Après l’incendie de l’usine à Rouen, une quarantaine de plaintes déposées – Le Monde
Des dizaines d’autres plaintes pourraient suivre, selon des habitants venus trouver conseil, vendredi, auprès d’avocats volontaires à la suite de la catastrophe industrielle de Lubrizol.
Depuis l’incendie de l’usine de produits chimiques Lubrizol, jeudi 26 septembre, le répondeur et la boîte courriel de Julia Massardier ne désemplissent pas. L’avocate au barreau de Rouen reçoit chaque jour des dizaines de messages et d’appels d’habitants souhaitant engager des recours contre le fabricant d’additifs, pressés d’obtenir une indemnisation ou la simple reconnaissance de leur préjudice. « Je suis en train de déposer une dizaine de plaintes, commente l’avocate. Mais de nombreux autres dossiers sont à venir. »
Le pôle de santé du parquet de Paris a été chargé de l’enquête sur le feu de deux hangars remplis de fûts de produits chimiques et la pollution provoquée par le nuage de fumée. Au 1er octobre, une quarantaine de plaintes avaient été versées au dossier d’instruction. Depuis, l’association Respire a déposé un recours avec 99 habitants, confié à l’avocate Corinne Lepage, afin de nommer un expert pour « constater de manière contradictoire la pollution et ses effets ». La maire de Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), Catherine Flavigny, a annoncé avoir porté plainte contre X pour « obtenir réparation du préjudice causé » dans sa commune, au nord de Rouen, l’une des premières touchées par les retombées de suie.
La nécessité de « récolter le plus de preuves »
Les dépôts de plaintes devraient aussi se multiplier parmi les particuliers. Une soixantaine de Rouennais ont assisté, jeudi et vendredi, à des consultations juridiques gratuites mises en place par l’ordre des avocats de Rouen. « Je viens connaître mes droits et savoir quels recours sont envisageables », dit d’emblée Charles, habitant d’un appartement sur les quais de Seine, situés en face de l’usine Lubrizol. « Vous pouvez porter plainte, mais il ne faut pas se précipiter », lui répond Sileymane Sow. Cet avocat s’est porté volontaire pour recueillir la parole des Rouennais, convaincu qu’une « telle catastrophe ne peut rester sans réponse juridique ». « Il faut cependant faire attention, répète-t-il aux habitants venus demander comment lancer les premières procédures. Le procès est encore loin, et le plus important ces jours-ci est de récolter le plus de preuves. »
Photographies géolocalisées des retombées du nuage de fumée, certificat médical, prélèvements effectués par un expert d’assurance sur les voitures ou le logement… Toute observation consignée des conséquences de l’incendie de l’usine Lubrizol pourrait avoir son importance, « dans quelques semaines ou dans quelques années », explique l’avocat, lorsque la justice cherchera à déterminer le préjudice subi par les habitants de l’agglomération rouennaise.
« Une semaine après l’incendie, le traumatisme est toujours pesant », témoigne Charles, inquiet pour la santé de son fils de 4 ans, à l’avocat. « On a l’impression d’être face à un mur, que l’Etat ne bouge pas. » « Nous avons tous les éléments constitutifs d’un préjudice d’anxiété, constate Me Sow. Les gens apparaissent perdus, et je le suis aussi. Le tâtonnement des autorités est responsable de cet état d’inquiétude. »
L’inquiétude des professionnels et des prisonniers
Lundi 7 octobre, une réunion de travail réunissant une cinquantaine d’avocats est prévue à Rouen pour définir la répartition des plaintes entre des cabinets spécialisés et faire un inventaire des infractions potentielles. Les interrogations des habitants concernent autant les conséquences directes sur la santé que celles sur l’environnement, la pollution des écoles ou, autre demande lors des consultations, le refus d’un employeur d’accorder à ses salariés un droit de retrait dans les jours ayant suivi la catastrophe.
« Les consultations sont aussi ouvertes aux professionnels, inquiets des retombées économiques de l’incendie », précise Guillaume Bestiaux, bâtonnier de l’ordre des avocats de Rouen. Sileymane Sow a par exemple reçu un groupe d’agriculteurs bio, inquiets de la pollution de leurs champs, ou des commerçants, dont le chiffre d’affaires a baissé de manière significative juste après l’incendie.
Mardi 2 octobre, un premier recours déposé par Julia Massardier a été rejeté par le tribunal administratif de Rouen. Interpellée par deux détenus de la prison de Bonne-Nouvelle, située à moins d’un kilomètre de l’usine Lubrizol, l’avocate souhaitait que des analyses soient menées en urgence dans les cellules, peu aérées. « Mes clients ont souffert de nausées, d’étourdissements, et l’odeur est restée forte dans la prison », a argumenté Me Massardier. Les magistrats ont refusé, argumentant que selon l’évaluation de la pollution effectuée par la préfecture, il n’y avait pas « d’urgence immédiate » à procéder à des analyses dans l’établissement pénitentiaire.