Attentat de «Charlie Hebdo» : Frédéric, première victime des frères Kouachi – Le Parisien

« Je suis touché, je vais crever, appelle ma femme. » Frédéric Boisseau, 42 ans, vient d’être blessé à la poitrine par une balle tirée par l’un des frères Kouachi. Il est la première victime de ce qui deviendra plus tard la tuerie de « Charlie Hebdo », prémices d es attentats de janvier 2015. Sa femme, c’est Catherine. Elle est la mère de leurs deux enfants et se trouve dans leur cuisine d’un petit village de Seine-et-Marne lorsqu’elle reçoit cet appel qui détruit son foyer en quelques secondes.

Catherine, c’est une femme de 50 ans, douce, au sourire jamais très loin, mais à la réserve palpable. Cette discrète mère de famille se retrouvera pourtant dès mardi matin sous le feu des projecteurs. Ce jour-là, débutent les auditions des parties civiles et Catherine devra mettre son appréhension de côté pour « ouvrir le bal » de ces témoignages des proches des 17 victimes. « Je le fais pour Frédéric, pour qu’on ne l’oublie pas. Nous sommes 5 ans après, il y a un retour en arrière qui est compliqué, mais il faut en passer par là. Il faut le faire », nous confie-t-elle depuis le bureau parisien de son avocat.

Catherine, la femme de Frédéric Boisseau, est la première des proches à témoigner à la barre./LP/Arnaud Dumontier
Catherine, la femme de Frédéric Boisseau, est la première des proches à témoigner à la barre./LP/Arnaud Dumontier  

À la barre, Catherine prévoit de raconter son compagnon, celui qu’elle avait rencontré dans un train Fontainebleau-Paris en 1998 et qu’elle n’avait plus quitté depuis. Elle, qui a « beaucoup de mal à parler de Frédéric à ceux qui n’ont pas eu la chance de le connaître », décrira ce « rigolo » au « rire tellement communicatif », ce fêtard dont la maison était toujours ouverte aux copains. Et puis aussi cet homme « calme », « toujours de bonne humeur » qui « avait commencé agent d’entretien », avait gravi les échelons. Lui « qui savait ce qu’il voulait » était devenu responsable d’opération chez Sodexo, « chef d’équipe », insiste Catherine qui tique lorsqu’on qualifie Frédéric de simple « agent de maintenance ».

Catherine dépeindra aussi le père de ses enfants. Celui qui aimait passer « tout son temps » avec ses fils, à se balader dans la forêt ou à construire des cabanes en bois.

Et puis Catherine devra aussi se souvenir de son mercredi 7 janvier 2015 à elle. « Je ne travaillais pas, j’étais à la maison pour m’occuper des enfants. J’étais dans ma cuisine avec une amie. On s’apprêtait à aller chercher les petits à l’arrêt de car. » C’est un collègue de Frédéric qui l’appelle et lui dit : « On nous a tiré dessus, Frédéric est blessé », raconte la mère de famille qui se remémore son incrédulité à cette annonce. Mais elle sort rapidement de sa torpeur.

Les enfants sont confiés aux parents de Frédéric et Catherine saute dans un train pour Paris. En route, elle comprend. La fusillade, « Charlie Hebdo », la fuite des terroristes… Elle prend donc la direction du siège du journal satirique, accompagnée d’un ami. « On a passé les barrages, et on a trouvé une cellule de crise de la Croix Rouge à l’étage du 10 Nicolas Appert (XIe). Je voulais savoir ce qui était arrivé à Frédéric. J’ai demandé vers quel hôpital il avait été transporté. » Personne ne répond à Catherine qui est dirigée vers l’Institut médico-légal (IML). Mais son compagnon n’est pas là-bas.

« J’ai cherché Frédéric partout. » Cet après-midi-là, Catherine fera deux allers et retours entre la rue Nicolas Appert et l’IML, situé dans le XIIe arrondissement. Ce que son avocat, Me Jean Reinhart, qualifie avec colère de jeu de « l’essuie-glace ». Selon le pénaliste, ce ballottage entre « espoir et désespoir », cette « douleur sur la douleur », l’incertitude, ont « rendu le travail de deuil de sa cliente plus difficile ».

«Je ne bouge plus d’ici. Je veux savoir, dites-moi !»

Tandis que sa femme attend, panique, espère, Frédéric Boisseau gît sans vie au rez-de-chaussée du 10 rue Nicolas Appert. « Moi j’allais à l’étage, lui il était en bas », frémit-elle encore. C’est un policier en fin de journée qui consent à l’informer. « Il fallait que je sache, c’était ingérable. Je lui ai dit Je ne bouge plus d’ici. Je veux savoir, dites-moi ! » « Je vous confirme qu’il est décédé », lui répondra le fonctionnaire. Catherine apprend le pire, plonge dans la douleur et porte désormais le fardeau de devoir transmettre la nouvelle à ses jeunes garçons et à ses beaux-parents.

Aux obsèques le 20 janvier suivant, François Rebsamen, ministre du Travail de l’époque note que « les morts (NDLR : des victimes de « Charlie Hebdo ») n’ont pas toutes eu le même écho » et souligne qu’il « n’existe aucune hiérarchie des peines, aucune hiérarchie des hommages. » Avant de décorer Frédéric de la Légion d’honneur à titre posthume. « Pourquoi il ne l’aurait pas eue alors que les autres l’ont eue? » questionne Catherine.

VIDÉO. «Charlie Hebdo» : émotion aux obsèques de Frédéric Boisseau

Depuis plus de cinq ans, la mère de famille tient bon la barre pour ses fils. Aujourd’hui, dit-elle, ses garçons sont « équilibrés, poursuivent leurs études, sont passionnés par ce qu’ils veulent faire ». Mais ils n’ont pas prévu de venir au procès.

Ce mardi, à la barre, devant la cour d’assises spéciale, Catherine témoignera donc pour ses fils. Mais sans se faire d’illusion sur ce procès. « Je n’attends pas grand-chose », finit-elle par lâcher après avoir longuement cherché ses mots. Pour elle, l’absence des frères Kouachi et d’ Amedy Coulibaly n’est pas importante : « Je pense que s’ils étaient là, on ne saurait rien de plus. Ils ne diraient rien. Ça aurait été peut-être encore plus dur de les voir. Je pense que je ne serais pas venue, je n’aurais pas voulu entendre ce qu’ils avaient à dire. »

Quant aux quatorze accusés (dont seulement onze sont présents dans le box), soupçonnés d’avoir fourni un soutien logistique et des armes aux trois tueurs : « Il faut qu’ils soient jugés en fonction de ce qu’ils ont fait. C’est une étape à passer. Mais ce qu’on a perdu ce n’est pas un verdict qui nous le rendra. »

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