Attentats de janvier 2015 : l’énigmatique agression du joggeur de Fontenay-aux-Roses – Le Parisien

Son agression est un mystère. Le 7 janvier 2015, Romain effectue son jogging sur la coulée verte, à hauteur de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). C’est son itinéraire favori, celui sur lequel il court plusieurs fois par semaine. Vers 20h30, il remarque un homme assis sur un banc, vêtu d’une doudoune avec une capuche sur la tête. Juste après l’avoir dépassé, il ressent une vive douleur au bras et se retrouve projeté au sol.

« Je ne savais pas ce qui se passait. J’étais comme un poisson hors de l’eau », explique cet homme de 38 ans, ce jeudi, à la barre de la Cour d’assises spéciale qui juge les attentats de janvier 2015. Une présence dans cette enceinte qu’il doit à l’identité du principal suspect de son agression : Amedy Coulibaly. Mais sans jamais que l’implication du futur assassin de Clarissa Jean-Philippe, le 8 janvier, et de l’Hyper Cacher, le 9, n’ait pu être formellement établie.

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Ce premier tir sera suivi de quatre autres qui atteignent Romain au genou, à l’abdomen, au thorax et à la fesse. « Une fois au sol, je me suis retourné. Le mec était fléchi pour me braquer directement, mime-t-il face à la cour. J’ai regardé tout de suite dans ses yeux. Le temps s’est figé. J’ai senti une hésitation et j’ai senti qu’il devait finir le travail. Je me suis dit : C’est maintenant ou jamais, il faut que je me sauve. »

Le trentenaire à la silhouette fine et musclée parvient à se réfugier dans un endroit sûr. En tout, il passera près d’un an à l’hôpital et peine encore, cinq ans plus tard, à se déplacer.

Des tirs «d’essai» avant de passer à l’action ?

Pour la police judiciaire des Hauts-de-Seine, cette tentative d’homicide, qui intervient le soir-même du carnage de «Charlie Hebdo», n’a d’emblée rien de terroriste. « La victime n’avait aucune raison d’être visée par un tel acte et le lieu n’était pas non plus symbolique », relate le commissaire Michel Faury, l’ancien patron du service.

Mais très vite, la balistique parle. Les étuis percutés découverts sur place ont le même marquage qu’une munition retrouvée sur la scène de l’assassinat de Clarissa Jean-Philippe à Montrouge. Et surtout, le pistolet Tokarev qui a servi à son agression sera retrouvé à l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes (Paris XII) avec comme seul ADN celui du preneur d’otages.

Pour les enquêteurs, la piste Coulibaly apparaît comme la plus crédible. Et ce d’autant que ce dernier réside à l’époque à Fontenay-aux-Roses, à quelques centaines de mètres de la coulée verte. Et puis, souligne l’un des avocats généraux, le gérant de la pizzeria de Gentilly (Val-de-Marne), où il achète deux pizzas une heure plus tard, décrit un homme porteur d’un gilet tactique, avec un sac à dos et un sac de sport très chargés.

Le magistrat rappelle enfin que le jour des faits, Amedy Coulibaly a reçu un email de son mystérieux donneur d’ordre : « Fais ce que tu as à faire aujourd’hui, mais fais simple, comme ça tu rentres dormir et ensuite tu planques. » « C’est parfaitement compatible avec ce qu’on a pu constater et le soir et le lendemain », reconnaît le commissaire Faury qui bute cependant sur le mobile d’une telle agression. « S’agissant d’une arme remilitarisée et donc peu fiable, l’auteur a peut-être souhaité faire un essai avant de passer à l’action », avance-t-il en guise d’hypothèse.

«Je suis sûr à 80% que c’est Amar Ramdani»

Mais si tous les soupçons convergent vers Amedy Coulibaly, un élément de taille affaiblit sa mise en cause : les déclarations du principal intéressé. Comme il l’a fait à plusieurs reprises lors de l’instruction, Romain confirme à la barre que son agresseur n’était pas noir. « Vous l’excluez à 100% ?» interroge le président après être revenu plusieurs fois à la charge. « Oui, tout à fait », assure-t-il, agacé et sous tension.

Lors de l’instruction, Romain a en fait mis en cause Amar Ramdani, un des accusés, après l’avoir reconnu en photo dans un reportage télévisé, puis sur une planche photo soumise par la juge d’instruction. Grâce à l’expertise de son téléphone, les enquêteurs ont cependant exclu sa présence sur la coulée verte à l’heure des faits et il a été mis hors de cause. Mais Romain n’en démord pas. « Je suis sûr à 80% que c’est lui », assure-t-il à la barre. « J’ai de la compassion pour ce qui vous est arrivé », lance Amar Ramdani au joggeur qui lui fait face. « Mais si lui est à 80% sûr que c’est moi, je suis sûr à 100% que je n’ai pas fait ça, que je n’ai jamais tiré sur un être humain », jure-t-il depuis son box.

« Quand on vit des faits aussi difficiles et qu’au bout de cinq ans et demi le responsable n’a pas été identifié, comment le vit-on ? » demande Me Daphné Pugliesi, l’avocate d’Amar Ramdani à Romain dans un souci d’apaisement. « On le vit mal, que voulez-vous que je vous dise d’autre, souffle cet ancien intérimaire qui n’a jamais pu reprendre le travail. On n’est pas bien. »

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