Biodiversité : quatre questions sur les milliers de poissons morts découverts au large de La Rochelle et le fo – franceinfo

Une véritable marée grise. Des dizaines de milliers de poissons morts flottant au large de La Rochelle (Charente-Maritime), dans le golfe de Gascogne, ont été photographiés et filmés, jeudi 3 février, par l’ONG Sea Shepherd France. Le responsable de cette hécatombe est un chalutier géant, Le Margiris, l’un des plus gros navires de pêche au monde, qui a rejeté plus de 100 000 merlans bleus. Franceinfo revient en questions sur cette affaire.

1Que montrent les images de l’ONG ?

“Voici ce qu’il se passe en ce moment dans le golfe de Gascogne”, a commenté l’ONG Sea Shepherd en révélant, jeudi, cet incident, photos et vidéo à l’appui. Les images de l’association, postées sur Twitter, montrent une étendue de poissons gris morts, semblables à de l’écume. “Après vérification, les milliers de poissons morts sont des merlans bleus”, précise l’association, ajoutant que cette espèce, soumise à des quotas de pêche, est notamment utilisée pour la confection de surimis. 

Les clichés, impressionnants, ont été massivement repris, suscitant l’indignation. Le journaliste Hugo Clément, animateur de l’émission “Sur le front” (sur France 5) consacrée aux sujets environnementaux, a par exemple interpellé sur Twitter la ministre de la Mer, Annick Girardin. Elle a d’abord réagi en assurant être “choquée” par ces images et a demandé “au Centre national de surveillance des pêches (CNSP) de faire la lumière sur ce sujet afin d’identifier les causes de ces rejets importants de poissons”.

2Que s’est-il passé ? 

Selon le ministère, contacté par franceinfo, “il s’agirait d’une rupture accidentelle de chalut qui aurait conduit à ce rejet de 50 tonnes de poissons dans la mer”, involontaire. 

“Ces images restent choquantes mais on ne peut pas dire, pour le moment, que c’est volontaire ou que c’est du gaspillage.”

Le ministère de la Mer

à franceinfo

“Le navire s’est identifié de lui-même en bout de course. L’armateur a reconnu un accident à bord, c’est un filet qui a lâché”, a expliqué vendredi Annick Girardin devant la presse à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques). “L’accident a été déclaré dans le journal de bord, a-t-elle ajouté, les poissons morts seront retirés des quotas du bateau.” “Conformément à la législation européenne, l’événement ainsi que les quantités pêchées ont été (…) signalés aux autorités lituaniennes, pays d’immatriculation du navire”, a précisé de son côté l’association européenne des chalutiers congélateurs pélagiques (PFA), dans un communiqué diffusé jeudi soir.

Annick Girardin a fait savoir qu’une enquête administrative avait été lancée pour faire toute la lumière sur cet incident. Elle a promis qu’en cas d’infraction avérée, “des sanctions seraient prises vis-à-vis de l’armateur responsable”.

3Qu’en pense l’ONG Sea Shepherd ? 

La version avancée par le navire ne convainc pas l’association. Selon la présidente de Sea Shepherd France, Lamya Essemlali, cette marée de poissons morts pourrait être due à des “captures accessoires”“Les captures accessoires sont le fait de pêcher une autre espèce de poissons que celle qui intéresse et de la rejeter en mer. Or, cette pratique est illégale”, explique-t-elle à franceinfo.

La législation européenne stipule que “seule une exemption de 5% est autorisée, pour les cas où des individus d’une autre espèce se glissent dans le banc de l’espèce ciblée”, rappelle sur Twitter l’eurodéputé Pierre Karleskind, président de la commission de la pêche (Pech) au Parlement européen. Traduction : “Si vous voulez pêcher des maquereaux, que vous en attrapez 95% et que vous avez 5% de sardines, vous avez le droit de les rejeter, mais il faut le déclarer, explique Lamya Essemlali. Or, dans le cas du Margiris, on est bien au-delà des 5%.”

En théorie, le navire a obligation de débarquer à quai et de déclarer sa capture accessoire, mais il ne le fait pas toujours. “On est obligés de prendre pour argent comptant ce que disent les armateurs car on manque de contrôle”, souligne auprès de franceinfo la présidente de l’ONG. “Un armateur a tout intérêt à relâcher en mer car en matière de pêche, c’est ‘pas vu, pas pris’.”

L’association souligne aussi que la trajectoire en mer du navire ne corrobore pas la cause accidentelle avancée. “On aimerait bien également connaître l’heure à laquelle a été enregistré l’incident”, ajoute Lamya Essemlali. Sur Twitter, l’association des chalutiers congélateurs pélagiques (PFA) assure que l’incident a eu lieu à 5h50 GMT (6h50, heure française)”. Par ailleurs, “si c’est effectivement une rupture de chalut, il est étonnamment fragile et cela soulève aussi des questions”, juge Lamya Essemlali. 

4Quelles sont les problématiques soulevées par cette affaire ? 

Les images filmées par Sea Shepherd France mettent surtout en lumière la présence de navires-usines dans les eaux françaises. Le Margiris a des mensurations gigantesques : plus de 140 mètres de long et plus de 9 000 tonnes, avec un filet de 600 mètres qui peut couvrir jusqu’à 200 mètres en largeur, comme le montre une infographie du Parisien“Ce sont des grands navires de pêche à qui sont imposés, par la Commission européenne, des quotas de pêche annuels”, explique le ministère. 

Avec de telles tailles, ces bateaux ont des capacités de pêche démesurées par rapport aux petits pêcheurs des côtes françaises ou européennes. Les prises quotidiennes de poissons se comptent en centaines de tonnes. “C’est ce que capture la soixantaine de petits pêcheurs de Trouville, mais en un an”, soulignait en novembre 2019 à La Croix Dimitri Rogoff, président du comité régional des pêches de Normandie. “Bien qu’ils soient dans leur droit, le Margiris et le Annie Hillina [un chalutier géant allemand] peuvent collecter en une journée 250 tonnes de poissons, soit l’équivalent du total annuel de cinq bateaux normands”, avait déjà écrit Hervé Morin, le président de la région Normandie, en 2019 dans un courrier au ministre de l’Agriculture de l’époque.

Le Margiris était d’ailleurs dans le viseur des écologistes, notamment britanniques, qui l’accusent de “ruiner les fonds marins”, rapporte France 3 Nouvelle-Aquitaine. L’Australie avait interdit, en septembre 2012, ce navire-usine de pêcher au large de la Tasmanie. Pour la présidente de Sea Shepherd, les autorités françaises font preuve de “laxisme” en la matière. “Il faut s’interroger sur la légalisation de tels navires, on a le plus grand littoral d’Europe, on devrait être exemplaire”, estime-t-elle. “Depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, l’Europe a fait le choix de gérer la pêche par un système de quotas alloués aux Etats membres (…) Il faut maintenant aller plus loin en se penchant sur la taille des navires et les techniques de pêche néfastes”, insistait Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’association Bloom, auprès de La Croix.

La présence de ces navires géants au large des côtes françaises endommage également toute la chaîne alimentaire des océans puisque les poissons pêchés en énorme quantité sont la proie des prédateurs marins, comme les dauphins.

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