Attentats de janvier 2015 : Au procès, les regrets éternels des collègues d’Ahmed Merabet, ultime victime des frères Kouachi – 20 Minutes

Ahmed Merabet, policier dans le 11e arrondissement est la dernière victime des frères Kouachi. — AFP
  • Quatorze personnes, dont trois sont en fuite, sont jugées depuis le 2 septembre par la cour d’assises spéciale, soupçonnées d’avoir apporté leur aide aux terroristes des attentats de janvier 2015.
  • Ce lundi, le tribunal a donné la parole aux proches et aux anciens collègues du policier Ahmed Merabet, assassiné par les frères Kouachi après l’attaque contre Charlie Hebdo.

A la cour d’assises spéciale à Paris,

On les appelle les « primo intervenants ». Avant la vague d’attentats qui a touché la France en 2015 et 2016, les répercussions psychiques d’événements traumatiques sur ces professionnels de la sécurité ou du secourisme étaient méconnues. Souvent tues, rarement envisagées. Parce qu’ils sont policiers, médecins, secouristes ou pompiers, leurs métiers les prépareraient a priori à faire face à l’exceptionnel. Mais ce matin du 7 janvier 2015, aucun des policiers et policières intervenus face aux frères Kouachi ne pouvait mesurer l’ampleur du traumatisme à venir.

Débutants ou confirmés, rodés aux patrouilles, « femmes d’action » ou « baqueux », ils payent aujourd’hui encore le prix de cette matinée macabre. Un retentissement psychologique violent, démultiplié par l’assassinat de l’un d’entre eux pendant cette intervention, Ahmed Merabet. Auditionnés ce lundi par la cour d’assises spéciale au procès des attentats de janvier 2015, tous ont dit le poids de la culpabilité et des regrets, cinq ans après la mort de leur collègue.

« Cours ! Cours ! »

D’abord, il y a la violence qui éclate, soudaine et inattendue. Appelés pour des suspicions de tirs, aucun des policiers arrivés rue Nicolas-Appert ne comprend ce qui est en train de se tramer dans les locaux de l’hebdomadaire satirique. Et pour cause. Parmi tous les effectifs présents, y compris ceux affectés à l’arrondissement, aucun n’a connaissance de la présence des locaux de Charlie Hebdo dans cette rue discrète qui longe le boulevard Richard-Lenoir. « Pour moi, rue Nicolas-Appert, y’a pas de banque, pas de bijouterie, y’a rien », note Géraldine B., gardienne de la paix présente ce matin-là et arrivée en VTT sur les lieux avec sa brigade. Sa collègue de la BAC du 11e arrondissement pense même à « un appel fantaisiste » lorsqu’elle arrive sur place avec trois de ses équipiers.

Puis une détonation puissante éclate. « Une balle de calibre 7.62, ça fait beaucoup plus de bruit que le 9 mm. On prend conscience que c’est pas un règlement de compte. On se doute que c’est très très grave », détaille David C., 36 ans au moment des faits. S’ensuit le chaos : les radios utilisées par la police sont saturées, l’information ne passe pas et les balles fusent. Les policiers tentent de les éviter. Chérif et Saïd Kouachi sont sortis du bâtiment, tirent et sèment la panique sur le pavé parisien. « J’étais jamais intervenu dans cette rue. J’ai suivi Ahmed (…). On s’est mis à couvert à côté d’un buisson à côté du terre-plein central, Ahmed s’est levé, a regardé le terre-plein, j’allais le suivre, mais j’ai entendu une nouvelle détonation et je suis resté à couvert », se souvient Vincent B, alors tout jeune adjoint de sécurité.

À quelques mètres de là, Géraldine B., elle, se retrouve face aux terroristes qui sortent des locaux du journal. « Je vois deux hommes armés, cagoulés, qui tirent sur nous. Ce sont des tirs précis, coup par coup, mon collègue n’avance pas, il était tétanisé, j’entends mon autre collègue qui dit “Cours cours !”. Je cours et j’entends le sifflement des balles – “poum, poum” », imite la jeune femme à la barre.

« J’étais totalement perdu »

Isolé sur le terre-plein, Ahmed Merabet est touché par les djihadistes à la jambe. Les Kouachi s’approchent et le visent à bout portant au niveau de la tête. Une scène insoutenable filmée, diffusée sur les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu qui hante encore les proches du gardien de la paix. Vincent B., 22 ans en 2015, est le premier à rejoindre son collègue après la fuite des terroristes. « Je me suis précipité à terre, j’ai vu Ahmed qui était dans une mare de sang. J’ai ramassé son arme (…). J’ai regardé son visage, je lui ai dit : “Est ce que tu m’entends ?” (…) J’étais totalement perdu », relate le jeune homme, la voix éraillée par l’émotion.

L’équipe de la BAC, elle, – première à être appelée pour intervenir – se précipite dans les locaux de Charlie Hebdo après le départ des Kouachi. « On est monté, on a vu la scène macabre. Il y avait une première personne grièvement blessée à l’entrée du bureau. Je m’en suis beaucoup voulu après, parce que j’ai fui son regard », souffle Elodie S.

Tous les policiers intervenus rue Nicolas-Appert se sont vus mourir ce jour-là. Pas équipés face à l’arsenal de guerre des assaillants et mal informés, aucun n’a été en mesure d’arrêter le périple sanglant des frères Kouachi. Un regret et une culpabilité toujours vivaces cinq ans après, et qui ont bouleversé leurs quotidiens.

Insomnie, regrets et hypervigilance

Pour tous, c’est le sommeil qui a disparu dans un premier temps. L’hypervigilance, le sentiment d’invincibilité pour d’autres, les crises d’angoisse deviennent leur quotidien. « J’avais 22 ans, je me sentais un peu fort, au-dessus de tout. Mais je me suis rendu compte que la vie pouvait vite partir, dans ce métier-là », confie Vincent B., le jeune collègue d’Ahmed, toujours gardien de la paix.

Géraldine B., elle, a vécu cette matinée comme une cassure : « Après le 7 janvier, j’ai essayé de porter la tenue (…). C’était plus possible, je n’arrivais pas. Puis il y a eu le Bataclan, j’ai demandé à quitter le 11e arrondissement et j’ai été mutée (…) Le 20 avril 2017, j’ai eu un déclic. C’est le jour où notre collègue s’est fait tuer sur les Champs-Elysées. Je pouvais plus faire ce métier en étant une cible. Je devais quitter Paris et retrouver ma famille. »

D’autres, parmi eux, se repassent sans cesse la scène. « J’étais persuadée que si j’en avais tué un ou simplement maîtrisé un, peut-être qu’Ahmed serait vivant (…). Je vis encore avec des regrets », explique Elodie S., de la BAC du 11e. Une culpabilité partagée par son chef d’équipe, Jean-Sébastien B. : « J’ai un regret, je suis vraiment désolé pour la famille d’Ahmed de pas avoir pu faire plus. On a fait ce qu’on pouvait, mais peut-être qu’on aurait pu arriver plus tôt. Ces regrets, je les aurai tout le temps. »

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