
Au procès des attentats du 13-Novembre, le témoignage délicat et bouleversant de Maya, rescapée du Carillon – Le Monde

Une jeune femme blonde, un peu perdue dans un tee-shirt trop grand pour elle, s’approche de la barre. Son visage est pâle comme celui d’un enfant grave. Sa voix douce va bientôt emplir l’immense salle de la cour d’assises spéciale de Paris.
Maya fait partie des rescapés de la fusillade du bar Le Carillon qui ont témoigné, mercredi 29 septembre, au procès des attentats du 13-Novembre. Onze vies ont été fauchées ce soir-là par des balles de kalachnikov sur cette terrasse du 10e arrondissement de Paris. Maya avait 27 ans. Blessée aux jambes, elle a perdu son mari, Amine Mohamed Ibnolmobarak, et deux de ses meilleures amies, les sœurs jumelles Emilie et Charlotte Meaud, assassinés sous ses yeux. Son récit raconte l’infinie solitude qui l’habite depuis ce jour. Les mots de la jeune femme, qui a demandé que la presse ne divulgue pas son nom de famille, ont plongé la salle d’audience dans un profond silence.
Verbatim. « Je voudrais d’abord dire quelques mots de mes amis : Amine, Emilie, Charlotte et Mehdi. J’ai rencontré Amine lors de mes études d’architecture par l’intermédiaire d’une amie commune, Annabel. Amine est devenu un ami, puis mon amoureux, puis mon mari, et mon associé dans la vie professionnelle. C’était mon premier amour. On parlait des enfants qu’on aurait un jour. C’était quelqu’un de beau, de solaire, qui cuisinait très bien, il était drôle. C’était l’homme de ma vie. On s’est marié deux fois, une fois à Paris, en 2014, une fois au Maroc, à Rabat, en 2015, il avait grandi là-bas. Grâce à une autre amie, on a rencontré Emilie, qui est devenue une amie très proche, puis sa sœur jumelle, Charlotte. Elles étaient belles, drôles, complices, on riait beaucoup ensemble. Et il y avait Mehdi, l’ami d’enfance d’Amine. On taquinait souvent Annabel qui courait après Mehdi, qui était secrètement amoureux de Charlotte.
« Ni Amine, ni Charlotte, ni Emilie n’ont fêté leurs 30 ans »
C’était ma bande de copains. On se voyait tous les vendredis soir au Carillon. C’était notre QG, on n’avait même plus besoin de dire où on se retrouvait. Ce soir-là, nous étions cinq autour de la table. Je me souviens parfaitement de nos discussions : j’avais 27 ans, eux 29, et on parlait de leur anniversaire de 30 ans. Trois sont tombés sous les balles. J’ai perdu mes amies, j’ai perdu l’homme que j’aimais. Ni Amine, ni Charlotte, ni Emilie n’ont fêté leurs 30 ans. Nous étions cinq, et d’un coup nous n’étions plus que deux, avec Mehdi. Ses blessures étaient beaucoup plus graves que les miennes, il a été entre la vie et la mort pendant plusieurs jours. Nos chemins se sont séparés, c’était trop dur pour lui, il ne m’a plus donné de nouvelles. Donc nous étions cinq, et je suis seule ce soir à la barre.
Il vous reste 67.43% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.