Attentats de janvier 2015 : « Je suis morte avec lui », l’impossible deuil des proches des victimes de l’Hyper Cacher – 20 Minutes

Depuis ce lundi, la cour d’assises spéciale se penche sur la prise d’otage de l’Hyper Cacher — ERIC FEFERBERG / AFP
  • Quatorze personnes sont jugées depuis le 2 septembre par la cour d’assises spéciale, soupçonnées d’avoir apporté leur aide aux frères Kouachi et à Amédy Coulibaly.
  • Le 9 janvier 2015, alors que les frères Kouachi prennent en otage le gérant d’une imprimerie et son employé à Dammartin-en-Goële, Amédy Coulibaly sème la terreur dans un supermarché cacher de la porte de Vincennes.
  • Quatre hommes seront tués par le terroriste.

A la cour d’assises spéciale à Paris,

Voilà cinq ans et demi que la mère de Yohan Cohen ignore les circonstances de la mort de son fils aîné. Cinq ans et demi que son mari, Eric, lui assure que le 9 janvier 2015, les balles d’Amédy Coulibaly l’ont tué sur le coup, à l’entrée de l’ Hyper Cacher de la porte de Vincennes​. « Mais moi, je sais qu’il a souffert », souffle le père de famille, accroché à la barre de la cour d’assises spéciale qui juge les attentats de janvier 2015. Pour la protéger, il a tu le fait que la balle qui l’a atteint au visage ne l’a pas tué sur le coup. Que leur fils de 20 ans, alors magasinier, a agonisé pendant plus d’une heure avant que le terroriste ne s’acharne une seconde fois sur lui. « Cette facilité qu’il a eu à enlever la vie de mon fils et de trois autres personnes, je ne pardonnerai jamais », confie-t-il. Sa voix calme trahit une colère froide. « Pourquoi cette haine du juif ? Je n’arrive toujours pas à la cerner. »

Ce petit supermarché de quartier avait beau être une enseigne cacher, la question des religions ne se posait pas, à en croire l’ancien collègue et ami de Yohan Cohen, Lassana Bathily. Qu’importe que lui soit musulman pratiquant, « tout le monde se respectait ». A l’extérieur, pourtant, certaines habitudes de son ami l’étonnent : pourquoi retourne-t-il systématiquement les sacs en plastique pour cacher le nom de l’enseigne ? Pourquoi dissimule-t-il sa kippa sous sa capuche ? « Je lui disais “arrête, il va rien t’arriver”… » Yohan Cohen sera la première victime d’Amédy Coulibaly ce jour-là.

Lorsque Zarie Sibony a entendu la détonation, la jeune caissière, visage fin et longue chevelure noire, scannait une boîte de poulet surgelé. Comme toujours dans les affaires de terrorisme, l’horreur surgit dans la banalité du quotidien. Cachée sous sa caisse, elle entend Amédy Coulibaly demander le nom d’un client, Philippe Braham, avant de l’abattre froidement. Elle croit d’abord à un braquage, propose le contenu de sa caisse. « Tu penses que je suis là pour l’argent ? Les frères Kouachi et moi, on fait partie d’une même équipe, on s’est scindé en deux », lui assène le terroriste.

« Je suis remontée, seule, la boule, au ventre »

Amédy Coulibaly ne s’en cache pas : il hait les juifs, « qui aiment trop la vie ». A la barre, la jeune femme, qui vit en Israël depuis l’attentat, raconte presque minute par minute cet étouffant huis-clos, dans lequel chacune de ses décisions engage sa vie et celle des autres. Que faire lorsque aucun des otages cachés au sous-sol ne veut remonter, ainsi que l’ordonne le terroriste ? « Je suis remontée, seule, la boule au ventre… » Amédy Coulibaly l’épargne mais lui ordonne d’aller fermer le magasin. Alors qu’elle tire le rideau de fer, un homme se présente. « Non, non, monsieur, n’entrez pas », mime-t-elle à la barre. Michel Saada insiste, promet d’être rapide. Le terroriste l’abat avant qu’il ait le temps de faire demi-tour. « Peut-être que si j’avais fermé la porte plus rapidement… », lâche Zarie Sibony, étouffant des sanglots. Quelques minutes plus tard, le terroriste tue Yoav Hattab, 21 ans, alors que le jeune homme venait de se saisir d’une arme. « On y pensait tous, mais on n’a pas eu le cran. »

A la barre, le père de la victime, à l’époque grand rabbin de Tunis, confie sa fierté devant le geste de son fils. « Il a tenté de sauver ses frères. » Comme les proches des autres victimes, il raconte survivre pour ses autres enfants. « Sans eux, je serai devenu fou. » Le 9 janvier 2015, le monde de Valérie Braham, chemisier blanc et longue chevelure de jais, s’est également « écroulé ». Ce jour-là, son mari, Philippe, père de leurs trois jeunes enfants, n’aurait jamais dû se trouver à l’Hyper Cacher. La veille, il était déjà allé faire des courses mais avait oublié certains articles de la liste. « Alors je l’engueule un peu. “C’est pas grave, j’y retourne”. “Pas besoin, je ferais sans”. Mais pour pas me contrarier… Peut-être que si je n’avais rien dit… », sanglote sa veuve, sans pouvoir refréner son sentiment de culpabilité. Après une interminable après-midi d’attente, elle apprend qu’il fait partie de la liste des victimes. « C’était mon pilier, je suis morte avec lui. Aujourd’hui, je suis vivante juste pour mes enfants. »

« Les gens ont repris le cours de leur vie »

Droite comme un « i », les deux mains accrochées à la barre, elle raconte les nuits sans sommeil, les matins difficiles où il faut donner « l’image d’une maman forte », la peur panique d’emmener ses enfants au parc ou à des anniversaires. Son départ en Israël – comme trois des quatre familles de victimes – n’a pas apaisé ses craintes. « Les gens ont repris le cours de leur vie, ils ont leurs enfants, repris le travail. Moi j’ai essayé, une fois, deux fois… ». Comme elle, Laurence Saada a fait son alya après l’attentat. Avec son mari, Michel, ils nourrissaient ce projet pour leur retraite. Sa mort a précipité les choses. Ce jour-là, il s’est arrêté acheter des petits pains pour shabbat en se rendant à son club de bridge. « Voilà plus de cinq ans que chaque vendredi – il y en a eu 297 –, je me repasse le film », écrit-elle dans une lettre lue par son frère. Elle n’a pas eu la force de revenir dans la cour d’assises, déposer à quelques mètres du box des accusés. Avant de lire la missive, son frère tient à s’adresser à eux. « Dans la vie, on doit choisir ses amitiés, les assumer, expose-t-il avec douceur. Si on vend une mitraillette ou une grenade, c’est pas pour aller faire les courses… »

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