Biélorussie : faire cesser la guerre contre un peuple – Le Monde

Editorial du « Monde ». Soir après soir, à Minsk et dans plusieurs villes de Biélorussie, des chaînes humaines pacifiques affrontent la police antiémeute du dictateur biélorusse, Alexandre Loukachenko, depuis l’annonce des résultats de la présidentielle du 9 août, qui lui accordent, contre toute évidence, une réélection triomphale avec 80,2 % des voix. Des salves de grenades lacrymogènes, de balles en caoutchouc ou réelles, des canons à eau, des matraquages et des arrestations par milliers constituent la réponse d’un régime à bout de souffle instauré dans cette ancienne république soviétique voici plus d’un quart de siècle. Des coupures d’Internet cherchent à créer la panique parmi des manifestants pacifiques, dont certains arborent des fleurs ou des ballons blancs.

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Ce n’est pas la première fois que le régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko impose à son peuple une élection truquée ni que, comme en 2010, sa mascarade électorale suscite de vives protestations violemment réprimées. Mais jamais l’aspiration au changement n’a été aussi perceptible ni la répression aussi brutale. Les autorités ont reconnu que des balles réelles ont été utilisées à Brest, dans l’ouest du pays, et ont confirmé la mort de deux protestataires, dont l’un en prison.

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L’autocrate de Biélorussie est si peu sûr de son fait qu’il a ordonné l’arrestation ou écarté de la présidentielle ses principaux opposants. Menacée, l’épouse d’un contestataire emprisonné, Svetlana Tsikhanovskaïa, qui avait osé le défier dans les urnes, a été elle-même contrainte à l’exil, en Lituanie. Le score qui lui a été attribué par le régime (9,9 %) est incohérent au regard des foules qu’elle a drainées dans des meetings et des observations recueillies lors du dépouillement.

Décréter des sanctions ciblées

Son discours mesuré, limité à l’organisation d’élections libres, et le sang-froid des manifestants reflètent le degré de responsabilité et de détermination de l’opposition au régime. Mais, sans soutien extérieur, il est peu probable que la rue, seule, parvienne à faire entendre raison à Alexandre Loukachenko, qui en est à son sixième mandat à la tête du pays.

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Pour l’Union européenne, l’équation diplomatique est délicate. Après la répression postélectorale de 2010, les Européens avaient infligé des sanctions aux responsables du régime Loukachenko. Celles-ci avaient été levées en 2016, après la libération des derniers prisonniers politiques, dans l’espoir d’éloigner l’autocrate de l’influence du Kremlin et de l’amener à des réformes. Stratégie dont les événements actuels montrent les limites, s’agissant d’un potentat passé maître dans l’art de jouer Bruxelles contre Moscou, et inversement. Vladimir Poutine, qui a tout à craindre de la chute d’un obligé aussi mal élu que lui, s’est empressé de féliciter M. Loukachenko. Mais son soutien est lié à l’acceptation par Minsk d’une intégration renforcée avec Moscou.

Pour l’Union européenne, frontalière de la Biélorussie, il ne s’agit pas de rallier Minsk ou de l’attirer dans le camp occidental, mais de faire respecter les principes de démocratie et d’Etat de droit sur lesquels elle est fondée. Les Vingt-Sept doivent condamner la répression et les détentions arbitraires, et soutenir politiquement l’aspiration des Biélorusses à l’organisation d’élections libres. L’UE doit donc se tenir prête à décréter des sanctions ciblées contre le régime Loukachenko, afin de faire cesser au plus vite l’intolérable : la guerre d’un dictateur contre son peuple, au cœur de l’Europe.

Le Monde

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