accepter la situation et avancer», a-t-il ajouté.

«L’option nucléaire»

Les négociations qui auraient dû s’accélérer et avancer cet été coincent et ces derniers jours, les deux parties n’ont pas caché leur frustration, chacune accusant l’autre de freiner toute avancée. Ce n’est, en soi, pas forcément surprenant à ce point de négociations délicates sur une toute nouvelle relation, après presque 50 ans d’une étroite association au sein de l’UE. La déclaration de Boris Johnson fait suite à une succession de menaces voilées sur une sortie sans accord, distillées ces derniers jours dans les médias britanniques. Dans une interview dimanche au Mail on Sunday, le négociateur britannique David Frost avait averti qu’il n’était pas question que le Royaume-Uni devienne «un Etat-client» de l’UE. Selon le Financial Times, David Frost serait derrière «l’option nucléaire» d’une législation qui remettrait en cause l’intégrité de l’accord de retrait du Brexit.

En cas d’échec à trouver un accord, «nous aurons alors un arrangement commercial sur le modèle de celui que l’UE a avec l’Australie», a souligné Boris Johnson. L’Union européenne n’a actuellement aucun arrangement commercial avec l’Australie, puisque les discussions sur un accord de libre-échange n’ont pas abouti. «Je tiens à être absolument très clair, comme nous l’avons dit depuis le début, qu’un tel résultat serait positif pour le Royaume-Uni», a assuré le Premier ministre. «Mon gouvernement se prépare, à nos frontières et dans nos ports, à être prêts pour cela». «Nous aurons le contrôle absolu de nos lois, de nos règles et de nos zones de pêche. Nous aurons la liberté de conclure des accords de libre-échange avec tous les pays du monde. Et grâce à cela, nous prospèrerons», a estimé le Premier ministre, reprenant là les accents de la campagne pour le référendum sur le Brexit il y a quatre ans.

Pourtant, la semaine dernière, douze associations et syndicats représentant le secteur britannique des transporteurs routiers avaient publié une lettre appelant le gouvernement à se réveiller. «Le Royaume-Uni marche en somnanbule vers un désastre», le risque de «très graves perturbations dans les chaînes de distribution», avait déclaré Rod McKenzie, porte-parole de la Road Haulage Association, le syndicat des transporteurs routiers. Boris Johnson n’avait pas répondu à cette lettre.

Pari dangereux

«Nous serons bien sûr toujours prêts à parler à nos amis européens, même dans ces circonstances (d’un non-accord, nldr)», a poursuivi le Premier ministre. «Nous serons prêts à trouver des arrangements adéquats pour les questions pratiques tels que les vols, les transports routiers ou la coopération scientifique, si l’UE le souhaite», a-t-il ajouté. «Notre porte ne sera jamais fermée et nous commercerons comme des amis et des partenaires – mais sans accord de libre-échange», a-t-il dit, avant de conclure en affirmant qu’un «accord peut encore avoir lieu» mais «nous ne compromettrons pas les fondamentaux de ce qu’être un pays indépendant signifie».

Traîner des pieds, montrer ses muscles voire menacer sont des éléments attendus d’une négociation. Revenir sur des engagements déjà signés soulèverait des questions graves sur la crédibilité internationale du gouvernement britannique. Boris Johnson, tiraillé au sein de son cabinet entre les partisans d’un Brexit dur sans accord et les plus modérés, qui souhaitent signer un accord de libre-échange, semble sur le point de tenter un pari dangereux. S’il revient sur ses engagements, que vaudra sa parole lorsqu’il engagera d’autres négociations pour des accords de libre-échange avec d’autres pays dans le monde ?

Sonia Delesalle-Stolper correspondante à Londres

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