Bloquez, il ne restera que votre médiocrité

Bloquez, il ne restera que votre médiocrité

Au bas mot, depuis que je tiens cette chronique, je dois en être à mon sixième billet sur la thématique : politique & Internet, pourquoi les premiers n’y comprennent toujours rien. J’avoue ne pas avoir osé regarder mon tableau de bord.

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Des évidences

Commençons par rappeler quelques évidences. La pornographie a toujours existé, y compris les pratiques les plus originales. Internet s’est considérablement développé, a permis l’accès à la connaissance et la pornographie représente une bonne partie du trafic mondial. Il est évident que toutes les plateformes ne jouent pas le jeu et ne respectent pas certains standards.

Internet a permis l’expansion de certaines criminalités, qui ont malheureusement toujours existé. La seule réelle criminalité qui a vu le jour avec la démocratisation d’Internet dans les foyers est la propagation de malwares puisqu’il s’agit d’une menace spécifique. Le trafic d’êtres humains, la pédopornographie, le trafic de stupéfiants, les arnaques financières, l’endoctrinement sectaire et religieux sont des actes qui ont largement précédé Internet et il suffit d’ouvrir un livre d’histoire du droit pénal pour s’en convaincre.

Enfin, avant d’imposer de nouvelles règles du jeu aux opérateurs, on devrait rappeler quelques règles de bon sens. J’ai une pensée très émue pour ce père de famille qui s’est plaint auprès de ma mère qu’en regardant un dessin animé avec ses enfants, le film a basculé sur un porno. Ce à quoi j’ai rétorqué que si ledit père de famille avait été sur un service légal, type Netflix, cette mésaventure ne lui serait pas arrivée. Je ne l’ai pas traité d’ahuri, mais je l’ai pensé suffisamment fort.

Fractures et amnésie

Internet est devenu le cache-misère de la médiocrité des politiques. Pour faire semblant de retrouver une stature de dirigeant, certains montent au créneau pour fustiger le grand méchant réseau, qui mange les petits enfants à la nuit tombée.

Et pendant qu’on admoneste les opérateurs – qui jouent le jeu de la légalité – on oublie de rappeler que ce n’est peut-être pas pertinent de mettre un smartphone dans les mains d’un enfant ni de le laisser sans surveillance quand il utilise le Web. À celles et ceux qui avancent l’argument du « un smartphone, ça permet de savoir où est son enfant entre la maison et l’école », je me permets de rappeler que ma génération est allée à l’école, au collège et au lycée sans avoir de smartphone et qu’on n’a pas croisé le croque-mitaine. Juste des syndicalistes de la CGT durant les grèves de 1995. Ce n’est pas un hasard si autour de moi, les parents les mieux éduqués sur le plan technique sont justement ceux qui sont les plus sévères concernant les outils informatiques. A contrario, ceux qui ont déjà du mal à allumer leur imprimante sont les plus permissifs. On est en face d’une fracture entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas et non, ce n’est pas parce qu’on sait poster des photos sur un réseau social, qu’on sait utiliser les outils informatiques. Cette fracture aurait largement pu être évitée et anticipée à la fin des années 90, mais quand on se rappelle à quel point les salles informatiques étaient misérables dans les établissements scolaires, on ne peut pas être étonné de se retrouver avec une cohorte d’adultes qui n’ont aucune base ou presque en la matière. Je fais partie des chanceuses parce que ma mère avait un ordinateur à la maison et que je le lui empruntais régulièrement.

