Audiovisuel : taxer c’est réformer ?
Extrait du Budget de la Culture 2020 – D.R.
Voici ce qu’écrit Franck Riester dans le projet de budget de la culture pour 2020 : « Pour conserver l’excellence du modèle français de financement de la création audiovisuelle et cinématographique, il est indispensable que la fiscalité qui finance le fonds de soutien du Centre national du cinéma (CNC) soit plus équitable entre les acteurs historiques nationaux et les nouveaux acteurs internationaux du numérique. Dans cette perspective, le projet de loi de finances, en pleine cohérence avec le projet de loi audiovisuel, prévoit d’établir une fiscalité plus équitable entre les différents diffuseurs, linéaires ou à la demande, français ou étrangers, payants ou financés par des recettes publicitaires.
Le financement de la création audiovisuelle et cinématographique repose sur le principe selon lequel les diffuseurs (l’aval) contribuent au financement des créateurs (l’amont) qui enrichissent la qualité de leurs programmes. Ainsi, le fonds de soutien du Centre national du cinéma (CNC) est jusqu’à présent financé par quatre taxes affectées : la taxe sur les entrées en salles de cinéma (TSA), la taxe sur les services de télévisions (TST), qui a une composante « éditeurs » (TST-E) et une composante « distributeurs » (TST-D), et la taxe sur les services vidéo (TSV).
La fiscalité affectée au fonds de soutien au cinéma et à l’audiovisuel fait aujourd’hui face à un défi d’équité entre les différents acteurs qui éditent des contenus audiovisuels, qui est aussi un défi de neutralité économique : alors que les éditeurs linéaires, notamment hertziens, acquittent la TST-E au taux de 5,65 %, les nouveaux services de médias à la demande acquittent la taxe sur les vidéos à un taux près de trois fois inférieur (2 %).
Le projet de loi de finances pour 2020 met fin à la taxation différenciée entre les diffuseurs linéaires historiques et les nouveaux acteurs, en particulier les plateformes de vidéo à la demande en harmonisant les taux de TST-E et la TSV sur un taux unique de 5,15 %. Cette mesure permet de rééquilibrer le modèle de financement du cinéma au profit des éditeurs historiques nationaux. Elle s’inscrit dans la continuité de la suppression en 2019 de trois petites taxes sur les revenus publicitaires, qui avait déjà bénéficié aux éditeurs historiques nationaux, avec la création en juillet 2019 de la taxe sur les services numériques, qui permet de normaliser la situation fiscale des acteurs du numérique, notamment étrangers, et enfin avec le projet de loi audiovisuel qui prévoit de renforcer leurs obligations d’investissement dans la création. »
Pour le gouvernement, cette taxation est forcément vertueuse : « les nouvelles plateformes de vidéo à la demande devront davantage participer au financement et à l’exposition de la création française. »
Franck Riester lors de la présentation de son budget 2020, le 27 septembre 2019 – D.R.
Mais quand on lit entre les lignes, cette nouvelle taxation comporte 3 effets :
- Les streamers internationaux seront donc taxés à hauteur de 5,15% au lieu de 2%, premier effet visé par la hausse de la taxe. Compte tenu de la très rapide évolution du chiffre d’affaires de la SVOD et de la prochaine arrivée de nouveaux acteurs, ce volet de la taxe devrait être très contributeur. Sur la base d’une estimation de plus de 800 millions d’euros de recettes TTC en 2020, la contribution de la seule SVOD serait supérieure à 30 millions d’euros ;
- Les chaînes de télévision voient le taux de la TST-E passer de 5,65% à 5,15%. Pour information, cette taxe a rapporté 296,8 millions d’euros au CNC en 2018 sur un total de 500 millions d’euros en 2018. Une économie plus symbolique qu’efficace, histoire de calmer des chaînes qui sont passées à travers la SVOD depuis 10 ans et qui réclament en permanence un allégement de leurs obligations ;
- Les plateformes de VOD et de SVOD françaises ainsi que les éditeurs de DVD voient le taux de la TSV grimper de 2% à 5,15% (et de 10% à 15% pour les programmes pornographiques ou d’incitation à la violence). Soit plus qu’un doublement de la taxe qui a rapporté 25,7 millions d’euros en 2018 (incluant les streamers internationaux). Pour le CNC, la taxation des streamers et une bonne nouvelle, comme le rappelle le Bilan 2018 du CNC : « Le produit de la taxe vidéo et VàD (25,7 M€) a fortement progressé (+58,7 %) par rapport à 2017. Dans un contexte de baisse continue du marché de la vidéo physique (DVD et Blu-ray), l’assujettissement à compter du 1er janvier 2018 des plateformes étrangères de vidéo à la demande, payantes (comme Netflix) ou gratuites (comme YouTube) a permis d’enrayer la baisse du produit de la TSV. Ainsi, les encaissements de TSV sont en progression de 9,5 M€ par rapport à 2017. Ce dynamisme s’explique par le niveau de croissance très important du marché de la vidéo à la demande par abonnement. » Au dynamisme des acteurs locaux, le CNC préfère le dynamisme de la taxe.
Taxer n’est pas réformer, taxer n’est pas innover, taxer n’est pas protéger, taxer n’a jamais aidé directement les plateformes françaises qui se lançaient et qui avaient du mal à se financer face à des américains capables de lever des centaines de millions de dollars. Comme l’écrit très justement Alain Le Diberder dans son nouveau livre paru aux Editions de la Découverte – La nouvelle économie de l’audiovisuel : « L’enjeu, dans ce nouvel ensemble de règles et de lois économiques, n’est plus de se protéger, car la technologie et les consommateurs ont déjà choisi. Mais il s’agit de développer une offre, des offres, capables de rivaliser avec des groupes de taille mondiale. »