Attentats du 13-Novembre : « On enjambe des corps et des corps… », un enquêteur bouleversé raconte « l’horreur » du Bataclan – 20minutes.fr

A la cour d’assises spécialement composée, à Paris,

Tout à coup, un silence s’installe. Lourd, étouffant même. Un court extrait sonore des premières secondes de l’attaque du Bataclan, le soir du 13 novembre 2015, s’apprête à être diffusé dans la cour d’assises spécialement composée. 22 secondes précisément pendant lesquelles on entend les bruits secs des kalachnikovs interrompre brusquement le concert des Eagles of Death Metal. Plusieurs salves de tirs en rafale en quelques instants, suivis de cris. Parmi les dizaines de parties civiles venues ce vendredi assister à l’audience, seule une poignée a quitté la salle. Les autres se serrent sur les bancs, écoutent, tête baissée, la mort arriver sans crier gare.

« Ces 22 secondes, ça paraît une éternité », souffle à la barre Patrick Bourbotte, le policier de la section antiterroriste de la brigade criminelle qui a coordonné les constatations dans la salle de concert. Cela fait déjà près de trois heures que l’enquêteur, crâne rasé, élégamment vêtu d’un costume gris, livre avec minutie tous les détails de cette scène de crime d’une ampleur telle qu’il a dû procéder « comme sur une zone de crash d’avion ». Il détaille l’emplacement des corps des 71 personnes tuées dans la salle du concert, des 14 autres abattues aux abords (cinq autres sont décédées des suites de leur blessure à l’hôpital). Là, « huit corps enchevêtrés saisis par la mort au même moment ». Près du bar, ces quatre hommes et trois femmes dont « on a l’impression d’une exécution individuelle. » La disposition des corps, le type de blessures permettent de retracer le chemin de terroristes.

« Vous allez être dans l’horreur un sacré moment »

Secteur par secteur, l’enquêteur recense les centaines d’écrous qui se sont échappés des ceintures explosives, les 258 balles percutées, les trois kalachnikovs et les chargeurs scotchés deux à deux pour « recharger plus rapidement ». Il décrit les corps en plusieurs morceaux des djihadistes, déchiquetés par l’activation de leur ceinture. Ses équipes et lui passeront près de 8 heures, le soir de l’attentat, à faire ces premières constatations. Patrick Bourbotte retournera quotidiennement au Bataclan pendant deux mois pour fouiller chaque interstice du bâtiment. Il mettra ainsi 14 jours à retrouver l’une des jambes d’un terroriste qui a atterri sous la scène. « Ma hantise était de passer à côté d’une victime blessée qui se serait mise, par esprit de conservation, dans un trou de souris » , confie-t-il la gorge nouée. Quelques instants plus tôt, une photo d’un faux plafond défoncé par des spectateurs pour se cacher dans les combles du bâtiment a été projetée sur l’écran géant.

Mais cette bande sonore, extraite d’un dictaphone, est nécessaire, selon lui, pour comprendre le « côté brusque de la barbarie ». A la barre, il ne masque pas son émotion et raconte sa sidération – « y a pas d’autres mots » lorsqu’il franchit, vers 5 heures du matin, les portes. Les téléphones qui sonnent dans le vide, les sacs éparpillés, le sang coagulé sur lequel il n’a pas d’autre choix que de marcher. « On enjambe des corps, et des corps, et des corps. » Il repense souvent à ce collègue de la BRI, qui a participé à l’assaut contre les terroristes et lui a glissé à l’oreille, juste avant qu’il n’entre : « Bonne chance, vous allez être dans l’horreur un sacré moment. »

« Couche-toi ou je tire »

Si l’extrait diffusé cet après-midi ne dure que quelques secondes, la bande, elle, a capté les 2 heures 38 minutes et 47 secondes qu’a duré l’attentat, de l’irruption des terroristes au milieu du concert jusqu’à l’assaut final. Les tirs en rafale d’abord puis au coup par coup jusqu’à ce que commence, 32 minutes après le début de l’attaque, la prise d’otage d’une dizaine de spectateurs. A la barre, le policier raconte la cruauté des terroristes qui hurlent à l’un « couche-toi ou je tire », à l’autre « lève-toi ou je te tue », des injonctions parfois suivies de tirs. Dès la 8e minute, explique-t-il encore, les terroristes expliquent agir en représailles de l’intervention en Irak et en Syrie. « Vous avez élu François Hollande, voici votre campagne », « vous ne pourrez vous en prendre qu’à votre président qui fait le cow-boy. »

Des éléments qui font écho aux mots prononcés mercredi par Salah Abdeslam. « On a visé la population, des civils, mais on n’a rien de personnel à leur égard. On a visé la France (…) parce que les avions français qui bombardent l’Etat islamique ne font pas de distinctions entre les hommes, les femmes, les enfants, ils détruisent tout sur leur passage », a-t-il lancé à la cour. Cette fois, il reste silencieux, tout comme ses co-accusés, et écoute l’enquêteur raconter cette scène de guerre.

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