La pornographie nous aurait envahis. En effet : dans les médias traditionnels. Revenons aux années 80 et 90, où l’on voyait à des heures de grande écoute, à la télévision, des publicités avec des femmes quasiment nues, qui jouissaient littéralement en croquant dans un morceau de fromage. J’entends bien qu’on est Français et que la nourriture, c’est sacré, mais dans la vie réelle, je n’ai jamais croisé personne qui a eu un orgasme avec un bout de camembert. On croisait aussi des kiosques à journaux avec des affiches géantes pour des magazines pornographiques, des publicités dans le métro pour de grandes marques avec des femmes et des hommes dévêtus, on avait les mangas du Club Dorothée où les filles étaient largement sexualisées et dont on montrait la petite culotte à la moindre occasion. On mettait même des actrices pornographiques en couverture de magazines grand public et comme les parents achetaient ces magazines, ça se retrouvait aussi dans la cour d’école. Les enfants dont les parents avaient un abonnement à Canal+ pouvaient en voir le premier samedi du mois, à partir de minuit et pour les autres, ils se rabattaient sur le téléfilm coquin du dimanche soir, en troisième partie de soirée, sur M6 et sa cohorte d’Emmanuelle, qui a permis à la chaîne de contourner les impératifs de production et de diffusion en langue française. Et je vous épargne la très longue liste de la littérature érotique et pornographique qu’on pouvait trouver dans toutes les bibliothèques, en cherchant un peu.

État défaillant cherche solutions rapides

Marc Rees dans NextINpact nous donne une clef de compréhension.  Cette merveilleuse déclaration est liée à un plan, sobrement intitulé « Pacte pour l’enfance ». Dans le dossier de presse, on constate que la pornographie sur le Web est montrée comme étant la source de tous les problèmes de nos chères têtes blondes, mais qu’on se rassure : « Une charte sera signée d’ici la fin de l’année avec  les  opérateurs  de  téléphonie  et  fournisseurs d’accès à internet dans laquelle ils s’engageront  d’une  part,  à  renforcer  l’information des parents sur les dispositifs de contrôle parental et, d’autre part, à en faciliter l’utilisation en simplifiant leur utilisation ». C’est beau comme la loi droits voisins.

Malheureusement, ce plan, aussi beau soit-il, ne sera d’aucune utilité. On peut multiplier les plateformes et les plans de communication, mais quand on n’a pas d’intervenants pédagogiques dans les établissements scolaires ni d’infirmières, cela n’a aucun sens. Passons aussi sur le fait que dans certaines zones, la priorité est de faire en sorte que les postes de professeurs soient pourvus et que les dealers ne viennent pas y faire leurs affaires.

On passera aussi sur le fait qu’il y a des zones où la police est absente et ne répond pas quand on l’appelle ou qu’on ne peut pas y porter plainte. Évidemment, on fera aussi mine d’oublier que la justice française est la moins bien dotée, de toutes les dépenses publiques : sur 1000€, 4€ sont consacrés à la justice et la France est mauvaise élève dans les classements. Le jour où les greffiers vont ouvrir des cagnottes Leetchi pour s’acheter des Post-it, on va tous bégayer.

Sur le plan de la justice, on notera aussi la parcelle relativement congrue laissée la justice restauratrice dans notre modèle.

Et les enfants ?

Les politiques n’ont toujours pas compris que le principe même d’Internet était qu’il est difficile à brider, car même dans les États où les connexions sont absentes, des petits malins arrivent à se faufiler.  Techniquement, c’est stupide. J’admets volontiers que le combat contre la pornographie est un cheval de bataille efficace si on veut gagner un certain électorat, mais il est évident que cela ne dénote pas une pertinence sur le sujet ni que cela soit une garantie de réussite, les électeurs ayant toujours préféré les originaux aux contrefaçons. Concernant la protection de l’enfance, quand on sait qu’il y a plus de 9 millions de pauvres en France  dont 3 millions d’enfants m’est d’avis que la priorité ne devrait certainement pas de faire les gros yeux aux opérateurs, mais de mettre en place un plan qui inclut le développement physique, culturel, moral et économique des enfants, des parents et de toute la communauté.

On félicitera au passage, les équipes qui ont commis ce chef-d’œuvre de démagogie et d’hypocrisie.  

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